Another Side

Leo Nocentelli

Light In The Attic – 2021
par Émile, le 17 décembre 2021
9

À quoi ça tient, d’avoir sa place dans l’histoire de la musique ? Un océan aussi complexe que celui-là, on semble parfois le tenir par de grandes lignes directrices : sa marche de la modernité, son exploration des techniques électriques, ou sa masculinité, sont tout autant de rochers sur lesquels on peut se reposer quand on l’étudie. Et puis il y a, par-delà les grandes déterminations, le reste du flot dans lequel, la démocratisation des pratiques musicales s’accélérant, il devient de plus en plus facile de se perdre. Si bien qu’on aurait envie de dire qu’on comprend souvent plus facilement les raisons pour lesquelles on n’est pas rentré dans cette histoire, que celles pour lesquelles on y est effectivement rentré. À cause de circonstances extraordinaires, Leo Nocentelli représente ces deux catégories.

Au début des années 1960, il a quatorze ans et obtient déjà des cachets en backant des gens comme Otis Redding. À partir de seize ans, Leo Nocentelli est un musicien professionnel et à partir de 1968, avec quelques membres du groupe auquel il appartient alors, les Hawketts, il forme un nouveau collectif avec lequel il enregistrera deux titres qu’il a composé. Ces morceaux sont publiés sous le nom de The Meters. La suite, c’est une petite décennie de succès et de moments de partage avec les autres grands noms de la scène de la Nouvelle-Orléans que sont Dr John, Professor Longhair, ou bien entendu Allen Toussaint. Ce dernier aura un rôle important à jouer dans la carrière de Leo Nocentelli, puisqu’il sera son pianiste pendant plusieurs sessions d’enregistrement au Cosimo Matassa’s Jazz City Studio au début des années 1970. De fait, parallèlement aux disques enregistrés avec les Meters, Nocentelli cherche à construire une carrière solo. C’est l’époque de Dr John, de McCartney, de Dylan, et d’une foule d’artistes qui cherchent à vivre de la folk music.

Alors pourquoi n’a-t-on retenu que le Nocentelli : Live In San Francisco de 1997, alors qu’il était en pleine explosion au début des seventies ? En 1973, l’album est terminé, mais Nocentelli est plus que jamais concentré sur la tournée des Meters, en pleine bourre à l’époque. Ils signent à la Warner et s’installent dans le Sea Saint Studio de Toussaint. Jusqu’à la fin des années 1970, le groupe produira au moins un disque par an, et les enregistrements solo du leader et guitariste seront rapatriés à Sea Saint, jusqu’en...2005. Sortis des eaux après l’ouragan Katrina, ils atterriront en Californie et seront récupérés par Mike Nishita, gros collectionneur de disques (de bandes en l’occurrence) et accessoirement frère de Mark Nishita, producteur des Beastie Boys – on sait, ça devient compliqué. Le fait est que c’est Nishita qui va rappeler à Leo Nocentelli que ses enregistrements sont en vie, en prenant contact avec lui. Mais les seventies sont finies, et l’album, qui aurait pu être un véritable carton à l’époque, devient un regard vers le passé.

Sauf que chez Light In The Attic, le regard vers le passé, c’est leur filon. Et on comprend que cela fasse plusieurs années qu’ils cherchent à l’éditer, puisque l’unique album solo du leader de The Meters est un petit bijou. Dans « Riverfront » ou « Give Me Back My Loving », on sent toute sa maîtrise des rythmiques funk et sa capacité à surpasser nombre de ses contemporains dans ce domaine. Pourtant, en fin de compte, Another Side est une pépite de folk et de blues, dans laquelle Nocentelli chante une quête existentielle et un constat d’incomplétude permanent, comme le montre la suite de questions dans le religieux « Tell Me Why ». Difficile de ne pas mentionner le dernier morceau du disque, une reprise absolument magistrale du « Your Song » d’Elton John, parue quelques mois à peine avant l’enregistrement, et à propos duquel on se dit : et dire qu’on a failli ne jamais pouvoir l’entendre.

Le goût des autres :