2008-2013 : 50 personnalités à retenir

par Tibo, le 1 octobre 2013

50.

Gilles Peterson

Gilles Peterson fait partie de cette catégorie assez exclusive de gens qui ont plus que probablement inventé la journée de 48 heures, voire de 72. En effet, comment pourrait-il en être autrement quand on connaît un peu l'agenda du digger/producteur/dj suisse, exilé depuis belle lurette en Angleterre. Et quand on connaît un peu la variété de ses sets ou de ses émissions pour la BBC, qui font de lui l'une des plus grosses encyclopédies sur pattes de la musique moderne, sous toutes ses facettes. Ah oui, ajoutez à cela la gestion de son label Brownswood Recordings (qui a vu passer des gens comme José James ou Ghostpoet) et on tient là un véritable modèle d'efficacité et d'élégance, un serviteur dévoué et finalement plutôt discret au service d'une musique ouverte sur le monde et jamais contre une petite nouba de derrière les fagots. Plus éminence grise, tu meurs…

49.

Diplo

On n'est pas toujours tendres avec Wesley Pentz, à juste titre. Il faut dire qu’on parle du mec qui, en 2013, nous a fait endurer coup sur coup un Major Lazer pas reluisant puis un Snoop Lion désespérant à tous points de vue. Mais si l’on arrive à faire abstraction du fait que le producteur américain aime un peu trop cachetonner dans les festivals pour rednecks ou sortir du banger pompier à un rythme industriel, le père Diplo a aussi le chic de garder sous le coude l'une ou l'autre bombe sale (nous aussi on a eu du mal à ne pas tordre nos boules sur « Look At Me Now » et « Climax »). C’est même pire, puisqu’il incarne aujourd’hui (avec HudMo) le carrefour le plus abouti entre culture mainstream et indie. Et c’est sans doute pour cela qu’on lui pardonne un peu tout: sans lui, on aurait peut-être continué à vivre sans jamais avoir entendu parler de Baltimore, de M.I.A., de Dirty South ou même de Vybz Cartel. Sans lui, peut-être que jamais une fosse de binoclards en Vans vertes n'aurait côtoyé des mecs en bonnet Comme Des Fuckdown. Et peut-être finalement que là où Diplo est essentiel, c'est dans cette formidable qualité d'entertainer qui lui permet de fédérer ce que quatre générations de DJs n'avaient pas réussi jusque là: le grand et le moins grand public.

48.

Tim Cohen

Si la bouillonnante scène de San Francisco avait un Dieu ou un gourou, ce serait sans conteste Tim Cohen. Musicien ultra-prolifique, esprit torturé, génial musicien fan du DIY, barbu asocial, dessinateur de fresques psychédéliques hallucinatoires, Cohen résume tout ce qui a fait vibrer les garageux ces cinq dernières années. Non content d'avoir livré des disques parfaits avec son groupe the Fresh & Onlys, le chanteur a balancé sa parole sainte dans de nombreux groupes de Frisco: Sonny & the Sunsets, Amocoma, Magic Trick… Dont la plupart ne sont que ses projets solo sous des noms différents. Il se démultiplie à l'infini, comme la réverb qui hante chacun de ses riffs, et arpente la ville de la Beat Generation. Et il a été signé sur tout ce que l'Amérique compte comme labels cools, Captured Tracks et In the Red en tête. Ex-aequo avec les géniaux Thee Oh Sees, Cohen est ce qui est arrivé de mieux au garage post-90s. Et sa discographie ferait pâlir d'envie les adeptes du "un disque tous les deux ans." Lui, comme les Oh Sees et Ty Segall, n'en ont rien à foutre. Sous le soleil de San Francisco, on sort un disque tous les trois mois. Une cassette toutes les deux semaines. Ad lib.

47.

Rick Ross

Rick Ross incarne à lui seul le fossé qui sépare les Etats-Unis et la France. Un ancien gardien de prison pourrait-il être un pilier du rap français? Imagine-t-on Oxmo Puccino exhibant ses bourrelets à longueur de clips et de concerts? Alors oui, Rick Ross rappe toujours de la même façon, d'aucuns diront feignante. Mais il a cet avantage que possèdent les obèses (il en faut): une voix qui semble tout le temps essoufflée, naturellement charismatique et avec du coffre à revendre, comme un certain Notorious B.I.G. Et s'il est souvent associé à des bangers débiles depuis « B.M.F » (un titre excellent qui était loin d'être commun en 2011), Rick Ross c'est aussi et surtout une alchimie avec le crew de producteurs J.U.S.T.I.C.E League : des instrus luxuriantes basées sur des semples rejoués. Et puis entendre des vraies lignes de basses bon Dieu ce que ça fait du bien. Le RZA a certes travaillé avec Tarantino, mais qui entend-on au cours d'un magnifique anachronisme dans Django Unchained? Rozay. Et admettons que Booba soit le Rick Ross français, le 92i a-t-il de quoi rivaliser avec le MMG du boss de Miami et ses Meek Mill, Wale, Rockie Fresh, Stalley, Gunplay ou Omarion? Depuis 5 ans Rick Ross est progressivement devenu complètement incontournable, du r'n'b de Cassie (ce « Numb » fou) aux albums de Jay-Z et Kanye West, en passant des albums beaucoup plus qualitatifs qu'il n'y paraît.

46.

Jay Reatard

Sans compter ses compilations de singles, Blood Visions et Watch Me Fall sont ses deux uniques albums solo, par conséquent pensés en tant que tels. Et ce sont deux prodiges. Le premier, enregistré à toute biture et dont le mastering a été poussé à fond les ballons, pue aussi bien la hargne et la bière que la précision d’exécution; Reatard possédait très exactement le don de mettre le doigt sur les accords qui font mal, le tout en moins de deux ou trois minutes chrono. Blood Visions est, et encore plus après quelques années de digestion, un des plus beaux coups de poing balancés dans la face du rock qui se retrouve, comme sur la pochette, la tronche en sang. Sur Watch Me Fall, son ultime disque, Jay se rapproche encore plus d’une certaine forme de perfection pop: les guitares sont de plus en plus débranchées et la recette du binôme couplet / refrain triomphe fièrement et sans coquetterie aucune. Mais au delà de ses singles et albums en solitaire, la monumentale discographie de Jay Reatard contient également un gros paquet de collaborations et projets parallèles à ne surtout pas négliger : Reatards (son tout premier groupe), Nervous Patterns, Lost Sounds, Angry Angles, Terror Visions, soit autant d’incarnations et de panels sonores, synthétiques ou électriques, nerveux et mélodiquement engagés. Une fulgurance du rock moderne, une dramatique désertion, un cruel cliché (absorption simultanée de cocaïne et d’alcool), Jay Fucking Reatard est mort en 2009 à même pas trente ans, après avoir passé la moitié de sa vie à incendier sa cinq cordes sous l’ardeur de ses accords en un déferlement jouissif.

45.

Q

Il se tient éloigné des grandes villes du show business pour demeurer discret dans sa propriété isolée de l'Arizona, il donne très peu d'interviews et se laisse rarement prendre en photo. Sous le nom de Q, Lee O'Denat cache son identité d'agent très spécial du hip-hop. Avec plus d'un million de visiteurs uniques par jour, son site Worldstarhiphop.com est plus fréquenté que la page officielle de MTV. Le site est devenu le symbole d'une époque où l'industrie télévisée, qui il n'y a pas si longtemps se voulait encore si jeune et si fraîche, se retrouve dépassée par n'importe quel quidam détenteur d'une caméra et par conséquent créateur de contenu. WSHH est un agrégateur, un réceptacle, un égout, une dégueulerie vidéo où croupissent filles qui tortillent du cul, bastonneurs du hood et rappeurs qui y postent leurs premiers clips (Rick Ross et tout son crew, Chief Keef, Freddie Gibbs, ...). Une bibliothèque absolument incontournable pour les types qui veulent perdre du temps sur internet, les labels qui y projettent des artistes, les annonceurs qui y lancent des produits, les journalistes qui y piochent des sujets pour le 20h et les flics qui y cherchent l'identité de certains suspects. Q est véritablement un agent, un agent d'un monde où le tabassage d'une handicapée mentale par deux petites ordures permet de faire grimper les ventes de pendentifs ornés du visage de Jésus avec du crunk en fond sonore.

