Basic Volume

Gaika

Warp Records – 2018
par Émile, le 10 septembre 2018
7

Y a-t-il une hype Gaika ? Cette question, il est moins intéressant d'essayer d'y répondre que de se demander pourquoi on a envie de se la poser. On lit beaucoup de choses sur Basic Volume, certains journalistes faisant de cet album le renouveau ultime du rap mondial, un éclair éblouissant dans une nuit de pollution lumineuse. Pour nous, il s'agirait d'être plus mesuré: d'abord, Basic Volume n'est peut-être pas ce tsunami messianique dont on parle. Ensuite, si on peut avoir l'impression que Gaika est un artiste émergent, il y a de quoi transformer notre écoute de cet album si l'on parvient à se rappeler que ce n'est pas du tout le cas.

Cela fait de fait plusieurs années que le bonhomme traîne dans les parages, naviguant à vue dans les méandres du grime et des sous-genres qui l'environnent. Si Basic Volume peut être techniquement considéré comme son premier album, ce n'est absolument pas son premier projet. Gaika, c'est d'abord la tête pensante de Murkage, collectif à qui l'on doit quelques tracks bien sévères (dont des featuring, bien connus chez nous, avec Orelsan et Nekfeu). Mais c'est aussi le boss de Non Worldwide, label / collectif qui rassemble des artistes engagés dans une certaine version de des musiques afro-alternatives, comme Chino Amobi. Voilà qui explique que la qualité d'un album comme Basic Volume nous surprenne peu, et en même temps énormément.

Si on est surpris, et en bien, c'est déjà par la propreté des instrumentaux et par la cohérence du projet. Gaika a concentré son style dans une sorte de version afro-britannique de la vaporwave: du ragga psychédélique, des nappes, des basses lourdes et un auto-tune efficace au possible. L'ambiance générale est peu surprenante au regard de ce qu'il a pu produire par le passé, mais c'est cette uniformisation (probablement très influencée par la signature chez Warp) qui n'était pas attendue. Ce qui étonne plus dans ce changement de projet, et c'est ce qui déçoit dans l'album, c'est la fin de la folie rythmique qui régnait sur certains de ses tracks. Basic Volume est le projet d'une professionnalisation d'un artiste qui utilisait beaucoup l'absence de codes pour faire passer son message. Les incursions de drumkits réservés à la bass music ou aux musiques électroniques, les brisures impromptues des séquences, la belle instabilité de certains échafaudages, tout cela manque à ce premier « véritable album ». A des fins (tout à fait justifiables) de popularisation de sa musique et d'extension de son public, l'expérimentation, qui était structurelle, est désormais concentrée dans les intros et les interludes.

Et si on regrette cette absence de surprises dans la dernière mouture de sa musique, c'est aussi parce qu'on est bien conscient du talent du type, et de la qualité de son message. Face au rap de la futilité, du rêve d'ascension socio-économique ou du mal-être des gamins de banlieue résidentielle, Gaika fait une nouvelle fois preuve du sérieux de son rapport à l'art. D'où le côté très sombre d'une musique qui cherche avant tout à montrer les fissures d'une société peu éblouissante. Le meurtre, le racisme, les problèmes de politique sociale, tout y est traité avec finesse et profondeur: la franchise des textes sur l'excellent « Immigrant Sons (Pesos & Gas) », dans lequel on y entend allègrement du « I wanna see you in rebellion » et du « Fuck your politics », le propos poétique qu'on peut déceler dans « Crown & Key » sur les micro-agressions du quotidien que subissent les minorités, ou encore le très beau texte sur les aspirations des êtres humains dans le morceau qui conclut l'album, « Spectacular Anthem » (« It's ok to dream / It's ok to trust »). Dur de trouver un rappeur qui aille avec autant de précision dans la poétisation et la fragmentation de son écriture.

Ce qu'on retient, c'est que Basic Volume aurait dû sortir avec une notice : Vous ne connaissez pas Gaika ? C'est beau, c'est frais, c'est original ; vous le connaissez déjà ? Attention, il a élargi son spectre d'écoute. Si vous êtes dans le second cas, profitez quand même d'une nouvelle fournée de Gaika, parce qu'on retrouve tout ce qui nous avait rendus clients des précédents EPs ; si vous êtes dans le premier, enjoy.