Interiors

Quicksand

Epitaph Records – 2017
par Alex, le 21 novembre 2017
7

Le problème du groupe culte et d’autant plus lorsque celui-ci puise sa source dans un genre autant pétri de codes que le hardcore de la côte est des Etats-Unis du début des années 90, c'est que vous avez les fans qui vont avec. A savoir des personnes passionnées, ultra-érudites, d’une fidélité et d’une générosité peu communes mais malheureusement aussi d’une ouverture d’esprit parfois inversement proportionnelle à leur capacité à la dévotion. Des cas d’école de groupes lâchés et vilipendés par les fans de la première heure pour haute trahison à la cause, on en connaît tous. Et c’est un peu ce qui vient de se passer pour Quicksand.

Petit cours d'histoire pour les retardataires d'abord - les autres peuvent sauter ce paragraphe. Formé en 1990 suivant l’explosion du mouvement grunge et post-hardcore de l’époque, Quicksand est un groupe au parcours atypique dont le statut culte ne lui a été associé que bien des années après son apogée. A l’origine, on parle de 4 musiciens issus de la scène hardcore new-yorkaise dont Walter Schreifels (célèbre pour sa participation au sein de formations légendaires comme Youth of Today), Sergio Vega (remplaçant de Chi Cheng au sein des Deftones), Tom Capone et Alan Cage (respectivement membres et ex-membres de groupes comme Bold, Shelter ou Burn). On parle aussi d'un groupe qui a participé à d'énormes tournées en compagnie de groupes comme Rage Against The Machine ou The Offspring, qui connu les séparations et les (rares) concerts de reformation, mais qui n'a rien sorti depuis 1995.

Sortir un successeur à Manic Compression 22 ans plus tard était déjà en soi un gros risque. Le groupe, même s’il n’a jamais rencontré le succès qu’il aurait dû et sur lequel certaines grosses écuries Polydor et Island avaient misé, avait quand même réussi à se construire une discographie courte mais exemplaire qui allait durablement laisser son empreinte. Et pour vouloir rajouter une pierre à l’édifice après tant d’années, il n’y avait finalement que deux solutions : rester dans le même sillon, faire comme si rien n’avait changé (ce qu’auraient sans doute préféré certains), ou infléchir sa formule et prendre un chemin un peu moins rectiligne. C’est ce deuxième choix pour lequel a opté Quicksand.

Enregistré avec l’aide du producteur Will Yip, dont nous avons déjà mentionné l’excellent travail sur de nombreux disques d’indie, punk et hardcore sortis cette décennie, ce 3ème album des vétérans est plutôt surprenant car il sonne très anachronique. En totale opposition avec la fougue et la fragilité de la production de ses prédécesseurs, Interiors se veut beaucoup plus moderne dans son approche tout en faisant la démonstration que Quicksand n’a pas perdu son côté corrosif avec le temps. Entre passages mélodiques et déflagrations sonores, l’album est loin d’être avare en moments prenants. Bien sûr, il y à boire et à manger et tout n’est pas forcément convaincant. Trop lisse par moments et donc bien moins enthousiasmant, le groupe meuble ça et là avec deux interludes dispensables et quelques morceaux moins inspirés, à l’image d’"Illuminant" qui ouvre l’album ou "Normal Love" qui le conclut.

Qu’est-ce qu’on reproche au juste à InteriorsD’opter pour plus de mélodies, des parties de chant clair complètement assumées, des plans de guitare plus proches de la ligne claire que du riff en acier blindé ? La voix de Schreifels est à la fois emprunte de rage et d'une grande sensibilité tout au long de ces 41 minutes et des titres comme "Hyperion" ou "Fire This Time", sur lesquels Vega et Cage s’illustrent tout particulièrement, nous donnent un aperçu de ce que peut encore proposer Quicksand en 2017. Comme le groupe l'a mentionné lui-même, «Interiors n’a été entièrement composé que pour notre plaisir ».  Pourquoi s’en priverait-on?

Hasard du calendrier, les américains entamaient ce mardi 14 novembre 17, leur tournée européenne chez nous, au Trix d'Anvers, et l’occasion de voir ces nouveaux titres en live était trop belle. Test réussi haut la main. il fallait voir Walter et Sergio, ardents comme autrefois, se lancer blagues et sourires tout le long de cette généreuse 1h45 de show pour bien se rendre compte que les mésententes d’autrefois semblent désormais bien lointaines. De là à imaginer une seconde jeunesse, plus durable cette fois-ci?