Dossier

2022 en 20 albums

par la rédaction, le 9 janvier 2023

Vous savez ce que c'est, vous connaissez les règles, les lois mêmes, ce sont les mêmes depuis des décennies, et personne, surtout pas nous, n'a le droit d'y échapper (certains ont essayé, on ne les a plus revus) : une fin d'année exige un top. N'importe lequel, tant que c'est classé, parfaitement élitiste, superficiel, et complètement de mauvaise foi. Goûte Mes Disques (qui peut être, parfois, tout cela à la fois) ne déroge pas à cette règle. Et en cette année 2022, qui fut tout aussi riche que foutraque (on pense à Courting, Viagra Boys, King Gizzard & The Lizard Wizard et fred again.., tous bien présents dans notre classement des meilleures chansons de l'année), il fut, pour la rédaction, à la fois aisé (que de merveilles) et ardu (trop peut-être ?) de vous livrer ce classement, ultime, absolu, génial, personnel, des meilleurs disques de cette année 2022.

#20

billy woods

Aethiopes

Du Tana Talk 4 de Benny The Butcher au X de Westside Gunn en passant par The Liz 2 de Armani Caesar, la clique Griselda aura contribué à alimenter notre obsession pour son travail en 2022 - et pour le rap dit “alternatif” en général. Pourtant, au moment de l’arbitrage final, c’est un autre rappeur habitué aux chemins accidentés qui leur souffle la vedette : moitié de Armand Hammer et basé à New York où il gère depuis 20 ans le label Backwoodz Studioz, billy woods a sorti cette année deux disques qui, par les histoires qu’ils racontent et les atmosphères qu’ils façonnent, proposent quelque chose d’unique. Et comme il fallait choisir entre Chruch et Aetiophes, c’est ce dernier qui remporte la mise, et consacre l’association entre le flow grave de billy woods et les productions minimalistes de Preservation. À eux deux, ils ont produit un disque fascinant, qui s’impose comme l’antithèse absolue de ce rap pensé par pour les algorithmes dont on nous gave à longueur d’année.

#19

Lucifer on the Sofa

Spoon

Les groupes indie qui durent ou qui s’accrochent, il y en des tas. Mais ceux qui tiennent encore la route après 25 ans, voire qui se bonifient avec les années, ça ne court pas forcément les clubs. Et Spoon fait bel et bien figure d’exception et confirme donc cette règle un peu boiteuse si l’on passe en revue ces albums sortis avec une régularité rassurante depuis 1996. Et même si on croit être en terrain archi-connu, on finit toujours par céder au charme du groupe. En pleine possession de leurs moyens, les Texans prouvent une fois de plus que l’on peut faire perdurer une formule sans pour autant se reposer sur ses lauriers. D'ailleurs, si le futur du rock classique sonne comme "Wild", on a tout de suite moins peur de vieillir.

#18

L'amour

Disiz

Le plein de streams – au fil d’une présence gloutonne sur Tiktok et une rengaine chorégraphiée en tendance – témoigne d’une certaine réussite, sans pour autant assurer un pass doré pour les tops de fin d’année. La capacité à renouveler sa carrière ainsi que ses connexions, tout en bravant les effets du temps, un peu plus : cette année, Disiz s’est en effet présenté comme un homme du moment, lucide sur son parcours et la place qu’il pouvait occuper à un instant t de sa vie. Son disque, surtout, vient matérialiser l’une des trajectoires qui lui a cédé cette place même, lumineuse et touchante. Avec une narration réflexive, au travers de laquelle les changements de ton s’opèrent aussi bien dans le fond que la forme, il laisse une marque sublime dans l’histoire. Et donc, dans notre top.

#17

Wet Leg

Wet Leg

Comment absorber le succès écrasant d'un single (l'incontournable "Chaise Longue") et s’efforcer d’intégrer ce cadeau empoisonné dans un ensemble du même calibre ? Wet Leg relève le défi avec un premier album particulièrement malin qui évoque des dizaines de petites choses connues sans que l’on puisse totalement mettre le doigt dessus. Un peu post-punk, un peu bedroom pop, le tandem partage ses réflexions actuelles de jeunes filles paumées tout en chatouillant les instincts nostalgiques de celles et ceux qui restent agrippé·e·s à Pavement ou Elastica. Sans viser le coup de génie, Wet Leg est simplement l'une des meilleures choses qui pouvaient s’échapper d’une chambre d’étudiantes cette année, à la fois féroce et réconfortante. Un feel good album qui pose sans doute les bases d’une feel good carrière.

