Dossier

2022 en 20 albums

par la rédaction, le 9 janvier 2023

#10

Nymph

Shygirl

C’est peu dire qu’on l’attendait, ce premier album de Shygirl, figure de proue d'une pop expé nourrie au grime et à la deconstructed club music, et qui semblait commençait à sortir de l’underground londonien en collaborant avec FKA Twigs et Mura Masa. Plutôt monolithique sur ses thématiques (essentiellement les relations charnelles, mais pas que), Nymph révèle toute sa richesse dans la façon dont il fait exister les nombreuses influences qui font l'ADN de Shygirl. Surtout, il consacre cette capacité qu'à l'artiste anglaise à entrer en symbiose avec les producteurs avec qui elle fricote. C'est bien simple : tout cela est tellement bien exécuté, avec ce qu’il faut de réminiscences de la musique des années 2000 pour entrer en résonance avec la vibe de 2022, que ça en devient tout bonnement fascinant.

#9

Bar Mediterraneo

Nu Genea

Avec trente-cinq minutes pour neuf titres, la démarche artistique de Massimo Di Lena et Lucio Aquilina est chirurgicale ; chaque titre est un tube potentiel. Comme son prédécesseur, Bar Mediterraneo ressemble à ses deux géniteurs, qui parviennent à caser avec beaucoup de talent toutes leurs obsessions au même endroit. Quelque part entre disco et afrobeat, générosité maghrébine et chaleur latine, ce nouvel effort a pour lui une force de frappe grand public, mais surtout ce talent rare de réussir à faire du neuf avec du vieux. Et puis bien sûr, il y a cette ville de Naples qui sert encore et toujours de fil rouge au disque, et dans laquelle le duo puise cette énergie si particulière, propre à sa localisation dans le bassin méditerranéen et au tissu social hétérogène qui la compose – un joyeux bordel qui ne ressemble qu'à elle. Aboutissement d'un travail de sape qui dure depuis de nombreuses années, Bar Mediterraneo est un disque d'une implacable universalité.

#8

Doudoune en été

Jeanjass

L’évocation de JeanJass dans ce classement vaut autant pour les nombreuses qualités de Doudoune en été que pour l’ensemble de son œuvre en 2022 aux côtés de son acolyte Caballero - lui aussi brillant sur le court mais percutant OSITO. Ces dernières années, nous n’avons pas manqué de décauser une carrière d’amuseurs qui ne nous amusaient plus. Peut-être conscients d’avoir poussé le bouchon un peu trop loin, et désireux de s’extirper d’un carcan par trop réducteur, le Carolo et le Bruxellois sont repartis d’une feuille blanche, autour de laquelle ils ont convoqué leurs modèles de toujours, ceux qui brillaient à NY dans les 90s, et leurs rimes les plus piquantes, celles qui convoquent le sport et la bouffe. Auteurs d’un retour en force digne du Ronaldo de 2002, JJ & Caba ont brillé sur tous les formats : en solo donc, mais aussi le temps d’un freestyle Grünt à ranger parmi les plus mémorables de la série et d’un nouvel épisode de l’aventure Zushi Boyz, le projet pour sachants du boom bap qui n’existe que physiquement. 2022, ou l’année où on a compris combien le rap avaient besoin de ces deux-là à leur meilleur niveau.

#7

Renaissance

Beyoncé

Si on dit que quand on touche le fond, on ne peut plus que remonter, cela signifie-t-il que quand on est au top, on ne peut que redescendre ? Lemonade nous avait mis une claque, Homecoming avait déchargé une énergie monstrueuse sur le paysage musical de ces dernières années. Un nouveau disque, sonnant comme un énième nouveau départ, on pouvait être un peu fatigué d’avance. Quelle erreur. Avec RENAISSANCE, Beyoncé intègre le monde de la house, des ballrooms, d’une club culture à la new-yorkaise, sans bouleverser pour autant son noyau esthétique. Une mini-révolution donc, dans laquelle on trouve refuge dans Donna Summer et Giorgio Moroder, les communautés LGBT et l’histoire des musiques électroniques afro-américaines. Le trajet de RENAISSANCE est la continuité d’une artiste qui est passée d’une somme de talents à une somme d’ambitions, de la claustrophobie de la pop à la libération par la musique Après le retour sur soi des derniers disques, la voilà véritablement partie pour une nouvelle aventure, dont on attend impatiemment la suite.

#6

Dawn of the Freak

The Haunted Youth

2022 était une année particulièrement faste pour la Flandre musicale. Derrière la déferlante Charlotte Adigéry & Bolis Pupul et les confirmations (si il les fallait encore) de Tamino, Charlotte De Witte ou Sylvie Kreusch, un premier album a fait l’unanimité au Nord de la Belgique et ne demande qu’à conquérir le monde. Du haut de ses 29 ans, Joachim Liebens alias The Haunted Youth, a réussi avec Dawn Of The Freak à proposer un disque aussi triste que lumineux, aussi classe qu’épuré et qui lorgne autant vers Slowdive que vers le Alan Parsons Project. Nous avions donc à cœur de placer haut dans notre top ce petit bijou de sensibilité qui, on en est convaincu, trouvera une place de choix dans le cœur des amateurs de rock mélancolique.