44.

Julien Fernandez

Il fut une époque où chanter dans la langue de Shakespeare quand on faisait du rock en France, c’était la garantie assurée de passer pour des pinpins ou des métalleux. C’était la belle époque de la mise en place de quotas radiophoniques, belle connerie s’il en est, surtout quand on voit la soupe qui en a émergé. Alors bien sûr, il y eu quelques glorieuses exceptions mais autant le dire clairement, on ne voyait pas de groupes français tenir la dragée haute à leurs camarades anglo-saxons. Autrement dit, il y avait de quoi regretter d’être né au pays des fromages. Mais la donne a bien changé ces dernières années. On assiste aujourd’hui à une fragmentation de la désormais foisonnante scène rock française avec d'un côté les tenants d’une pop en french dans le texte (Aline, La Femme ou Granville pour ne citer qu’eux) parfois sympathique, parfois agaçante; et de l'autre les partisans d’un anglicisme assumé dont l’écurie Africantape représente un des plus beaux fleurons avec notamment les excellentissimes Marvin, Papaye, Papier Tigre et Electric Electric. Un label de passionné pour les passionnés qui à travers ses sorties et une politique loin des turpitudes du cirque médiatique s’est rapidement forgé une identité forte et a su créer une véritable émulation qu’on peut constater notamment à travers la formidable aventure de La Colonie de Vacances. On ne saura donc jamais assez gré à Julien Fernandez, l’homme derrière toute cette aventure, d’avoir permis à l’internationale rock et noise de pouvoir enfin situer la France sur une mapemonde, et d’avoir lancé ses troupes qu’on ne semble aujourd’hui plus pouvoir arrêter à la conquête de la galaxie.

43.

Joseph Mount

Pour une partie de la rédaction, Joseph Mount et Metronomy, c'est la musique électronique pour les nuls. Mais c'est précisément là que réside tout le talent de l'Anglais. En intégrant des éléments électroniques au sein de compositions de plus en plus pop, il justifie son intégration au sein de ce classement, comme en témoigne l'évolution entre un Pip Paine (Pay The £5000 You Owe) expérimental et abscons et un The English Riviera truffé de mini-tubes (« The Bay », « The Look »). Au beau milieu de ce chemin sinueux, notre homme a semé quelques remixes insufflant dans les originaux la sonorité si particulière du groupe - le remix improbable du « Toxic » de Britney Spears en est un bon exemple. Comme les Klaxons avec leur premier album, comme Foals, Metronomy s'inscrit dans un songwriting purement anglais rendu original par la digestion d'influences diverses. Joseph Mount se revendique ainsi de Jean-Michel Jarre tout en déclarant en interview rêver travailler avec David Guetta, parce que la pop c'est ça: créer des passerelles entre des univers opposés voire contraires.

42.

Todd Terje

Aussi perturbant que cela puisse paraître, Todd Terje n’a pas, à l’instar de ses comparses Lindstrøm ou Prins Thomas, de grosse discographie à défendre. Mais il suffit de consulter sa page Discogs pour constater combien le Norvégien a un sens du business aussi développé que sa science du tube. C’est probablement ce qui explique aussi pourquoi le génial moustachu remixe tout le monde, mais que personne ne remixe Todd Terje: il n’a de pair connu pour transformer un single catchy ou une mélodie clinquante en une bombe nu-disco. Et personne n’a sa versatilité qui fait que, par tous les temps et toutes les époques, cette machine à danser n’a jamais cessé de se renouveler, de se perfectionner, et d’innover avec ce même feeling de la montée de fièvre réglée au poil. Et vu que ça fait déjà dix ans que le mec bosse de cette façon sans jamais montrer de signes de fatigue, on se plaît à rêver qu’un jour sa pilosité remplira des stades entiers dans des shows sons et lumière à la Daft Punk. Ce serait en tout cas la plus belle des récompenses pour un type aussi humble qu’incontournable dans le paysage de la dance music. 

41.

Regis

Il en a peut-être le nom, mais Regis est tout sauf un blaireau. C'est peut-être même le genre de mec avec qui on ne plaisantera. Du moins si l'on s'en tient à sa musique. Parce que Regis, son truc à lui, c'est la multiplication des pains. Dans la gueule. Une conscience techno qui vibre depuis dix-huit ans et dont la renommée revient à nous comme une vague sur un brise-lame. Merci le revival techno, qui a repopularisé la musique électronique de cave. Merci d'avoir enfin orienté tes spots ces cinq dernières années sur l'un des personnages les plus déterminants de l'histoire du genre. Celui qui fait passer la doublette Klock/Dettmann pour des sosies de Philippe Cortil, celui quarait pu tout apprendre à Perc, celui qui ne peut s'associer qu'avec Surgeon pour trouver un maître à sa hauteur. Le roi de la techno sombre, dark et drone, qui ne vit que pour faire trembler les slips et déchirer les tripes. Celui qui domine tout, et dont le grain techno reste parmi les plus beaux de l'histoire. On vous le répète encore, Regis, c'est tout sauf un blaireau.

[pageBreak]

40.

JB Wizzz

Le premier réflexe d’une génération qui a les doigts collés au clavier, c’est de googler. Et quand on google « JB Wizz », on remarque que la grosse moitié des résultats renvoient vers une unique (et culte) interview du mec, publiée sur Vice. L’autre moitié renvoie vers des mixes et playlists concoctés par le patron du label le plus authentiquement rock ‘n roll de France, Born Bad. Et ces deux types d’informations nous donnent finalement assez de grain à moudre pour commencer à cerner le personnage. Jean-Baptiste Guillot est un érudit, un mec patient qui fouille les cartons et les bacs à ordure pour trouver LE 45 tours. A l’heure de la dépréciation de la musique (et on ne parle pas que de son support), ce mec fait déjà figure de prophète. Et encore plus quand il enfile ces perles pour nous confectionner des compilations qui font déjà figure de classiques. JB Wizzz, c’est aussi un type qui est au clair avec ses idées, qui est passé par le côté obscur de l’industrie musicale (être directeur artistique chez EMI, ça vous passe l’envie d’aimer la musique) et qui en revient avec pour objectif une mission divine: celle d’offrir un terrain de jeux aux groupes de freaks et de parias du rock français contemporain. En sept années d’activité, le catalogue Born Bad s'est garni d’une cinquantaines de références (dont Cheveu, Magnetix ou La Femme), mais nous a aussi permis découvrir plein d’autres "killers tracks" disséminés dans les compilation « Wizz » qui brassent la scène pop psyché yéyé française. De l’or en barre, ni plus ni moins. Mais la cerise sur le gâteau, c'est que ce label a suscité pas mal de vocations puisque là où Born Bad fait figure de parrain, on peut compléter la famille avec Plastic Spoon Records, Teenage Menaupose ou Inch Allah Records. Indispensable.

39.

Kieran Hebden

Le paradoxe de Kieran Hebden, c’est sans doute d’avoir obtenu un succès international en renonçant à tout ce qui faisait la richesse de son electronica - les rythmes libres, les samples défricheurs. En est-il moins pertinent aujourd’hui? Pas forcément: car si There’s Love In You laissait craindre un virage house, Four Tet n’a eu de cesse de travailler sa recette et de la pimenter, cristallisant ses efforts dans des relectures de première bourre ou dans un Pink qui le place en hitmaker feignant, mais toujours aussi versatile. C’est sans doute pour cela que, malgré l’exposition disproportionnée dont il profite, on n’arrive pas à détester le mec autant qu'on le voudrait. Sympathique et pertinent malgré son clair manque d’ambition, il y a fort à parier qu'on risque de devoir compter sur Kieran Hebden pendant encore un paquet d'années. Car vu la confiance quasi aveugle que lui portent des mecs comme Omar Souleyman, Gilles Peterson ou Burial, on doute fort que l'Anglais soit prêt à mettre un frein à sa productivité démentielle. Et ça, un peu comme pour un James Blake, c'est qu'on le veuille ou non.

38.

