Dossier

2008-2013 : le goût des autres

par Tibo, le 5 octobre 2013

Chronique par Serge Coosemans

plume à louer et DJ de comptoir

Baxter Dury

Happy Soup

Le meilleur album de ces cinq dernières années? Retenez-moi de trop me la ramener: citer The Feeling of Love et Wall of Death, Total Control, Toy, Eddy Current Suppression Ring, The Soft Moon, Pye Audio Corner, Belbury Poly, Blasted Canyons, White Fence, Tropic of Cancer ou encore une tripotée de groupes garage brouillons et braillards, particulièrement jouissifs et souvent australiens. Voilà des oeuvrettes et des artistes qui représentent selon moi au mieux l’époque et dont il faut, en mission pour Dieu, propager l’excellente réputation, afin d’en plus de se prendre une bonne giclée de plaisir dans les cages à miel, aussi débroussailler une alternative valable et crédible au pire mainstream qui n’ait jamais existé, ce twerk le plus pourri de tous les temps. A l’opposé de ce spectre musical pointu, j’aurais également pu déballer quelques évidences davantage notoires, voire carrément gnangnan : MGMT, The Horrors ou LCD Soundsystem, par exemples, qui sont un peu au-delà du simple bon plan musical, du pari esthétique, qui tiennent déjà davantage du phénomène social. Depuis 2008, voilà ce qu’ont repéré mes antennes. Mon cœur, lui, n’a véritablement battu que pour Baxter Dury et son Happy Soup. Cela ne se décide pas, ce genre d’emballements. Duran Duran a par exemple marqué ma pré-adolescence et Grand Popo Football Club mon passage à la trentaine.

Happy Soup est heureusement objectivement un bien meilleur album que Seven & The Ragged Tiger ou Shampoo Victims, même si je ne le trouve au fond pas si dingue que ça, qu’il a ses défauts, que sa fin est plus laborieuse que son début. J’ai malgré tout du l’écouter environ 3000 fois et c’est assurément celui qui m’a le plus marqué ces dernières années. Il s’est invité dans mon intimité avec la ferme intention de durablement s’y installer. Sans entrer dans les détails impudiques, c’est devenu la bande sonore d’une période de ma vie où j’ai trouvé pas mal de réconfort dans ce spleen moqueur qui est la ligne directrice de Baxter Dury. J’ai aussi beaucoup écouté Happy Soup lors de trajets en Eurostar et j’ai le souvenir de m’être à chaque fois embarqué dans des calculs complètement maniaques pour que le début de la chanson Happy Soup corresponde à l’entrée du train dans le Tunnel. A l’allée, l’accent cockney de la chanson me faisait trémousser du plaisir anticipatif de vadrouiller en UK. Au retour, cette même chanson me plombait les chaussettes de la nostalgie poisseuse des lambchops bio du Sainsbury’s. C’était bien.

De façon générale, j’aime que la musique procure ce genre d’ambivalences, qu’un album puisse rendre joyeux un jour et  triste à l’écoute suivante. J’aime que malgré leur grande fragilité, ces chansons transpirent également d’humour bravache et de force morale. J’aime la sensation cotonneuse, planante, contemplative, un peu ahurie de cet Happy Soup qui me rappelle très fort l’un de mes albums préférés de tous les temps, le Féline des Stranglers (vous aimez l’un, vous adorerez l’autre) mais aussi l’ambiance d’amoureux paumé du premier Modern Lovers avec Jonathan Richman, autre coup de cœur musical durable et déterminant dans ma vie. Bien sûr, l’album ressemble aussi pas mal à l’English Riviera de Metronomy. Là, je retrouve mon rôle de journaliste rock acerbe. English Riviera a fait illusion une demi-heure mais c’est fondamentalement une putain de scie. Il faut jeter English Riviera aux orties. Lui préférer Happy Soup ou alors Coastal Grooves de Blood Orange, vraiment très bien lui aussi, dans un genre très similaire. Tiens, me revoilà en mission pour Dieu.