#5

Spirit Exit

Caterina Barbieri

Depuis 2017 et le bien nommé Patterns Of Consciousness, la productrice italienne fait du synthétiseur un pinceau cosmique, capable tantôt de délivrer du monde, tantôt d’y replonger à la vitesse à laquelle la nature s’offre à nous. Plus direct, plus maîtrisé, Spirit Exit est à la fois une démonstration de son expérience et une ode électrique à l’introspection. Les créations sonores de Caterina Barbieri fonctionnent autant en pistes seules que dans un morceau complet, laissant songer à la masse de travail d’ajustement et d’équilibrage que nécessite un tel disque. Poussant cet amour de la mélodie jusqu’à un « Terminal Clock » qui pourrait presque passer pour du Caribou, Spirit Exit est un produit compliqué qui ne cherche qu’à être partagé avec le plus grand nombre. Une ambient expérimentale mais mélodique, une grande niche musicale accessible à qui a déjà fait l’expérience de la vie intérieure.

#4

Motomami

Rosalia

2022 fut son année. Non contente de dépoussiérer le flamenco sur El mal querer et de décomplexer des artistes espagnols sur leurs racines musicales, la Catalane a voulu voir encore plus grand pour son deuxième album. Comme on peut le comprendre par son titre, MOTOMAMI ("meuf-moto" en français) s’appuie sur deux piliers. Du synthétique et de l’expérimental pour la moto, de l’organique et du sensible pour la meuf. Le flamenco désormais relégué au rôle de flashback, voire de clin d’œil, les rythmiques électroniques chaloupées et les trémolos tire-larmes s’enchaînent. Toutefois et malgré cette symétrie un peu agaçante, résumer les couleurs musicales de l’album à des onomatopées serait franchement malhonnête. Chaque morceau regorge d’éléments au moins étonnants, au mieux carrément ovniesques. Dans MOTOMAMI, il y a de la pop, du hip-hop, du reggaeton, du flamenco, de l’indus', du jazz, de la bachata, de la champeta et des références à la culture japonaise, mais il y a surtout beaucoup de Rosalía. Une artiste qui parvient toujours à imprégner ses mélodies imparables d’un avant-gardisme à toute épreuve. De quoi marquer toute une époque, et faire de l’ombre aux plus grands, surtout lorsqu’il s’agit de la retrouver sur scène où elle enterre définitivement la concurrence.

#3

Moussa

Prince Waly

Prince Waly a tout simplement vaincu 2022. Exemple absolu de résilience, il ne s’est pas contenté de surmonter la série d’épreuves dramatiques qui a miné sa route. Il en a fait un magnifique tremplin, en gagnant de multiples batailles au cours de son combat contre le cancer, aussi bien personnelles qu’artistiques. Il serait d’ailleurs réducteur de ne parler de Moussa qu’au travers du prisme de l’histoire. Si la genèse de cet album importe, le résultat du pari esthétique que l’artiste s’est lancé au cours de celle-ci compte bien davantage : Prince Waly a sorti un pur album de rap, à la fois profond et technique, ciselé, où se mêlent fantaisie furieuse de l’égotrip et intimité sincère, l’ayant enfin mené sur les sentiers du succès – celui qui oublie la particule d’estime. Une qualité d’œuvre, d’abord, et d’être ensuite, trop rare pour ne pas mériter la mention.

#2

God's Country

Chat Pile

On l’avait annoncé il y a quelques mois et on ne s’était pas trompé. God’s Country, hypnotique premier album de Chat Pile, a tourné à foison en cette fin d’année. Et s’il figure aujourd’hui si haut dans ce classement, c’est n’est pas tant pour sa capacité à mêler intelligemment sludge, indus, grunge et noise rock mais surtout pour ce sens du storytelling, à la fois angoissant et drôle, qui imprègne ces titres parfois crasseux et souvent détraqués. Que ce disque ait également réussi à toucher les sphères de non-initié·es aux genres précités témoigne de ses nombreuses qualités et d’une évidente singularité parmi les sorties de 2022. Pour une première livraison long-format, on pouvait difficilement imaginer mieux de la part du groupe de l’Oklahoma dont on a certainement pas fini de suivre les bizarreries l’année prochaine.

#1

Topical Dancer

Charlotte Adigery & Bolis Pupul

Comme l’année dernière avec Turnstile, cette première place n’a jamais fait débat au sein de la rédaction. Et l’évidence s’est imposée pour au moins deux raisons : d’abord elle vient marquer le couronnement d’une artiste qui ne fait que monter en puissance depuis ses débuts en 2017. Au contact d’un Bolis Pupul tout acquis à sa cause mais dont le rôle ne se limite pas à celui d’un vulgaire faire-valoir, Charlotte Adigéry a matérialisé toutes les promesses que l’on avait placées en elle à l’époque de l’EP Zandoli, pour nous sortir un grand disque d’électro-pop contemporaine qui convie le vivre-ensemble sur un dancefloor, et qui ne perd jamais de vue son objectif premier : faire danser les gens intelligemment et leur permettre d'un peu oublier l'époque triste qui l'a vu naître. Ensuite, la paire gantoise offre au label DEEWEE de Stephen et David Dewaele le carton planétaire et indiscutable qu’ils ont bien mérité après toutes ces années d’activisme forcené, eux qui se veulent les dépositaires et les garants d’une vision artistique que leurs poulains ont tous intégré, mais que peu ont su magnifier avec une telle maestria. On aurait presque envie de dire que les élèves ont dépassé les maîtres, mais ce serait mal connaître les deux Gantois, et ce serait surtout très mal connaître la dynamique qui anime Deewee, et en fait aujourd’hui l’un des labels les plus précieux du globe.