Alex Turner

Alex Turner est un petit génie du songwriting. Son gros problème, c’est qu’il est flanqué des Arctic Monkeys - bien qu'on puisse affirmer sans trop se brûler que leur rôle reste relativement limité. Clairement, avec Whatever Say people That’s What I’m Not, les kids (à l’époque) de Sheffield ont pondu une galette qui a polarisé mais dont on peut aujourd’hui valider les nombreuses qualités tant elle passe l’épreuve du temps avec aisance. Par contre, c’est après que ça se corse. Ces cinq dernières années, le groupe a enchaîné les albums inégaux, quand ils n’étaient pas simplement patauds – sauvons quand même Humbug. Par contre, il aura suffi d’une bonne vingtaine de minutes à Alex Turner pour confirmer que débarrassé de ses sagouins du Grand Nord, il a tout le loisir de laisser éclater un songwriting aussi touchant qu’intouchable. Cette B.O. du film Submarine de Richard Ayoade (Maurice dans The IT Crowd!), et dans une moindre mesure son projet The Last Shadow Puppets avec Miles Kane, c’est le sonwgriting à l’anglaise dans tout ce qu’il a de plus élégant et classieux - tout l'inverse de son actuelle coiffure, qu'il doit être le seul à trouver méga-cool. Alex, tu sais maintenant ce qu’il te reste à faire si tu veux gagner encore quelques places dans notre classement pour les dix ans du site.

37.

Leyland Kirby

Difficile d'être hype et bankable quand tu fais de l'ambient. Les plus savants parleront des cas Tim Hecker ou Brian Eno, et ils auront raison. Mais il est difficile d'avoir l'air cool en société en causant de drone, de modern classical ou d'ambient à tendance expé, Kanye West étant bien plus approprié pour ce rôle d'aimant social. L'ambient est une musique qui se partage peu, dont les héros sont discrets et personnifiés à hauteur de l'auditeur seulement. Dans ces terres riches musicalement, et désertiques socialement, Leyland Kirby s'est imposé avec une noblesse d'épée doublée d'un attrait populaire étonnant. Un artiste qui isole son auditeur dans des mondes d'aquarelle, qui relance les spectres de l'hauntology dans des grands mouvements de mélancolie, de spleen, de cordes et de ruines. Si on a été parmi les seuls à gloser sur les talents de l'Anglais sur de son incroyable Sadly, The Future Is No Longer What It Was (un des rares 10/10 de la rédaction), aujourd'hui l'artiste est devenu la coqueluche des Pitchfork et autres Resident Advisor. Si The Caretaker est bel et bien l'identité qui fera la différence sur la longueur, c'est la personnalité générale de petit génie qui fait de lui un des personnages les plus marquant de ces cinq dernières années. De quoi se paumer dans des mini-éternités, comme si on découvrait l'ambient comme un lapin de neuf jours. Un génie discret et essentiel.

36.

Beyoncé / Jay-Z

Évidemment qu'ils devaient figurer dans ce classement puisque le monde semble s'arrêter de tourner dès qu'ils s'achètent un nouveau portable, se prennent les cheveux dans un ventilateur ou donnent un nom ridicule à leur progéniture. Saloperie de star system. Même si leurs talents ne font plus beaucoup d'étincelles, en tous cas rien de comparable aux feux d'artifice d'il y a dix ans, les associés les plus puissants de la chanson ont encore de quoi la ramener. Et pour ça ils peuvent remercier certains acteurs de l'ombre que nous saluons pour eux. Citons John Meneilly d'abord: rusé renard parmi les « dawgs » assoupis, le manager de Jay-Z a compris que des changements s'imposaient pour éviter que son poulain ne soit plus qu'un vieux canasson alors que le rap devenait la nouvelle pop. John suggéra un changement d'image par un rapprochement avec Kanye West pour lui piquer tous ses atours arty et c'est Jay qui maintenant peut faire le malin en couverture de magazines généralistes, émoustiller les branchouilles déambulants du MoMa et signer des gros contrats avec des firmes pour changer le monde et le rendre meilleur. Frank Gatson Jr. ensuite: si les magnifiques cuisses de Beyoncé dirigent le monde, c'est grâce à lui. Au contact de Michael Jackson, Frank Gatson a vite compris à quel point le visuel pouvait aider à imposer la musique, voire la rendre facultative. Résultat ? Les vidéos incroyables de "Single Ladies" et "Run The World". Visual Creative Director (ça c'est un titre qui claque) de la chanteuse, il décide de comment on bouge sur les pistes de danses du monde entier.

35.

The Black Lips

Il y a un moment où les mecs qui font du garage doivent trouver le courage de sortir de leur garage ne serait-ce que pour aller foutre le bordel dans le garage des voisins, sinon ça sert à rien. On ne peut pas garantir que les Black Lips soient les responsables du retour du genre mais on est certain qu'ils y ont contribué vaillamment. Cultivant l'esprit bricolage et revendiquant la primauté du combo cambouis-chopine-saucisse, ils ont bordéliquement incorporé à leur montage musical de gros morceaux de hippie et de punk en excluant méthodiquement toute niaiserie à message. Moins poétiques que Here We Go Magic, moins tubesques que The Black Keys, les Black Lips ont pondu de solides albums portés par les empereurs de la hype multicanal,Vice, et par des shows pleins de sueur dont certains dans des tripots à putes de Tijuana, à la délicate frontière entre réalité et légende. Au sommet d'une relative gloire, ils demandent à Mark Ronson, le fabuleux producteur de Amy Whinehouse, de s'occuper d'eux pour fabriquer l'excellent Arabia Mountain. Les guitares restent approximativement accordées et la batterie continue de se foutre du métronome mais c'est ce qu'il faut pour démarrer une réaction incontrôlée qui fait monter les gens sur les tables pour tenter des stage dive (des table dive du coup) au milieu du salon. Insidieusement, les petites chansons des natifs d'un trou perdu de Géorgie permettent de péter le gel dans les soirées trop coincées, quelques secondes de riffs distordus et voilà les polos roses et les jolis mocassins couverts de gin-to' et de molards. La vie réserve parfois de petites merveilles.

34.

Alva Noto

Déjà à l'époque du premier Xerrox ou de la première collaboration avec Ryuichi Sakamoto (l'immortel Vrioon), on savait qu'Alva Noto finirait bien par cartonner un jour ou l'autre. Dans nos têtes, il a toujours été le héros de voyages electronica singuliers, le prêtre de l'electronica clinique, en noir et bruits blancs. Une démarche radicale qu'il a fini par populariser avec Raster Noton (où officient les excellents Kangding Ray, Byetone, Senking, Frank Bretschneider ou Ryoji Ikeda), véritable festival permanent du glitch et de la structuration digitale. Ces cinq dernières années, Alva Noto a ouvert son spectre vers quelque chose de moins rude, de plus "pop". La aussi, son label a suivi la cadence, captant toujours plus d'auditeurs en recherche de percussions et de grésillements. Sorte d'Aphex Twin du glitch, Carsten Nicolai apparait aujourd'hui comme une montagne de l'underground berlinois, en position pour véritablement exploser dans les années à venir. Restera à voir si l'ouverture généralisée du label ne finira pas par l'enterrer. En même temps, le Xerrox 3 devrait bientôt finir par arriver, on va encore prendre une claque qui nous calmera pour les cinq prochaines années.

33.

Trent Reznor

La frustration, la colère et la haine sont de puissants moteurs en termes d’inspiration artistique, mais rares sont ceux qui, comme Trent Reznor, poussent leurs limites à ce point et peuvent en exploiter les différentes facettes. Entre Pretty Hate Machine et le récent Hesitation Marks, le carburant ne s’est pas tari et le leader de Nine Inch Nails semble avoir encore des comptes à régler, aussi bien avec les autres qu’avec lui-même. Ce qui est étonnant dans cette longue carrière, c’est qu’outre le fait que les trois premiers albums soient désormais reconnus à juste titre comme les monuments qu’ils sont au-delà des cercles de chevelus et de porteurs de bracelets en cuir, Reznor est aujourd’hui auréolé d’un crédit tel que Pitchfork lui humeraient l’arrière-train à chaque dégazage, ce qui soit dit en passsant doit bien faire rire et jubiler le principal intéressé. Pourquoi un tel revirement ? Parce que Reznor, bien avant d’être oscarisé et adoubé par l’establishment, a anticipé toutes les avancées médiatiques et technologiques de notre temps quand les autres s’écharpaient encore sur la question de la survie du CD et du téléchargement. Un mec qui, bien qu'ayant le système en horreur car bien placé pour savoir que l’industrie musicale est une hydre increvable qui te baisera toujours quoi que tu fasses, a su baiser le système en retour pour ses propres besoins lorsque c’était nécessaire. En résumé, un maître à penser pour les digital natives.

