A flame my love, a frequency

Colleen

Thrill Jockey Records – 2017
par Émile, le 29 novembre 2017
5

A flame my love, a frequency est déjà le septième album de Cécile Schott, et très probablement l'album de la transformation. Habituée aux couleurs acoustiques, à la viole de gambe et aux structures de la musique minimaliste, la Française a décidé de changer sa façon de travailler en passant du côté électronique de la production, et en troquant ses pédales d'effets contre de véritables synthétiseurs. Vraie bonne idée?

Travailler sur tout un album avec un unique outil primordial, cela modifie radicalement les conditions de création. Colleen a donc exploré les limites du synthétiseur Critter & Guitari, un peu à la manière d'un Jonathan Fitoussi, c'est-à-dire une créativité enroulée dans la maîtrise technique, et non plus simplement déroulée grâce à cette même maîtrise. Pour bien comprendre A flame my love, a frequency, il est important de se rendre compte de l'objet avec lequel elle travaille, ce petit instrument appelé « Organelle ».

Cette idée de centrer son œuvre autour d'un instrument, qu'il soit acoustique ou électronique d'ailleurs, est à la fois fascinante et rapidement problématique, surtout dans la mesure où l'identité de Colleen résidait dans sa capacité à arranger différentes parties instrumentales en une trajectoire uniforme, puisqu'elle jouait elle-même de tous les instruments. Très difficile alors, dans ce changement de cap, de ne pas prendre la capacité à maîtriser l'outil pour de la créativité.

Il y a cependant autre chose derrière cet album, mais quelque chose qui ne fait que repousser plus loin les limites de la solitude musicale, une angoisse ontologique sur la fragilité de l'existence dont l'artiste elle-même dit qu'elle est à l'origine de ce nouveau projet, elle qui habitait Paris au moment des attentats de novembre 2015. De la tension émotive, une maîtrise technique et une très belle position donnée à la voix dans cet album, cela ne pouvait pas être mauvais.

Et pour le coup, ce n'est pas la qualité de la production qui manque à son nouvel album. La multi-instrumentiste a encore fait du très bon travail à ce niveau. Les sonorités du Critter & Guitari sont travaillées de façon originale, et varient d'un bout à l'autre de l'album. Difficile de constater une vraie faute de goût ou une tentation pour la facilité dans la construction des morceaux comme dans la justesse de la voix. A vrai dire, quand on met l'album en route, il y a même une ambiance magique qui s'installe dans le salon. On ne voit pas vraiment le temps passer, mais si on ne le voit pas vraiment passer, c'est aussi parce que fondamentalement, le nouvel album de Colleen est un album dans lequel il ne se passe pas grand-chose.

Attention, pas qu'on soit contre l'ambient et la musique minimaliste, au contraire : c'est plutôt la répétition des tactiques de construction et de mise en place de l'ambiance qui ternit le tout. Cette sensation que l'on peut éprouver à l'écoute, un mélange de mélancolie et d'ennui, c'est probablement le résultat de ce travail très solitaire, et qui impose à l'auditeur cet effort (trop) exigeant de pénétrer l'intimité d'un autre être humain. Paradoxalement, la qualité indéniable de l'album pâtit d'une trop grande passion dans sa création, d'une trop grande implication de l'artiste dans son œuvre, la rendant potentiellement inaccessible. Il ne s'agit plus pour Colleen de se préoccuper de ce qui se fait musicalement à ce moment de notre histoire culturelle, de ce que les gens sont prêts à entendre, ou ce qu'ils sont capables d'entendre, mais d'explorer ses états intérieurs d'autant plus profondément qu'elle maîtrise ses outils de création musicale.

Colleen est une sorte de mélange entre Brian Eno et Sufjan Stevens, et elle a déjà prouvé à maintes reprises qu'elle savait tout à fait nous étonner, mais ici, l'ensemble est trop cotonneux, trop avare en aspérités pour qu'on puisse s'y accrocher sans avoir à s'imposer une fusion émotionnelle avec l'artiste. Dommage venant d'une artiste aussi unique en son genre.