#16

Gemini Rights

Steve Lacy

Alors que Steve Lacy s’acharne dans le milieu de la musique depuis une plombe, 2022 aura été l’année d’un pop magistral : le jeune artiste a enfin quitté sa zone obscure pour mettre un pied dans le mainstream, avec son flot d’écoutes et de visibilité. Jusque-là, rien de très original pour un artiste issu de la hype américaine. Notre poulain a cependant trouvé ce succès sans jamais travestir sa recette – même le temps d’un single. Devenue une valeur de la tendance, son œuvre emprunte bien des courants obliques et sinueux au travers du funk, des musiques du monde, du rock et de la nu-soul. Il lui suffisait d’adopter de nouveaux outils, de rejoindre d’autres artisans. Au-delà de la qualité inestimable de sa musique, très élégante bien que brouillonne au possible, il convenait de saluer cet exploit qui envisage, de surcroît, des thématiques modernes, avec des questions relatives à l’identité, notamment sexuelle. Une réussite totale et incontournable.

#15

SOS

SZA

La musique de SZA ressemble à ces messages qu’on écrit mais qu’on n’envoie jamais, ces soliloques qu’on garde pour nous, mais qu'elle préfère partager avec le monde entier. Et contrairement à Taylor Swift sur Midnights, SZA n’utilise pas d’euphémismes proprets pour évoquer ses ruminations nocturnes, elle sonne authentique, avec ses travers et ses qualités. En sortant un album plus mur et nuancé, plus riche musicalement et vocalement, SZA se montre en réalité à la hauteur des espoirs placés en elle cinq années plus tôt sur un Ctrl déjà excellent, et qui la voyait capable de faire le trait d'union entre des univers pop et hip hop avec une aisance folle. SOS est donc l'upgrade du logiciel tant attendu, et on peut se féliciter qu'aucun bug ne soit venu troubler la transition.

#14

Diaspora Problems

Soul Glo

Quelque part entre post-hardcore, punk, emo et noise, le groupe de Philadelphie tape dans tous les sens sur son premier album mais va aussi chercher de l’eau pour son moulin du côté du screamo et du hip-hop. Tout au long des 40 minutes de Diaspora Problems, Soul Glo fait preuve d’une telle vivacité que son écoute est autant une expérience électrisante qu’éreintante. Mais c’est cette radicalité et sa générosité qui en font le sel et placent le groupe de manière admirable dans son époque. Un album passionnant, tendu tout du long et surtout un bel indicateur de la porosité aux influences extérieures dont la scène hardcore peut encore faire preuve, et souvent avec brio d’ailleurs.

#13

Ants From Up There

Black Country, New Road

Ants From Up There est un disque qui impressionne par l'alchimie qui unit ses membres. Les longues sessions semi-improvisées sont ici monnaie courante et réussissent à se classer parmi les titres les plus épiques jamais composés par BC,NR. Purification cathartique, bande son d’apocalypse, euphorie de 12 minutes : sélectionnez l’orgasme de votre choix. Le batteur Charlie Wayne est en démonstration totale et rien que pour entendre du kazoo qui part en couille, le ticket d’entrée est justifié. Mais on le voit aussi de façon assez évidente : BC,NR s’emmerde assez rapidement. Autrement dit, ses membres sont dans la recherche permanente du twist narratif qui garde l'ennui au large. N'écoutez pas les mauvais coucheurs (y compris au sein de notre équipe) qui vous diront que le groupe est devenu sur Ants From Up There une sorte de Bright Eyes du pauvre : une fois encore, il va envoyer la concurrence dans les fraises et nous faire comprendre avec ses armes que c’est bien en Angleterre que les lignes du cool se dessinent.

#12

Anadolu Ejderi

Gaye Su Akyol

S’il ne fallait retenir qu’un·e artiste du rock anatolien moderne, ce serait elle. Depuis huit ans, Gaye Su Akyol s’est placée à la pointe du revival du style des années 70. Badass dans ses lignes de basse menaçantes, révoltée dans ses riffs furieux, rêveuse dans ses mélodies, la stambouliote s’avère surtout particulièrement vénéneuse dans des titres qui s’immiscent chaque seconde un peu plus dans nos esprits. Qu’il s’agisse de "Yaram Derin Derin Kanar" ou "Biz Ne Zaman Düşman Olduk" ("Quand sommes-nous devenus les ennemis ?"), elle distille le lent poison du rêve, et s'attaque aux fondements de l’obscurantisme. Notre Wonder Woman à la voix grave, envoûtante, revendique avec une force de plus en plus grande sa liberté. C’est bien le mot clé de cet album : liberté.

#11

ITSAME

Brainwaltzera

Loin de l'étiquette de musique froide qui colle encore à la braindance, Brainwaltzera insuffle une émotion dans une musique qui semble vouloir fuir toute classification, toute volonté d'être enfermée dans un cadre rigide et normé. À la manière des Furtifs d'Alain Damasio, tous les éléments sonores sont bons pour alimenter d'incessantes mutations de ces êtres fantomatiques et indéfinissables. Si l'on devait tout de même disséquer cette étrange bestiole, elle se composerait autant de breaks nerveux de jungle pour modeler sa belle silhouette, de douces ballades electronica pour composer sa colonne vertébrale, et surtout de mélodies IDM tirées au cordeau pour former son cortex cérébral. 17 pistes pleines de mystère et maestria.