32.

Josh Homme

Les avis ont beau être partagés sur la dernière livraison des Queens of Stone Age, force est de constater que le bonhomme demeure l'un des rares monuments sur lequel le rock peut encore se reposer tranquille. Et si l'on survole ses occupations des cinq dernières années, on est d'ailleurs pas loin de conclure que QOTSA ressemble à présent à un side project parmi les autres. Organisation de barbecue (les incontournables Desert Sessions), dégustation de thé entre gens de la haute (Eagles of Death Metal ou Them Crooked Vultures, au choix), élevage de chiots (on dit merci kiki, les Arctic Monkeys?), soirées pyjama avec les copines (Reznor, Lanegan, Casablancas…) ou animateur de supermarché (petit coup de pouce promotionnel aux Scissor Sisters)… Il est comme ça, Josh. Un bon camarade qui prête généreusement son pied droit aux artistes en manque de coups de pieds au cul. Au bout du compte, il pourrait enfiler un chapeau à plumes et s'essayer à la cornemuse que cela n'égratignerait même pas sa crédibilité.

31.

Mondkopf

Si vous croisez Paul Régimbeau, il vous sera difficile d’imaginer que ce sympathique et timide jeune homme n’est autre que Mondkopf. Et si vous le voyez passer ensuite derrière ses machines, il vous paraitra presque méconnaissable tant le gentil Paul devient une furie. Au-delà de cet aspect Dr. Jekyll / Mr. Hyde, Mondkopf fait partie de ces artisans infatigables d’une nouvelle scène électro/techno française. Auteur de deux albums, de six EPs et d'un paquet d’excellents remixes, le jeune Toulousain a été omniprésent ces cinq dernières années. En terme de sorties, on n' a rien a redire: que des grosses claques dans nos petites gueules. Mais en plus d’être un producteur hors pair, Mondkopf a lancé l’an dernier In Paradisum avec son pote Guillaume Heuguet. Là aussi, c'est le sans-faute sur toute la ligne: des sorties calibrées et dotées d’une vraie vision de ce qu’est la musique électronique aujourd’hui. Histoire de continuer à se la jouer Monsieur Parfait, Mondkopf organise aussi des soirées aux line-ups démentiels. Mais on va arrêter là la fellation goulue, en ne doutant pas de la capacité de ce type a nous en faire voir de toutes les couleurs pendant quelques années encore.

[pageBreak]

30.

Devonte Hynes

Ces dernières années, la pop mainstream est devenue le terrain de jeu de choix de pas mal d'artistes de la sphère indie en manque de liquidités ou voulant se tester sur des formats plus radio-friendly et populaires (quand ils ne sont pas populistes). A ce petit jeu, notre préférence va à Devonte Hynes, dont la carrière finalement plutôt discrète a tout de l'enviable sans-faute - bien que son look de über-hipster ait quand même tendance à nous faire légèrement rigoler. Ces cinq dernières années, celui que l'on avait découvert au sein de l'étoile filante Test Icicles a non seulement produit de superbes albums sous divers pseudonymes (Lightspeed Champion pour les folkeux, Blood Orange pour les amateurs de pop 80's), mais il a également joué les éminences grises pour Solange Knowles (la soeur de Beyoncé donc) et travaille actuellement au retour de l'un des girl bands les plus sous-estimés de sa génération, à savoir les Sugababes originelles - qui se produisent désormais sous le nom Mutya Keisha Siobhan. Avec son songwriting fortement référencé mais d'une rare limpidité, Devonte Hynes est un exemple à suivre.

29.

Mike Sniper

Mike Sniper est un mec qui porte plutôt bien son nom. Dans son viseur, le dynamisme de la scène rock indépendante de Brooklyn. Il se décide à lui défaire ses nœuds de lacets pour la faire repartir du bon pied en 2008, lorsqu’il fonde Captured Tracks, sa lunette de précision braquée sur les recoins les plus prometteurs, de la pop, du shoegaze et du post-punk. A priori discret et rare en interview, son crane aussi rond qu’une boule de cristal reste le plus souvent à l’ombre. Un rapide coup d’œil sur le roster du label suffit à se rendre compte de l’acuité du bonhomme, qui ne cesse de s’améliorer au fil des ans. Captured Tracks est ainsi devenu en peu de temps un pont entre passé présent et futur à travers la glorification de la sainte trilogie twee, pop ligne claire et shoegaze. Car en dehors de proposer un remarquable travail de rééditions, c’est toute une nouvelle scène et une nouvelle esthétique qui prend forme avec des groupes comme The Soft Moon, Mac Demarco, DIIV, Chris Cohen, Beach Fossils ou Holograms. Autant de formations qui pratiquent chacunes à leur manière le culte de la mélodie vaporeuse et brisée, douce et rêche à la fois. Captured Tracks, c’est le Sundance musical de New York, une sélection en marge des blockbusters FM. Le vernis arty en moins.

28.

Bester Langs

Comment un mec avec une tête de chien peut-il soudainement devenir l’incarnation d’un médium de référence en matière de contre-culture émergente ou de « culture culte »? Tout simplement en arrêtant de chercher ailleurs et dans le passé; en débarrassant le journalisme musical hexagonal de son complexe de la petite scène musicale alternative française. Alors qu’il en a marre de dépendre de rédacteurs en chef, Bester Langs, en compagnie d’autres archanges déçus de la presse musicale, lance le site Gonzai. Imprimé pour la première fois sur « papier virtuel » en 2007, son manifeste pourrait se réduire à ceci: une approche totalement subjective de sujets passés sous silence par ceux qui sont censé en être les ambassadeurs historiques et du coup, donner un bon coup de pied dans la fourmilière du publi-rédactionnel à haute teneur en intérêts réciproques. Gonzai apportera de la crédibilité à la génération du web participatif qui pêche parfois dans son excès de liberté. Cinq ans plus tard, à l’heure où la presse papier tente de sauver les meubles en investissant cet internet 2.0 et en l’étouffant à force de se répéter à l’infini, Gonzai navigue toujours à contre-courant et envisage le support papier. Depuis la fin 2012, grâce à un financement participatif qui responsabilise le lecteur, un bi-mensuel est édité et livré directement dans votre boîte aux lettres. On y fait la part belle à des sujets vastes et divers, toujours traités à travers le prisme déformé d’une culture pop déglinguée mais authentique. Le tout libéré de contraintes promotionnelles. « Des faits, du freak, du fun ». La Sainte Trinité, Amen !

27.

Peter Rehberg

On le sait, il est difficile d'amener l'auditeur "néophyte" sur les terrains de l'électronique expérimentale sans se ramasser son lot de de préjugés boiteux et de rires étouffés. Car cette musique fait peur, probablement par son apparente absence de cadre, de structures et de règles. Alors si on devait essayer une dernière fois de vous convaincre, on vous parlerait d'Editions Mego. Et donc de Peter Rehberg. C'est bien l'idée du dossier, on ne doit vous parler que d'impact, d'essentiel et d'incontournable. A ce jeu là, vous ne trouverez pas meilleur conseil que d'aller scruter le catalogue hyperactif de la structure menée par notre ami anglais. Radicalité, aventure et goût du beau sont les éléments-clés du succès de la structure, comme si rien n'avait existé autour. Ce que le label a réalisé en cinq ans? Fonder des sous-labels de qualité (Spectrum Spools, Ideologic Ogan ou Sensate Focus), amorcer un rapide virage vers des musiques plus "pop" (la promotion de Oneohtrix Point Never ou d'Emeralds) pour mieux créer une rétrsopective vinyl sur les plus grandes oeuvres électro-acoustiques de l'histoire. Pour que les gens n'arrêtent jamais d'explorer, de souffrir, de rêver dans des horizons musicaux sans cesse renouvellés. Et vu la constance, ce n'est pas prêt de s'arrêter. PS: vu qu'on a du choisir entre les deux, vous pouvez remplacer "Pether Rehber" par "Jon Wozencroft" et "Editions Mego" par " Touch Music", le côté pop en moins.

