Dossier

2021 en 20 albums

par la rédaction, le 6 janvier 2022

#10

Harlecore

Danny L. Harle

Le 30 janvier 2021 nous apprenions avec tristesse le décès soudain de SOPHIE, productrice de musique électronique de génie, proche de l’esthétique loufoque du label PC Music et icône de l’hyperpop. L’idée qui a guidé toute la carrière de SOPHIE aura toujours été de casser les barrières entre les genres. Dans cette même veine, Danny L Harle a fourni en 2021 un des plus beaux hommages à ce mouvement avec son projet Harlecore. Parcouru d’excentricités en tous genres, l’album renvoie clairement à l’exubérance bien débile de l’eurodance et du (happy) hardcore des années 90. Mais il propose également du gabber bien brutal, et des plages ambient. Danny L Harle assemble avec brio toutes ces influences pas toujours élégantes pour produire quelque chose de très accessible et malin. L’album s’écoute comme on déambulerait dans un festival qui se termine, ivre et euphorique. Une recette qui aurait certainement comblé SOPHIE...

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#9

Promises

Floating Points, Pharaoh Sanders & The London Symphonic Orchestra

Il est très difficile de ne pas tomber amoureux de Promises, de ne pas être au bord des larmes - moins pour ce que peut représenter ce disque pour le saxophoniste de 80 ans que pour l'élégance avec laquelle le silence sublime le bruit. Promises, c'est de l’optimisme trouvé dans quelques verres à moitié vides, c'est une porte ouverte sur l'infinité des possibles, c'est une musique libre, à la lisière de l'écrit et de l'improvisé. De cette rencontre entre un Floating Points qui s’affirme loin de ses machines et un Pharoah Sanders soucieux de faire de cette partition son chant du cygne, on y a trouvé une claque, un voyage somptueux qui conjugue l’émotion et la retenue dans un firmament de beauté. Et le plus beau dans tout ça, c'est qu'on ne l’a absolument pas vu venir. La preuve que même avec un pareil casting, les snobs que nous sommes ne sont pas toujours capables de distinguer une cuillère de caviar d’une autre remplie d’œufs de lump.

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#8

L’Étrange Histoire de Mr. Anderson

Laylow

Avec TRINITY en 2020, Laylow semblait avoir livré son classique. L’album-concept est un des derniers bijoux du rap pré-Covid ; il parvient à s’envoler au-dessus de la mêlée en soudant toutes les émotions et velléités du Toulousain au sein d’un disque unique. Difficile de passer après tout ça. Mais L’Étrange Histoire de Mr. Anderson évite le piège Matrix Reloaded. En piochant dans l’esthétique de Tim Burton ou David Fincher, en proposant des couleurs musicales plus organiques voire old school. L’objectif de ce nouvel opus est simple : raconter les années d’errance du jeune Laylow dans univers bourré de références cinématographiques et de clins d’œil nostalgiques à la pop culture. Quand Lewis Carroll rencontre 50 Cent, cela offre un beau terrain de jeu pour raconter des histoires originales.

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#7

Spectre : Machines of Loving Grace

Para One

Dans son poème "All watched over by machines of loving grace" de 1967, l'écrivain Richard Brautigan imagine un futur où les machines permettent aux humains de retourner vers la nature. Une utopie (à l'époque) qui a visiblement pas mal travaillé l'ex-producteur de TTC pour son premier album en dix ans, qui porte en lui tout son travail de metteur en musique pour Céline Sciamma, mais aussi les germes d'un futur musical en pleine maturation. Quelque part entre tradition et modernité, acoustique et électronique, Machines of Loving Grace est un disque qui voyage entre l'Asie, l'Indonésie, ou encore la Thaïlande tout en gravitant au plus proche des obsessions de son géniteur : on y entend volontiers du Ryuichi Sakamoto, du Steve Reich, ou encore du Geinoh Yamashirogumi. Mais dans la façon dont ce disque respire, dans sa proposition et sa précision, pas de doute : non seulement il s'agit bien d'un album de Para One, mais en plus ce troisième album est probablement son plus beau, et son plus riche à ce jour.

#6

Bright Green Field

Squid

La bataille fut rude cette année, en terre d’Albion. En janvier, coup de semonce du côté de Shame qui lance les hostilités avec leur deuxième album. Dans la brèche, s’engouffrent une triplette de jeunes prétendants au trône, tous mis en selle par le producteur Dan Carey. Entre l’intimidante ambition de Black Midi, l’art-rock épique de Black Country, New Road et le post-punk débridé de Squid, chacun affichait le nombre de trophées nécessaires pour se hisser dans les hauteurs du top. Après deux côtes fêlées et une orbite fendue, un accord de paix fut signé, accordant la place à ces derniers dont l’énergie et l’efficacité ont unanimement convaincu. Littéralement mené à la baguette par la rythmique de Ollie Judge, Squid a confirmé à quel point leur collision claviers/guitares/cuivres était capable d’abattre des murs, tant sur ce premier album que sur scène. Argument ultime : il faut toujours récompenser les groupes portés par une chanteur/batteur. Toujours. C’est la règle.

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#5

Palais d’Argile

Feu! Chatterton

Avec Palais d’Argile, les cinq gaillards de Feu! Chatterton franchissent un cap et font évoluer leur rock lettré (parfois un peu trop écrit ou trop articulé) vers un conte rétrofuturiste dense et flamboyant. Bien sculpté par la French Touch d’Arnaud Rebotini, le disque évoque l’atrophie de nos humanités par la technologie tantôt via des titres dansants aux teintes électro, tantôt par l’intermédiaire de chansons mondes qui lorgnent alors vers Cantat, Ferré ou Brel. Grace à sa richesse musicale et à sa densité thématique, il nous semble que Palais d’argile pourra rejoindre la liste des albums concepts de chanson française (ex : La Superbe de Biolay, Fantaisie Militaire de Bashung) qui ont su faire prendre une nouvelle dimension à leurs auteurs par l’espace de liberté inédit qu’ils se sont octroyés.

