Hollow Knight Silksong (OST)
Christopher Larkin
Peu de jeux vidéo aussi récents ont atteint le même statut que celui de Team Cherry. Le studio australien avait donné une leçon artistique et technique vendant à 20€ une des propositions les plus intenses de sa décennie. Avec un prix pareil, tout le monde y a joué, et le petit scarabée (?) est devenu une icône que vous avez dû avoir du mal à ne pas croiser. Après sept années de développement, une attente délirante, une annonce de sortie imminente en 2022, puis... à nouveau trois ans de silence, les devs ont lâché la bombe à la fin du mois août : ah, au fait, Silksong sort dans une semaine. Si la production a duré autant de temps, c’est parce que l’équipe « s’est tellement amusée qu’[elle] n’a pas vu le temps passer ». On les a pris au mot, et espéré le meilleur pour la collaboration avec le compositeur Christopher Larkin, évidemment de retour sur cette suite. Verdict ?
Sans surprise, Silksong valait l’attente, et si vous laissez l’actu vidéoludique pénétrer ne serait-ce qu’un peu vos fils d’information, vous en avez forcément entendu parler. Plus de temps, plus d’expérience, plus d’argent, tout a été (probablement) plus simple, et tout est huilé à merveille. Musicalement, Christopher Larkin marque néanmoins un léger écart par rapport à sa première partition. Hollow Knight était une quête d’errance dans un monde riche mais muet, avec des heures passées perdues sous terre, dans un monde dans lequel le vide ne prend que légèrement le pas sur l’hostilité. On y vivait alors la musique comme la matérialisation de cet état intérieur. Douce, inquiétante, parfois très absente, elle était comme un sombre double du travail effectué sur Breath Of The Wild, pour prendre une référence plus parlante. Au calme d’un esprit qui s’empare d’une immensité à explorer, s’opposait la tristesse d’un monde mort et que l’archéologie assombrissait encore.
Dans Silksong, le personnage qu’on incarne est une chasseuse, et l’archéologie post-romantique laisse désormais la place à un chanson de geste néo-classique. Si Larkin affirmait l’an dernier dans un entretien avec Polygon que certaines compositions de musique de combat étaient directement inspirées de pièces pour cordes de l’époque baroque, Vivaldi notamment, c’est ici monnaie courante. Les (rares) zones calmes sont illustrées par des violons qui oscillent entre le minimalisme contemporain et ce qu’on peut imaginer avoir été composé dans l’histoire du cinéma pour illustrer la Comté du Seigneur des Anneaux, le reste trouve diverses solutions pour instaurer une tension qui quitte rarement les joueurs·euses. Comme le jeu fonctionne par biomes, les parcourir permet de mesurer l’étendue du travail nécessaire non seulement pour écrire un thème par zone, mais également pour faire en sorte de se distinguer immédiatement de la précédente, de la même manière que les couleurs ou le rapport minéral/végétal peut le faire visuellement. Pour bien se rendre compte, on peut écouter la musique de l’atroce biome du « Chemin du Pécheur », et la façon dont elle se poursuit en se distinguant dans sa suite, l’également atroce « Bilesac », puis l’infâme « Brumes ». De la clarinette, comme un chant qu’on essaie de maintenir dans sa tête pour passer les épreuves, on passe à la voix humaine, prolongement historique de cet instrument, et annonçant une présence spectrale évidente dans la suite et son orgue. Fasciné par Ocarina Of Time, Larkin a plusieurs fois expliqué que c’est en y jouant qu’il a appris l’importance de la musique pour créer des environnements distincts.
Au-delà de l’illustration pure et de la mise en écosystème, la musique de Christopher Larkin est également une partie prenante du gameplay et du world design. Dans le monde de Silksong, tout est musique, car tout est polarisé par la foi. Des orgues en arrière-plan, au monde de la chorale, à tous ces lieux dont le sol est jonché de cloches ecclésiastiques, le mystère d’une religion à laquelle on ne comprend rien est rendu par l’omniprésence de personnages musiciens, de fils d’araignées sur lesquels Hornet joue pizzicato, de pèlerins qui cherchent à garder la foi malgré toutes les raisons de la perdre en chantonnant dans des couloirs infestés par la mort. Mariée au sound design (on pense notamment aux murs de cloches dans lesquels on tape fréquemment), la bande originale proposée par Christopher Larkin est le grouillement dans lequel ce monde d’insectes vient prendre sa forme, jusqu’à frôler par moments le jeu de rythme. Mention spéciale donc au combat contre ces deux guêpes, immédiatement proposé sous forme de ballet, pour une valse à quatre temps dans laquelle Larkin emprunte la mélodie à Rameau et le glockenspiel à Mozart, et qui est probablement le moment où le jeu assume frontalement à quel point il est aussi un jeu musical.