26.

Adolf Hipster

Franchement, encore aujourd'hui, on ne sait pas vraiment qui se cache vraiment derrière cette industrie qu'est devenue la Boiler Room. On ne sait pas comment fonctionne réellement cette petite entreprise ou à quoi peut bien ressembler son business model. Ce que l'on sait par contre, c'est que ces dernières années il n'est pas un DJ légendaire/bankable/über-hype (biffez la mention inutile) qui n'ait pas été convié à passer quelques disques le temps d'une soirée organisée par le site. Aujourd'hui, le modèle est connu de tous et semble réglé comme du papier à musique: des grandes villes, de grands évènements, de grands espaces pas trop remplis, un public de privilégiés qui a souvent l'air de se faire chier (ou de super bien faire semblant de se faire chier) et des ambianceurs qui se paient des sets parfois anodins, souvent très bons, occasionnellement légendaires. Mais finalement, la personne que l'on associe le plus immédiatement à la Boiler Room, c'est probablement ce teuton au mauvais anglais qui se charge d'introduire le type qui va te faire surchauffer les mollets. Il ne sert strictement à rien et ici, on l'appelle Adolf Hispter. Une blase de feu pour le type le plus inutile de la structure. Epic Win.

25.

Richard Russell

Gérer un label, c’est autant d’idéaux que d’emmerdes. Avec une crise du disque qui fout pas mal de bâtons dans les roues, les patrons font contre mauvaise fortune bon cœur histoire de faire tourner la baraque. Et puis il y a ceux qui ont le cul dans le beurre, en plus d’avoir un nez très creux. Avant d’avoir touché le gros lot avec Adele, Richard Russell avait déjà mis pas mal de beurre dans ses épinards en sortant quelques disques ayant marqué leur époque: The Fat of the Land de Prodigy White Blood Cells des White Stripes, Boy in Da Corner de Dizzee Rascal, le premier album solo de Thom Yorke ou le Kala de M.I.A. De notre côté, on retient également les seconds couteaux de luxe à la Jack Penate ou Ratatat. Clairement, l’Anglais n’a pas son pareil pour sentir les tendances et parvenir à signer un artiste où moment où il s’apprête à devenir réellement bankable. Mais quand débarque une talentueuse rondelette qui, en douze mois, fait passer votre compte en banque de 3 au 32 millions de livres avec son 21, cela fait de vous un homme heureux et libre. Cela ce sent chez un Richard Russell qui continue de se laisser guider par son flair – qui lui a indiqué qu’il serait peut-être bon de réveiller Gil Scott-Heron pour un ultime album sur XL et de relancer la carrière de Bobby Womack avec l’aide de Damon Albarn. Ces dernières années, XL a peut-être sorti moins de disques mais Richard Russell n’a jamais semblé aussi à l’aise dans son costume de défricheur patenté de la sphère indie. Ce qui veut dire qu’il nous réserve encore de bien belles surprises.

24.

Panda Bear

Des quatre cerveaux grillés d’Animal Collective, il y en a un dont la carrière solo semble avoir sonné le glas du groupe: c’est celui de Noah Lennox. Livrant coup sur coup quatre albums entre sunshine pop, folk, hip hop et chillwave, celui qu’on nomme Panda Bear a constamment tiré le groupe de Baltimore (avec le concours du bro Avey Tare, c'est vrai) vers des sommets pop arty inviolés depuis que les Beatles, les Kinks ou les Beach Boys ont pris leur retraite créative. Et si on n'osera pas le comparer, comme on a pu le lire à la sortie de Tomboy, au génie fou de Brian Wilson, on ne va pas non plus cracher sur un mec qui continue d’apporter des idées neuves sur la table malgré un Centipede Hz pas franchement impérissable. Et vu ce que ça donne quand il se décide à copiner avec des mecs aussi sympas que Zomby, Bradford Cox, Pantha du Prince ou même Daft Punk, on a toutes les raisons de penser que notre panda préféré n’a pas encore dit tout ce qu’il avait à dire. Et rien que cette perspective suffit à justifier sa présence dans cette liste.

23.

Alberto Guijarro

Au petit jeu du meilleur festival du monde,chacun y va de son petit avis éclairé: cela va de l'agoraphobe intégriste qui ne jure que par le petit rendez-vous de province à la programmation aussi pointue qu'audacieuse au mec qui ne fait pas un concert de l'année et espère tout rattraper en quatre jours à Rock Werchter ou aux Vieilles Charrues. Mais quelle que soit la catégorie dans laquelle on se trouve, tout le monde est à peu près d'accord pour dire que le Primavera Sound de Barcelone s'offre depuis un petit temps le plus beau line-up du globe - cette année, le festival catalan a fait même mieux que Coachella en termes de têtes d'affiche ou de vieilles gloires reformées, ce qui n'est pas rien. Le Primavera, c'est un parc de béton tentaculaire en bordure de Barcelone, et qui met un budget conséquent au service d'une programmation qui trouve une équilibre assez parfait entre gros noms ronflants, artistes portés au pinacle par Pitchfork et formations adeptes de trajectoires pour le moins alternatives. Et comme il fallait bien trouver un visage qui personnifie l'un des plus gros évènements musicaux du globe, on a pris son co-directeur. Rien que vous permettre de vous la péter en société en citant son nom.

22.

Orelsan

Il est simpliste et réducteur de voir en Orelsan un simple ersatz de Fuzati. Ne serait-ce qu'au regard du chemin parcouru depuis la bafouille adolescente qu'est "Sale Pute" jusqu'à la chanson pop pour adolescents qu'est "La Terre Est Ronde". Avec des erreurs de parcours, des instrus assez moyennes dans l'ensemble et un flow de blanc, Orelsan est tout de même parvenu à esquisser, à travers son propre portrait, celui d'une génération désabusée, avide de plus mais se contentant de moins, enfermée dans des stéréotypes et engluée dans les contradictions. Le verbe est simple et précis, et le propos dépasse largement le cercle des fans de rap. Et l'air de rien, il est le premier à réellement le faire depuis Doc Gynéco.

21.

Ryan Schreiber

Il existe deux groupes au sein de la rédaction de GMD. Il y a le groupe comprenant les personnes emplies d'admiration et de dévotion pour Pitchfork. Ceux qui ont le sourire aux lèvres avant même que la fameuse page au trident ne s'ouvre, page où ils espèrent découvrir, par le biais d'interfaces d'écoute incroyablement esthétiques tout en étant faciles d'usage et de critiques incomparablement érudites, une ultime merveille musicale. Ils aiment cette équipe d'Américains jeunes et dynamiques qui ont révolutionné le journalisme musical en enterrant sous des peletées d'intelligence et de bon goût, les momies sechées de la presse papier. Alors que la nuit tombe et que leurs paupières se ferment, ces gentils collaborateurs de GMD disent une petite prière au dieu de leur choix pour le remercier d'avoir permis l'existence de Pitchfork, phare musical et exemple éternel pour eux tous. Et puis il y a l'autre groupe, celui qui rassemble les rédacteurs dont les yeux coulent de rage en repensant aux articles pompeux et aux listes froidement stratégiques, qui crachent de la bile (quand même un peu jalouse) à l'idée de cet hermaphrodisme auto-incestueux de critique/organisateur de festivals et enfoncent avec férocité de longues aiguilles dans une petite poupée à l'effigie du poupon Ryan Schreiber, fondateur et directeur de Pitchfork, ce modèle totalement immatériel et pourtant si lourd qu'il écrase tout le monde. Il n'y a pas grand chose qui sépare ces deux groupes, bien souvent c'est un gin-tonic et/ou un coup de poing.

[pageBreak]

20.

