LSDC

Alkpote

Ténébreuse Musique – 2023
par Ludo, le 13 mars 2023
7

Parler d’un nouvel album d’Alkpote en 2023 tient de la prouesse, pour ne pas dire du miracle. Car qui aurait pu penser qu’un personnage aussi outrancier et, disons-le, ordurier allait être validé par les majors, la pop culture et les programmateurs des grands festivals a passé quarante balais ? Certes, notre homme a souvent privilégié les gogoleries ces dernières années, mais on pouvait le comprendre au regard de sa très longue stagnation dans l’underground du rap français. Et en filigrane, on devinait parfois une frustration : celle de ne plus pouvoir rapper comme il le voulait. Mais probablement parce qu'il est désormais à l'abri, l’empereur de la crasserie peut à nouveau sortir des morceaux qui lui ressemblent vraiment.

Avec ses lunettes de soleil vissées sur le crâne et sa dégaine inaltérable, Alkpote a des airs de Juicy J sauce gribiche, lui qui continue d'égrener ses « Yeah Hoe » comme à la belle époque. Son secret ? Il l’explique lui-même dans « Maison piégée » : « J'me régénère comme la chatte de Maeva Ghennam ». Toutefois, à la différence de l'ex-Three Six Mafia, le propos d’Alkpote se veut beaucoup plus singulier et prend souvent la forme d’un flux de conscience truffé d’obsessions particulières (son attraction pour les femmes politiques de plus 50 ans intrigue) et généreux dans le namedropping (sur LSDC, ça va de Gustave Eiffel à Zac Efron en passant par Madame Sarfati ou Valérie Lemercier). Mais s'il assume pleinement son statut de boss de fin de la grivoiserie, Alkpote est aussi capable d'élargir une palette qu'on pourrait penser monochrome : il sait prendre du recul par rapport au personnage bigger than rap qu’il s’est créé, et même parfois révéler quelques vulnérabilités, quand bien même celles-ci sont soigneusement recouvertes d'un tissu de vulgarité.

Même si elle est moins présente sur ce nouvel album, la mélancolie fait aussi partie du personnage d’Alkpote, qu’elle s’exprime au sens littéral, au détour de quelques phrases sur son environnement urbain qui le répugne et l’ennuie; ou au sens figuré, au travers de punchlines borderlines qui démontrent une certaine imagination et aussi un grand besoin d’évasion. Et tout cela sans oublier quelques contradictions propres à un personnage à cheval sur deux cultures bien différentes : franchouillarde et beauf d’un côté, conservatrice et pieuse de l’autre. Ce qui l’amène à vanter à la fois les orgies de toutes sortes (de drogues, d’alcool, de bouffe, de télévision et de sexe essentiellement) mais aussi à tenir un discours intolérant, et donc condamnable, à l’égard des femmes, des homos, des trans et du peuple israélien. Tout cela fait d’Alkpote un personnage torturé, imprévisible et éminemment clivant, qui peut autant faire l’objet d’un article léger dans Libération que d’un véritable culte sur le forum 18-25 de jeuxvideo.com. On peut évidemment penser qu'Alkpote joue de cette ambiguïté, et que c'est ce qui le rend encore aujourd'hui fréquentable malgré des propos qui finiraient au 20 heures de TF1 ou dans des tweets de Marlène Schiappa s'ils n'étaient pas déclarés avec un tel talent et un tel sens du show. Dans le cas contraire, il serait juste bon pour l'asile ou le purgatoire.

Avec son grand nombre d’invités, LSDC ressemble à ses meilleures mixtapes avec DJ Weedim, celles qui ont vu naître le personnage sombre et excessif que l'on connaît. Entendons par là qu’un Alkpote survolté rappe sur n’importe quel type d’instrumentale tout en mettant la pression sur ses invités (JJ & Caba, feu Luv Resval ou Jok'air) qu’il entraîne dans un délire qu'ils seraient incapables d'assumer sur leurs propres disques. Cela donne lieu à un déchaînement de fulgurances toutes plus absurdes les unes que les autres, et qui dépassent heureusement le simple exercice de faire de la multi pour faire de la multi : tour à tour cartoonesques, dramatiques ou carrément allégoriques lorsqu’elles traitent de la vacuité des passions humaines à l’aune de leurs finitudes devant l’éternité (« J’éjacule sur un dentier ou un serre-tête (splash) »), ces punchlines témoignent toutes de l'imagination débordante d'un rappeur dont l'ultra-violence du propos empêchera probablement qu'il soit un jour reconnu à sa juste valeur.

À l’arrivée, on obtient un disque solide et abouti d’Alkpote, qu'on n'avait plus entendu dans un tel niveau de maîtrise depuis Inferno en 2018 : suffisamment codifié pour satisfaire ses fans de la première heure qui l'écouteront au second degré; suffisamment outrancier pour faire frissonner les ados attardés qui l’écouteront avec une forte envie de s’encanailler.

Le goût des autres :