Konstellaatio

Ø

Sähkö Recordings – 2014
par Simon, le 18 mars 2014
8

C’est sûrement la formule dont les chroniqueurs modernes aiment le plus user et abuser, jusqu’à finalement vider le tour de passe-passe de toute sa force : non, parler de « figure la plus marquante de ces dix dernières années » n’est plus une manière d’accrocher son lecteur en 2014. Et pourtant, après avoir retourné la situation dans tous les sens, on ne voit pas comment on pourrait parler autrement de Mika Vainio au cœur de la musique oblique, qu’on parle de techno, de drone, de musique industrielle ou de musiques concrètes. Si le Finlandais est aujourd’hui une figure incontestable de l’aventure sonore, beaucoup n’ont pas oublié que, derrière cette carrière solo et les disques pour Pan Sonic, se cache un avatar plus discret, mais tellement excitant. Cet autre personnage, c’est Ø (à ne pas confondre avec Ø [Phase], qui sévit sur Token Records), une autre incarnation qui met toute son énergie à créer des mondes différents, dans une discographie parallèle mais toujours marquée par la cohérence.

Cohérence d’abord, parce que Ø c’est l’homme d’un label, Sähkö Recordings, qu’on a fini par intégrer comme la véritable maison de cet avatar (là où Mika Vainio traîne plus souvent du côté de Blast First Petite ou Touch Music), mais cohérence surtout car l’œuvre de Ø peut se suivre à la trace, depuis maintenant vingt ans et huit longs formats. Une tranchée musicale unique, qui serpente tout du long sans jamais être rompue. La musique de Ø est avant tout une musique de genre, un univers connu, quoique retors, qui identifie fermement le Finlandais dès chaque première note jouée. Appelez cela de l’ambient, de la techno, du sound design ou du glitch, sachez qu’il ne faut pas dix minutes pour que le miracle Ø fonctionne à nouveau. Une immersion géante dans des mondes de rêves technologiques, de mutations signalétiques et de nappes cosmiques. Konstellaatio fascine, comme toujours, par un travail de distanciation qui place l’infrabasse, le travail sur la texture et l’impact signalétique au cœur de son système.

La notion de système est particulièrement pertinente si l'on conçoit la dimension picturale de l’œuvre, extrêmement marquée par l’enfoncement technologique, la duplication des réalités et l’envie de tout replacer dans la matérialité. Une histoire bien pleine qui rappelle une certaine vision de Detroit (Arpanet et le Dopplereffekt en tête, les récentes tentatives électro-acoustiques de Jeff Mills en filigrane), le travail réalisé par des mecs comme Alva Noto, Frank Bretschneider ou Emptyset et une certaine imagerie taillée par la littérature de science-fiction (jusqu’à des films comme Metropolis ou Gravity). Un travail complet, extrêmement inspiré et destiné à s’inscrire dans le temps (et bien sûr, dans la continuité de sa discographie). Une œuvre forte, qu’on recommande à tous ceux qui voudraient rêver de plus haut, qui voudraient voir la terre depuis un hublot. Un immanquable, donc.

Le goût des autres :