Aaron et Bryce Dessner

Au moment délicat d’établir ce Top 50, on a fini par retenir les types de The National. Non seulement parce que, au cours de ces cinq dernières années, le groupe a livré, avec High Violet et Trouble Will Find Me, deux albums qui figurent facilement parmi les plus élégants de leur génération, mais aussi parce que, mine de rien, les membres du collectif ont œuvré à une extension de leur domaine d’activité. On pense peut-être moins ici à Matt Berninger, dont la voix chaleureuse d’oiseau blessé s’entend un peu partout depuis quelques mois (au générique de séries comme Game of Thrones et Boardwalk Empire, mais aussi aux garden parties de Barack Obama), qu’à l’hyperactivité des frères Dessner, qui, après s’être débrouillé pour envoyer paître leur triplé Dominic Monaghan du côté du cinéma, se sont distingués, entre autres, par la supervision de l’excellente compilation Dark Was The Night (qui réunit des inédits de, parmi d’autres, Bon Iver, Sufjan Stevens, Arcade Fire, Conor Oberst, Grizzly Bear, Riceboy Sleeps, Beirut et Blonde Redhead), des collaborations avec le légendaire Kronos Quartet (avec lequel Bryce enregistrera un album dans les mois à venir) et la production, par Aaron, du superbe Tramp de Sharon van Etten. Une belle capacité à repérer le filon et à dynamiser le milieu, avec modestie, mais avec classe.

19.

El-P

Les rouquins sont peu nombreux dans le rap jeu, et c'est sans doute pour ça qu'ils ne se gènent jamais pour laisser une trace indélébile - on vous rappelle à cet effet les fulgurances d'Action Bronson ou à celles (plus datées) d'Eminem. Mais au petit jeu du "ginger of the decade", notre choix se porte sans hésitations sur El-P, véritable mâle dominant de la clique des MCs poil de carotte encore sur pied. Aussi versatile derrière les pads que le micro, celui qui a pris son temps pour accoucher du successeur d'I'll Sleep When You're Dead n'enchaîne depuis deux ans que des projets pharaoniques: un Cancer 4 Cure d'anthologie, un R.A.P Music brutal pour le compte de Killer Mike, quelques prods pour le camarade Mr Muthafuckin' eXquire et tout dernièrement l'incroyable Run The Jewels. Bim bam boum la chatte à Mac Doom comme dirait l'autre. S'appuyant sur une recette qui ne s'est finalement pas trop renouvelée - un gros mélange bien martial entre indus et hip-hop -, Jaime Meline prend toujours le même plaisir à ne pas faire dans la dentelle, fort d'un son massif mais jamais gras qui habille à merveille son discours anti-Américain. Et ça tombe bien, puisque de notre côté on se prend toujours la claque avec plaisir. Même mieux que ça : on ne refusera jamais de lui tendre l'autre joue.

18.

Johnny Jewel

Quand Mike Simonetti (boss respectable de Troublement Unlimited Records) et le trublion Johnny Jewel ont décidé de lancer un nouveau label d'electro-disco (sic), on aurait pu avoir peur. Et pourtant Italians Do It Better (comme nom de label, il fallait oser, surtout pour un blanc bec de l'Oregon) fait partie de ce qui arrivé de mieux à la musique indie depuis six ans. Non content d'être la tête pensante de cette petite entreprise, Johnny Jewel est aussi le leader des deux groupes phares du label, les Chromatics bien sûr, dont les deux derniers opus Night Drive et Kill For Love sont des sommets italo-disco sous perfusion cinématographique revisitant à leur sauce bolognaise vingt ans de pop arty et planante, et Glass Candy, qui va plus loin dans l'expérimentation electro jusqu'à reprendre les teutons de Kraftwerk. Si l'on ajoute à ça les excellentes compilations After Dark dont le second volume est encore tout frais, le back-band Desire (dont l'ami Johnny est aussi parti-prenante) samplé récemment par Kid Cudi et les musiques pour la BO officieuse de Drive, il n'y a plus de doute: on tient bien là un beau morceau de pop culture des années 2010.

17.

Birdman

« There was nothing to do there than sit around and write raps all damn day. Over and over. » Voilà quelle était l'ambiance du quartier général de Cash Money Records selon Lil Wayne, au début des années 90, bien avant que le rappeur et tout le label soient noyés dans le sizzurp et les dollars. Petite entreprise d'un coin des USA qui n'avait jamais rêvé avoir un impact sur le rap, Cash Money Records était et est toujours l'oeuvre de Bryan Williams aka Baby aka Birdman. Il est loin le temps où les jeunes loups aux dents diamantées étaient astreints à un entraînement délirant et où le producteur maison (Mannie Fresh) était enfermé dans le studio par son patron afin de perfectionner un son pauvre en sample mais riche en basse. Cash Money Records a balayé l'industrie hip-hop et ses labels légendaires (Def Jam, Bad Boys, Death Row, Aftermath,...) pour en devenir l'étalon grâce à ses rouleaux compresseurs (Nicki Minaj, Drake,...) aux formes de Bugatti. La réussite est tellement insolente et l'argent tellement abondant que Birdman peut même s'amuser à signer des vielles gloires de NY (Busta Rhymes), des chanteurs de nu-metal empâtés (Fred Durst) ou même cette cagole de Paris Hilton pour rigoler un peu et montrer que la roue tourne.

16.

Jack Barnett

En cinq ans, Jack Barnett, la tête pensante du groupe These New Puritans, a prouvé qu'il était un authentique génie musical. Toute la blancheur des matins de l'Angleterre n'a jamais pu éclairer complètement le visage du natif de la Tamise. Y laisser une seule surface rayonnante de lumière homogène. Non. Il garde toujours des marques, ces marques énigmatiques qui se meuvent, se croisent et creusent dans sa chair jusqu'au cœur. La sève rouge et chaude de sa nature humaine, si misérable et si grandiose à la fois, coule de ces marques et crée un espace ondoyant de césures et de mesures, une actualisation de la musique sacrée par la synthèse et le dépassement des traditions. Jack Barnett va-t-il continuer d’œuvrer ou rester muet ? Nul ne le sait. Il faut encore plonger dans Hidden et Field of Reeds (Beat Pyramid n'en faisait voir que les prémices) et tandis qu'il chante jusqu'au silence, nos oreilles peuvent se tendre et espérer écouter, un jour, un troisième miracle.

15.

Pinch

Dans cette galaxie des essentiels, on situe Pinch bien haut. Terriblement haut. D'ailleurs, il est difficile d'imaginer quelqu'un de plus déterminant, de plus radical et de plus innovant que Rob Ellis dans la stratosphère uk bass music (sauf peut-être Mala ou Shackleton). Maître à jouer, maître à composer et maître à promouvoir, l'Anglais est tout simplement hors d'atteinte. Si on lui doit un magnifique album (Underwater Dancehall), le parrainage de 2562, son label en bronze, des EPs crossovers de qualité ultime ou une association d'enfer avec Shackleton, c'est véritablement la conscience qu'il incarne qu'on voulait souligner aujourd'hui. Car nul que lui n'a incarné toute la virulence des musiques à basses, l'instinct de chat qui a fait de ce genre musical l'incontournable de ces cinq à dix dernières années. Une machine dubstep qui s'est mis à graviter, avec plus ou moins de distance par rapport à ses premières amours, mais toujours dans la percussion, l'écho et la texture - son label Cold Recordings récemment lancé le prouve encore. Pinch ne s'est jamais vraiment arrêté, toujours avec un coup d'avance surses partenaires, et c'est ça qui le rend si fort. L'empêcheur de tourner en rond par excellence.

14.

Dan Auerbach

En toute franchise, nous chérissons encore l'époque où les Black Keys se satisfaisaient de leur bromance de péquenots et économisaient leurs pauses brushing au profit d'un blues couillu. Ceci dit, à l'heure où le niveau zéro de la pop congestionne le top des ventes, on peut les saluer bien bas d'avoir pondu un énorme "Lonely Boy" et d'avoir ainsi ramené le troupeau à la bergerie. Avant l'explosion El Camino (réalisé main dans la main avec Danger Mouse), Brothers et Attack & Release avaient déjà effectué une partie du chemin en infiltrant du "I Got Mine" et du "Tighten Up" entre deux katyperries. Dans l'intervalle, il y eut la grandiose épopée Blakroc qui réconcilia dans l'allégresse les amateurs de riffs et de flow au milieu d'un casting de toute beauté (pour rappel: Mos Def, RZA, Q-Tip ou Ludacris). De son côté, Auerbach nous a également gratifié d'un superbe Keep It Hid qui a définitivement imposé ses talents de songwriting et sa voix aussi performante qu'un anneau vibrant. Aujourd'hui, on ne peut que sourire en imaginant ce con de quaterback du fond de l'Ohio regretter amèrement d'avoir jeté des cailloux aux deux nerds du fond de la classe.