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#4

We Are All Alone In This Together

Dave

Deux ans seulement après un album auréolé du Mercury Prize, revoici Dave, toujours bien décidé à faire saigner son carnet de rimes. Et de fait, le titre de l’album et les premiers mots prononcés sur le disque (« I remember when I used to be innocent / Ain’t shit changed, I’m a young black belligerent ») suffisent à délimiter les contours d’un disque qui va osciller entre réflexions personnelles et observations d’une société britannique percluse de maux. Si on peut imaginer que le succès critique et populaire de PSYCHODRAMA n’était absolument pas calculé, on sent qu’il est autrement sur We Are All Alone In This Together. À l’image de ces productions hollywoodiennes dont le timing, le casting et l’écriture semblent pensés pour caresser dans le sens du poil les votants de l’Académie des Oscars, ce second album de Dave pense bien à cocher toutes les cases qui lui permettront de rafler une nouvelle fois la mise, et ce ne sera pas volé. Car derrière les calculs malins du Londonien et de son équipe, il y a un disque bourré d’âme, et qui valorise l’écriture dans le rap comme peu d’autres sauront le faire cette année. De très loin le plus beau grower de 2022.

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#3

Intimate Immensity

Tomaga

Non, on ne lancera pas Tomaga sur les rails du rêve brisé par la mort, on ne dira pas que le duo allait enfin devenir ce qu’il avait toujours pu espérer, et que le prochain disque aurait été le classique du troisième millénaire. Ce n’est pas vrai, et ce qui a toujours été beau dans son histoire, c’est justement cette créativité au présent. Jamais le langage n’a servi à sur-vendre ou sous-vendre leur musique. Jamais Tomaga n’a été autre chose que ce qu’on a reçu à entendre d’eux. Sur cet ultime disque, la créativité de Valentina Magaletti et Tom Relleen atteint cependant une version d'elle-même particulièrement élaborée, et que la batteuse ne pourra pas poursuivre avec la mort de son camarade de jeu. Ce qu'on espère désormais, c'est qu'un subtile mélange de bouche à oreille, de mémoire collective et de rééditions sporadiques permettent à Tomaga de devenir ce qu'ils ont toujours été pour celles et ceux qui ont su les aimer.

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#2

Sometimes I Might Be Introvert

Little Simz

Difficile de se frayer un chemin entre les deux grandes divas de la musique urbaine mondiale que sont Beyoncé et Rihanna quand on parle avec un accent cockney à couper au couteau. C'est pourtant la performance réussie par Little Simz sur ce cinquième album, sorte de To Pimp A Butterfly à la sauce Worcestershire. Avec le classique de Kendrick Lamar, Sometimes I Might Be Introvert partage cet amour pour le storytelling ambitieux et le raffinement de tous les instants. Dix neuf titres à la replay value indéniable dans lesquels la belle met toute sa palette de talents, sortant régulièrement de sa zone de confort dans un disque à la production aventureuse, mené à la baguette d'un bout à l'autre par sa génitrice touche-à-tout qui garde la main-mise sur le produit fini. Un disque qui rendrait fières les Lauryn Hill et Missy Elliott des grands jours.

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#1

GLOW ON

Turnstile

Jamais il n'y a eu autant consensus autour d'un disque dans nos discussions de fin d'année. Déjà largement adoubé par les suiveur·euses de tout ce qui s'est fait de bien en punk hardcore ces dix dernières années, Turnstile a cette année accompli quelque chose de bien plus immense en s’ouvrant grand les portes du succès populaire et critique avec tout ce que cela implique désormais. Car ce n’est plus sujet à débat : Avec GLOW ON, Turnstile a sorti son meilleur disque et réussi à capturer l’attention d’une audience qui ne s’était pas forcément intéressée à ce type de circuit auparavant. Et c’est d’autant plus une bonne nouvelle que le groupe de Baltimore accueille tout le monde dans son pit sans faire de distinction. À la fois cohérente et inclusive, la vision du hardcore prônée par Turnstile démontre à quel point ce genre peut continuer de se transcender sans se renier. Grâce au travail entrepris d’abord avec l'insouciant Non Stop Feeling en 2015 puis le plus audacieux Time & Space en 2018, un disque dont nous saluions déjà l’envie de brouiller les pistes, Turnstile poursuit ses aventures musicales avec un album qui a su totalement réimaginer les codes de ce genre dans lequel le groupe gravite depuis des années. Euphorisant, bourré d’influences diverses, leur nouveau projet montre à quel point Turnstile a toujours eu le feu sacré, en dépit des critiques des puristes. Même s’il ne suffit pas d’ajouter de la pop et de la reverb pour cartonner, les étoiles s’alignent au-dessus de cette œuvre tubesque et irrésistible, conçue avec le cœur, et qui permet à Turnstile de garder la lumière braquée sur eux. Par la force du travail bien fait, d’une authentique passion qui transpire dans tout ce qu’a proposé cette entité depuis son éclosion, mais aussi avec une liberté créative certainement plus marquée que ses pairs, Turnstile s’est offert et nous a offert un grand disque en 2021, une étincelle de bonheur qu'il a parfois manqué dans nos quotidiens chamboulés. Il était encore trop tôt à sa sortie il y a trois mois mais nous avons désormais plus de certitudes : nous sommes en présence d’un game changer, un vrai.

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