Dossier

2008-2013 : le goût des autres

par Tibo, le 5 octobre 2013

Chronique par Benjamin Fogel

Monsieur Playlist Society

My Bloody Valentine

MBV

2013 aura été riche en évènements musicaux et en retours inattendus, à commencer par ceux de Bowie et Boards of Canada. Mais le rythme que s’impose notre monde actuel fait que même le plus important des évènements sera traité, ingurgité, recraché et oublié en à peine vingt-quatre heures. Les débats passent, et les albums ne restent pas forcément. Alors, il faut bien l’admettre, le retour de My Bloody Valentine n’aura été pour beaucoup qu’un épiphénomène, une goutte d’eau dans un océan de consommation effrénée de musique. Et aujourd’hui, cela me paraît non seulement injuste, mais surtout absurde, tant l’indispensabilité de MBV semble implicite.  

Avec MBV, il n’y a pas de « c’était mieux avant », il n’y a qu’un « c’est ». C’est un album qui n’appelle à aucun débat musical: le groupe est droit dans ses bottes, et les chansons sont irréprochables. Toutes les discussions qu’il a pu générer relèvent du débat social, de ce que les gens attendent de la musique en 2013. Il interroge notre rapport à la nouveauté et au temps. Il montre que nous avons du mal à accepter l’immobilité, à accepter qu’en 20 ans il ne se soit passé que l’évolution qui aurait pu se dérouler en six mois. Oui, MBV aurait pu sortir en 1992 sans que personne n’y retrouve à redire. Il aurait été un cheminement normal, mais là parce que le temps a passé, parce que des attentes se sont cristallisées, tout a semble-t-il changé.

Pourtant MBV est tout sauf un album d’époque. Il ne se positionne pas par rapport à notre société, il ne dit rien d’elle ; il semble même prodigieusement s’en foutre. Il préfère vivre dans son coin, loin des plans de carrières, des repositionnements et des stratégies marketing. Il s’agit presque d’un disque artisanal à qui la discrétion va bien. Alors quel est le problème ? Le fait que le mythe My Bloody Valentine s’est construit sur l’idée qu’il s’agissait d’un groupe révolutionnaire, et que MBV prouve qu’au fond il ne s’agit peut-être que d’un groupe casanier qui se sent toujours aussi bien dans son cocon 20 ans plus tard ? Mais si c’est de ça qu’il s’agit, n’y avons-nous pas gagné au change à cette époque où la nouveauté prime sur la qualité ? 

MBV est sorti il y a plus de six mois maintenant et je ne m’en lasse absolument pas, au contraire même. "Only Tomorrow" se fait de plus en plus lancinante, "Nothing Is" me cloue chaque fois un peu plus au sol (il s’agit peut-être du titre qui correspond le mieux à l’image qu’on se fait de My Bloody Valentine en live), et "Wonder 2" me retourne toujours les tripes. MBV est un disque d’exception, un disque définitivement à la hauteur de Loveless, le surpassant même parfois tout en redonnant de l’intérêt à celui-ci. 

Je n’arrive toujours pas à comprendre ce que Kevin Shields et Bilinda Butcher  racontent – les paroles ne sont pas dans le livret –, et je m’en fiche. Ce groupe n’a pas besoin de raconter des histoires, pas besoin d’interpeller l’auditeur par des mots qui pourraient rattacher la musique à une époque. My Bloody Valentine se fiche du temps et de l’histoire, il continue d’évoluer dans un microcosme via son propre référentiel, et pour un groupe qui a tant marqué l’histoire de la musique, ça en est presque touchant.