13.

Noah '40' Shebib

Champ de bataille au sein de la rédaction: qui, de The Weeknd ou de Frank Ocean, est le responsable d’une scène R&B redevenue fréquentable? Impossible de départager les deux crooners. Alors c’est finalement autour d'un homme de l’ombre que le compromis s’est dégagé, et plus particulièrement du côté de l’éminence grise derrière la voix nasillarde de Drake et sa clique de MC émos: Noah « 40 » Shebib. Car si l’homme est encore loin d’avoir une productivité à la Pharrell Williams, force est de constater qu’il a offert une alternative froide et désincarnée à un genre jusque là connu pour son invariable chaleur. L’audace a en tout cas été payante: aujourd’hui, minauder sur fond d’affaires de drogues et d’histoires d’amour désespérées n’aura jamais parlé à un public aussi large. Et vu que le son Shebib fait toujours école en 2013, c’est avec une joie non dissimulée qu’on va continuer à suivre l’odyssée d’un mec qui pourrait bien devenir plus gros encore s’il enchaîne les sorties de qualité à ce même rythme effréné.

12.

Mike Paradinas

Si vous aviez eu la productivité de Mike Paradinas ces cinq dernières années (on peut même regarder sur ces dix dernières années), vous seriez probablement à la retraite, où à l’hôpital psychiatrique. Non content d'avoir fait de son label (Planet Mu) l'une des plateformes historiques du dubstep lors de son arrivée en Angleterre, Mike Paradinas a jugé bon de ne pas en rester là, d'aller plus loin encore dans l'exploration de la bass music en proposant une terre d'accueil pour toutes les productions juke/footwork à une époque où personne ne trouve ça suffisamment intéressant pour en parler. Aujourd'hui la trap music (cousin éloigné du footwork si on voit large) cartonne et les producteurs de Chicago sont devenus des stars dans leur business. Une sorte d'instinct ultime, qui pousse le natif de Londres à sentir les vents électroniques avant tout le monde. Sur ce temps-là, Mike continuera de parrainer des sorties à la pelle via son label, et continuera une carrière electronica que tout le monde lui envie (µ-Ziq étant une sorte d'Aphex Twin un peu plus sociable en soi) au travers d'un nouvel EP et d'un album de qualité supérieures. Sur tous les fronts depuis dix-huit ans, Mike Paradinas demeure celui qu'il a toujours été: un vrai grand des musiques électroniques. Disons qu'aujourd'hui tout le monde s'en rend compte.

11.

Jimmy Fallon

L'avantage avec un mec comme Jimmy Fallon, c'est qu'il nous permet d'intégrer dans une seule et même entrée un joli paquet de gens qu'on voulait absolument voir figurer dans ce classement. The Roots par exemple, que l'ex-star de Saturday Night Live a débauché à la surprise générale pour ambiancer son Late Night Show, accompagner les artistes qui se produisent sur son plateau ou même servir de backing band de luxe pour des gens comme Barack Obama ou les Beastie Boys. Justin Timberlake ensuite, dont la période 2008/2013 retiendra peut-être plus ses passages hilarants chez Jimmy Fallon (The History of Rap, lol intergalactique) qu'un diptyque The 20/20 Experience qui a au final plutôt déçu. Odd Future enfin, qui est passé du statut de petit buzz sur les interouèbes à phénomène globalisé en un passage télévisé à la croisée du WTF et du OMG. Et puis bon, Jimmy Fallon n'est pas qu'un luxueux faire-valoir. Jimmy Fallon, c'est une tronche de meilleur pote de tes rêves, c'est un enthousiasme de tous les instants, de goûts musicaux au poil, des bonnes vannes par camions et des imitations carrément imparables. Le genre de mec qu'on rêve d'avoir à la télévision française depuis 20 ans. Depuis 20 ans, on a Arthur et Mustapha El Atrassi. VDM.

[pageBreak]

10.

Booba

Toujours le même débat depuis son premier disque, toujours les même protagonistes. Les anti- et les ultra-fanatiques. Quoiqu'il en soit (et ça vous donnera une idée claire de l'idée que s'en fait une bonne partie de la rédaction), le rappeur de Boulbi a profité de ces cinq dernières années pour devenir un véritable incontournable, un monstre du rap game qui ne compte plus beaucoup d'adversaires. Le duo Ouest Side/Panthéon a fait place à la doublette Lunatic/Futur: une claque en deux temps qui montre le emcee français assumer de manière définitive le programme politique qu'il avait autrefois entamé en compagnie d'Ali. Un rap technique, aux punchline abouties et balancé sur des productions bling bling intouchables. Puis Booba c'est tout le reste: sa marque au goût douteux (quoique) qui cartonne dans toutes les villes de banlieue, sa vie aux States, son clash avec La Fouine (ou plutôt la manière qu'il a eu de le génocider), ses collaborations avec les stars du hip-hop ricain (jusqu'au récent copinage avec Waka Flocka Flame). Tout est énorme, à l'image de ses muscles, de sa vulgarité, et surtout de sa propension à marcher sur le hip-hop français de banlieusards depuis maintenant quinze ans. Il était énorme avant, depuis cinq ans il est juste hors d'atteinte. Le crime parfait.

9.

Modeselektor

Une bande de mecs sympas. Voilà le titre d’un morceau du pénible et oubliable album 3615 TTC, que Modeselektor venait sauver du naufrage avec une production qui a bien résisté à l’épreuve du temps – on ne peut pas en dire autant du troisième album de la bande à Teki Latex. Et aujourd’hui encore, pour beaucoup, la paire Gernot Bronsert / Sebastian Szary, c’est ça : des mecs bien cools qui n’ont pas leur pareil pour foutre le dawa partout où ils passent. On les en remercie d’ailleurs. Et si ces 5 dernières années le groupe ne nous a livré qu’un seul album (Monkeytown), c’est dans les coulisses et sur les chemins de traverse qu’il emprunte qu’il a vraiment marqué son époque : en anticipant l’explosion de la bass music avec le premier album de Moderat, en participant au retour sur le devant de la hype de la techno avec 50 Weapons, en sortant des Modeselektion qui nous ont permis de découvrir un paquet d’artistes indispensables ou en permettant d’exposer au plus grand nombre le travail d’orfèvre du collectif Pfafinderei. Modeselektor, ce sont deux mecs à la street cred béton, et qui ne savent peut-être pas encore que les livres d’histoire de la musique électronique les compteront certainement parmi les grands innovateurs de leur époque dans quelques décennies.

8.

Bradford Cox

Monomania. Avec le titre du dernier album de son groupe Deerhunter, Bradford Cox a résumé son rapport à la musique. Monomaniaque. Cox, à la vie comme à la scène, est prostré sur sa guitare, sur son synthé, il compose, il cherche des sons, il enregistre des cassettes, des albums, il est Deerhunter, Atlas Sound, et d'autres projets dont on ignore encore l'existence. Il promène sa silhouette androgyne, sa maigreur drapée dans une jupe, et nous raconte le monde à sa manière. Lyrique et brutal. Sa voix claire a marqué durablement le monde de l'indie pop, touchant au plus près la perfection avec Halcyon Digest, brillant disque sorti en 2010. Parce que le fourmillement du monomaniaque représente aussi toute une génération, celle qui se couche à 3 heures du matin pour trouver de la musique partout où elle se niche et clique de tumblr en tumblr pour écouter ce qui se fait à l’autre bout du monde. Celle qui a soif de découvrir et d'écouter, fascinée par le petit format pop dont Bradford Cox a le secret, autant que par les longues boucles hypnotiques d'Atlas Sound. Sur le fond comme sur la forme, il est bien le gourou de l'indie rock des années 2000.

7.

