NEVER ENOUGH
Turnstile

Le 27 aout 2021, Turnstile sortait Glow On, et plus rien n’allait être comme avant. En 35 minutes, le groupe affichait des ambitions inédites, quitte à s’attirer les foudres des « gardiens du temple » du punk hardcore voyant d’un mauvais œil tant de modernité et de zeitgeist pop. Il faut croire que leurs bêlements n’ont pas pesé bien lourd face à un groupe qui a gravi les échelons du cool à une vitesse habituellement réservée aux artistes de rap ou de K-Pop.
Mais est-ce le groupe qui a changé ? Plutôt notre perception. Et est-ce que Turnstile est devenu une de ces formations à qui l’on ne pardonne plus rien, condamnée à faire toujours moins bien ? Un peu, oui. Une bande de paresseux qui va se servir de la matrice Glow On comme d’un ticket de Win For Life ? Aussi. En même temps, quand tu as passé le plus clair de ta carrière à parcourir l’Occident dans des vans pourraves et à te faire saloper ton open space par des types à l’odeur corporelle plus repoussante qu’une épreuve de dégustation à Koh Lanta, peut-on vraiment leur en vouloir de la jouer un peu « plat du pied = sécurité » ?
NEVER ENOUGH est donc l’album qui devrait certainement consommer le divorce avec toute une partie de la fanbase pour qui cette mascarade avait de toute façon déjà bien trop duré, mais aussi permettre au groupe d’aller frapper à la porte d’un autre public à la faveur de titres qui semblent avoir été écrits pour pénétrer des playlists qui leur étaient jusque-là impossible d’infiltrer. On pense à « I Care », ritournelle plus proche dans l’esprit de Phoenix que de Madball, ou à « Seein’ Stars » et son jeu de guitare dont le groove indolent n'est pas sans rappeler le jeu de Johnny Marr. C’est globalement plus léché, davantage maîtrisé, avec juste ce qu’il faut de moments de rêverie et de jolis claviers un peu inutiles pour légitimer au passage les envies d’expérimentation du groupe dans un communiqué de presse laudateur.
Ailleurs, on ressort avec cette impression parfois un peu énervante de déjà-entendu, tout en reconnaissant la qualité indéniables des compos : « DREAMING » c'est « DON'T PLAY », « DULL » c'est « HOLIDAY », « SOLE » c’est « BLACKOUT » - du copier-coller, l’énergie délirante et les beatdowns de bâtards en moins. En quelque sorte, NEVER ENOUGH renvoie à l’impression qu’on a pu avoir à l’époque avec Room on Fire ou Antics, les seconds albums des Strokes ou d’Interpol, eux aussi plus polissés, eux aussi flingués par une partie des fans à la sortie, mais que le temps aura permis de réévaluer.
À dire vrai, on en vient surtout à se demander si depuis le début cette bande-là n'avait pas le Turnstile de 2025 comme seul et unique objectif de carrière. Comme si ces mecs avaient été les Keyser Söze du punk hardcore, plaçant discrètement leurs pions, bien conscients qu’une révolution se prépare dans l’ombre. Le live stylé chez Jimmy Fallon, le billboard sur Sunset Boulevard, le film présenté au Tribeca Film Festival, le concert « pour l’histoire » dans un parc de leur ville de Baltimore, le prix délirant des billets pour un groupe qui, quand on y réfléchit, n’a pas des stats de streaming ou de vente ahurissantes, tout renvoie à l'envie de faire de cet album un "statement", un album qui assied pour de bon la doctrine Turnstile après le succès historique de Glow On. Imaginer que le groupe allait y parvenir sans faire quelques concessions était se bercer de douces illusions.