Move Of Ten

Autechre

Warp – 2010
par Simon, le 23 juillet 2010
8

On a tout d'abord cru à une bonne blague de la part du duo anglais. On a eu tort. Moins de quatre mois après la sortie de leur très bon Oversteps a surgi une nouvelle œuvre d'Autechre. Quelle était la réelle substance de cette nouvelle annonce, s'agissait-il véritablement d'un EP? A vrai dire peu de gens se sont immédiatement rués sur ce nouveau Move Of Ten, sûrement encore occupés à bouffer le dernier album en intraveineuse - à moins que ce soit par simple peur d'une déception potentielle. Dans le doute, nous avons lancé ce nouveau cadeau sur la platine, histoire de vérifier une bonne fois pour toutes à quel jeu jouait le duo de Sheffield.

Alors que dire à propos de ce Move Of Ten sans ressasser ce qui a été dit par vingt années de journalisme musical avant nous? Qu'Autechre est une formation géniale et sans précédent dans le milieu de l'électronique d'avant-garde? Tout le monde le sait. Qu'une énième évolution n'est jamais à exclure de la part de ces deux technomonstres? Tout le monde le sait une fois de plus. Ce qui est sûr, c'est que ce Move Of Ten est loin d'être une farce, qu'il se déguste comme un parfum une fois de plus post-moderne. Oversteps était un disque à large portée, marquée par une propension à abandonner la notion de rythme, de beats, tel une version a capella d'une carrière étouffante. En ce sens, Move Of Ten est à la fois entièrement lié à Oversteps et totalement auto-suffisant : entièrement percussifs et frontaux, les dix titres peuvent aussi bien fonctionner seuls qu'en liaison mentale avec l'album précédent. Un disque qui tourne en roue libre sur des architectures rythmiques simples (pour un disque d'Autechre), qui transcende sa vision de la techno et du hip-hop dans une guerre sonore tellement connue et à nouveau tellement novatrice.

Donc ce qui touche au final avec ce Move Of Ten, c'est sa cohérence. Cohérence au niveau de l'œuvre du groupe mais cohérence également par rapport à son récent prédécesseur. Un passé qui se brouille avec son futur tout proche, voire déjà présent dans ce cas-ci. C'est peut-être là qu'il faut voir le génie du groupe, dans cette capacité à violer le continuum espace-temps non seulement au cœur d'un disque, mais plus largement à l'échelle d'une discographie toute entière. Les spécialistes gloseront dans quelques années sur l'impact qu'à eu ce nouvel album sur l'histoire de l'electronica, sur l'impact de la carrière du duo ou simplement sur nos conceptions de la musique électronique. Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'ils auraient tenu le même discours si Move Of Ten était sorti deux ans plus tard ou plus tôt. Car ce qu'un groupe lambda fait en quatre ans, Autechre peut le faire en quatre mois.

C'est en ce sens qu'Autechre est à sa place : en brouillant les esprits, les dates, les heures, les appréciations. En étant à la fois nul part et partout dans nos cerveaux, comme une pluie de poussières d'étoiles, éclatées mais au loin entremêlées, décousues mais unifiées. Mi-hommes, mi-virus informatiques, ces deux consciences s'effacent au final et leurs noms n'importent plus. Autechre est devenu une humeur dans l'air, comme mille points d'amarrage pour se donner rendez-vous en un lieu commun. Un nom qui a peine prononcé s'effrite, s'éclate et se retrouve finalement entre un LP5, un Confield, un Draft 7.30, un Move Of Ten ou n'importe quelle autre œuvre de cette carrière sans précédent. Plus encore que le signe des grands, ce qu'il se passe ici est l'œuvre des dieux. C'est ça oui, l'œuvre des dieux.

Le goût des autres :
3 Serge