New Wave Vaudeville

Skinner

 – 2025
par Pierre, le 5 février 2025
7

Curieuse époque que nos temps anhistoriques, où de simples vicissitudes algorithmiques suffisent à abolir la linéarité chronologique et à se sentir plus d’affinités culturelles avec certaines figures du passé qu’avec son voisin de palier. Toutefois, de ce qui s’apparente davantage à un carcan normatif qu’à une réelle émancipation, d’aucuns parviennent à tirer leur épingle du jeu et, employant activement les règles de celui-ci à leur avantage, à profiter de l’immensité numérique pour ériger eux-mêmes les contours de leur univers culturel. C’est en tout cas la voie que semble avoir choisie Skinner, jeune chanteur, producteur, et multi-instrumentiste dublinois qui a creusé le sillon de la no-wave jusqu’à s’en revendiquer plutôt que de se perdre dans le scroll perpétuel d’un océan de nibards générés par des IA.

Que ce New Wave Vaudeville s’inscrive positivement ou non dans la lignée de ce qui fut alors considéré comme un mouvement à part entière, marginal certes, mais à la subversion esthétique certaine, à la liberté prescriptive, et à la hype aujourd’hui renouvelée, peu importe. Que Skinner donne raison à l’analyse clouscardienne des effets de mode, et de l’extension progressive du champ des signifiants à des fins marchandes, certainement. Au bout du compte, ce serait oublier par là que non seulement l’Irlandais s’en branle sans doute très légitimement, mais qu’il laisse alors l’auteur seul de cette phrase passer pour un sinistre connard.

De fait, l’essentiel n’est pas là. Face à un renouveau post-punk qui commence à dauber la naphtaline et auquel ne finissent pourtant pas de se conformer de nouveaux arrivants, Skinner insuffle un vent de liberté plus que rafraîchissant pour évacuer l’odeur d’un cadavre qui commençait à faisander. Car contrairement aux mastodontes du genre, bien conscients de leur stagnation et désormais libres de déserter progressivement les lieux au volant de leur Ferrari, Skinner, fort d’un anonymat presque complet, est bien obligé de le côtoyer, ce moribond. Alors autant jouer avec le cadavre et se foutre un peu de sa gueule, non ?

Et c’est précisément ce que fait Skinner. De la no-wave, le jeune Irlandais parvient à cristalliser l’insubordination, le substrat libérateur, et à perfuser ce New Wave Vaudeville d’une énergie railleuse, presque expiatoire. Une guitare tranchante, une basse toujours tendue, et chaque titre présente alors une orientation singulière dont le sarcasme, la désinvolture et le dédain de Skinner constituent invariablement les points de fuite. Souvent, suffisamment d’espace se dégage pour entendre couiner un saxophone tantôt réconfortant, tantôt moqueur, jusqu’à ce que la vague se referme et nous asphyxie d’un déluge libérateur. Et l’Irlandais de poser alors certaines des mélodies les plus jubilatoires de ce début d’année, en nous chuchotant à l’oreille qu’une esthétique post-punk ne dispense pas d’un poil d’audace, de créativité et, en dernière instance, de joie. 

Chouette paradoxe que ce New Wave Vaudeville donc. Car si Skinner, en se départissant du carcan post-punk, ne fait peut-être que se conformer à d’autres édifices structurants, celui-ci peut au moins revendiquer l’élégance de rappeler à tous que non seulement le roi est nu, mais qu’il est manifestement en train de crever la gueule ouverte. Et de le hurler de la plus belle des manières.