Kode9

On a tout dit (ou presque) sur Kode9 lorsqu’il a fallu poser quelques paragraphes sur son Rinse:22 il y a quelques mois: avec Hyperdub, Steve Goodman est à la périphérie de tout ce que la dance music génère comme mutations hautement dansantes. Et pour ça, nul besoin de compter sur une productivité de tous les instants: à l’instar de Modeselektor, le dubmaker n’a qu’un seul effort discographique paru en cinq ans mais ne cesse au travers de ses mixes et de ses choix de patron de label de se poser comme un observateur avisé de tout ce que la bass music, la techno et la house génèrent comme genres bâtards. Et c’est en donnant sa chance à des mecs comme Walton, Ossie ou plus récemment DJ Rashad qu’aujourd’hui le code génétique de la structure anglaise ne cesse d’être aussi polymorphe et moderne, elle qui avait tout pour se cantonner à faire du chiffre sur les seules sorties de Burial ou de Kode9 & The Spaceape. Une prise de risque audacieuse mais jamais opportuniste qui permet à Hyperdub de gagner des points face à ses collègues de DMZ ou Deep Medi, qui restent un peu trop au chevet d'une scène dubstep qui a plus évolué qu'on ne le pense depuis 2007.

6.

Rick Rubin

Rick Rubin, c'est le genre de mec qui n'est pas digne d'une bafouille dans le classement d'un site comme Goûte Mes Disques. Rick Rubin, c'est un bouquin à sa gloire qu'il mérite. A 50 ans tout pile, le producteur américain a passé une bonne partie de sa vie à tripatouiller des boutons dans un studio d'enregistrement, et à transformer des disques déjà bandants sur papier en de véritable monuments. Mais ce qui est extraordinaire, c'est qu'à une époque où le culte de la personnalité n'a jamais semblé aussi inutilement valorisé, la plus belle barbe de l'industrie musicale s'en bat royalement les steaks du cirque médiatique qui entoure pourtant les nombreuses sorties XXL dont il peut revendiquer une partie de la paternité. Et puis Rick Rubin, c'est l'incarnation même du cool, la preuve vivante que cette qualité-là, elle est naturelle et ne s'acquiert pas en suçant la teub d'un rappeur de seconde zone ou en racontant des couilles sur Twitter à longueur de journée. Sur la période 2008-2013, Rick Rubin a permis à Gossip de devenir un groupe que même nos mamans écoutent, a participé à la création de l'album le plus bankable de ces 10 dernières années (le 21 d'Adele, 26 millions d'exemplaires, boum!), à mettre en boîte l'un des meilleurs titres de Lana Del Rey ("Ride"), et à sauver de justice un Kanye West qui craquait sous le poids de son propre son ego en plein enregistrement de Yeezus. Il a aussi enregistré des disques pour Black Sabbath, et sera derrière les prochaines Metallica et Eminem. A la cool.

5.

Ben Klock / Marcel Dettman

En grands fans de techno, la rédaction se serait sentie affreusement coupable de ne pas rendre un vibrant hommage aux tôliers de service que sont Ben Klock et Marcel Dettmann. C'est bien simple, nos Teutons sont les deux hémisphères d'un même cerveau, celui d'Ostgut Ton. Et plus largement, ils sont à la base du renouveau de la techno allemande - et de la techno, en général. On ne va pas prendre de pincettes pour cet éloge: ces deux gaillards (et les copains d'Ostgut Ton comme Len Faki ou Marcel Fengler) ont relancé une machine qui commençait à ressasser les même gimmicks. En y réinjectant de la froideur et de la martialité, nos deux compères ont redonné un second souffle à la techno berlinoise, et au passage élevé le Berghain au rang d'institution incontournable de la night mondiale. Loin de nous l'idée de dire que les deux hommes sont les inventeurs d'un nouveau style de techno, mais force est de reconnaître qu'ils ont été les plus valeureux défenseurs d'un son radical entraînant une grosse partie de la scène sur ce créneau dark et guerrier. Aussi bon producteurs que dj's, le couple Klock/Dettman a sorti une vingtaine d'EP's au cours des cinq dernières. Du côté des platines, on n'osent même pas tenter un décompte de leurs sets tant les types ont bourlingué. Le crime paie, le travail aussi.

4.

James Murphy

Si LCD Soundsystem appartient au passé (surtout ne pas pleurer en regardant Shut Up and Play thé Hits…) jusqu'à une reformation dont on ne doute pas une seule seconde, il serait incroyablement réducteur de cantonner James Murphy à ce seul projet, aussi essentiel et définitif soit-il. Et c’est bien ça qui est extraordinaire avec le New-Yorkais faussement négligé, qui s’apparente à un véritable couteau suisse de l’univers musical contemporain. Non content d’être à la base d'un paquet innombrable de tubes (la plèbe plébiscite “All My Friends”, on opte ici pour "Yeah (Crass version)") et d’avoir lancé, il y a plus de dix ans, le label DFA, Murphy exerce fréquemment comme DJ, s’essaie à la musique de film (pour Greenberg de l’ami des hipsters Noah Baumbach) et se révèle, surtout, un producteur hors pair à qui des gens comme The Rapture ou les Yeah Yeah Yeahs peuvent dire merci. Dernière grosse actualité en date, comme pour mieux asseoir sa présence au pied de notre podium: sa présence aux commandes du prochain effort d’Arcade Fire, intitulé Reflektor et dont le premier extrait éponyme témoigne de la capacité du factotum à emmener ceux qui lui font confiance vers de nouvelles pistes. Pour l’anecdote, depuis que la bande à Win Butler s’est associée à James Murphy, Spike Jonze, pote du dernier cité, a recruté les Montréalais pour s’occuper de la BO de son film Her. Vous avez dit plaque tournante?

3.

Alex Ljung

"All jet, no lag". C'est la devise adoptée par Alexander Ljung, l'homme qui a définitivement enterré MySpace. Et rendu accro de nombreux internautes à de petits nuages oranges, parfois chargés de milliers de commentaires à propos d'un clap judicieux, d'un sample subtilement dissimulé ou d'un mix furieux. Il est le co-fondateur et actuel PDG de Soundcloud, la plateforme incontournable d'écoute et de distribution de fichiers audio, trustée par les DJ et plébiscitée par l'utilisateur lambda, bien content de pouvoir, lui aussi, balancer ses remixes au monde entier. Tout ça gratis. Le jeune Alex, né au Royaume-Uni et élevé au pays de Zlatan, décide en 2007 d'établir sa petite entreprise à Berlin, où la préciosité de sa coupe de cheveux et son épaisse monture de lunettes se fond avec le décor. Six ans plus tard, Soundcloud compte 30 millions d'inscrits et touche 180 millions d'internautes par mois. De quoi aborder sereinement sa toute récente trentaine.

2.

Damon Albarn

Même si on associera éternellement Damon Albarn à Blur, c'est probablement la réformation du groupe pour de juteuses tournées estivales qui aura été la réalisation la plus insignifiante du bogoss de Whitechapel ces cinq dernières années. Par contre, quand il ne conjecture dans le NME pas sur un éventuel retour en studio de son âne qui chie des sous, le père Damon fait tourner ses méninges à plein régime et a surtout le chic pour aller foutre son nez bien creux dans des projets qui valent le détour. Que ce soit en produisant le meilleur titre jamais chanté par Amadou & Mariam (la balade lunaire "Sabali"), en continuant de faire carburer la machine Gorillaz, en montant un supergroupe avec Flea et Tony Allen, en se payant des vacances en RDC avec une tripotée de gens cools (Actress, Dan thé Automator, T.E.E.D.) le temps de l'album Kinshasa One Two pour Warp, en pondant un opéra sur un alchimiste du 16ème siècle ou en produisant le retour aux affaire de Bobby Womack, Damon Albarn aura toujours intelligemment esquivé la faute de goût, naviguant lentement mais sûrement vers un statut d'icône qui l'attend patiemment dans les livres d'histoire. La classe à l'Anglaise, c'est bel et bien lui en 2013.

1.

Kanye West

Quand on réalise ce genre de classements, on discute. On débat. Longuement. Et on s’étripe parfois pour attribuer la première place. Pourtant, quand le nom de Kanye West a été suggéré par le rédacteur en chef, personne n’a bougé le petit doigt, pété une durite ou menacé de passer en boucle un best of de Pascal Obispo en protestation. Ca en dit long sur le talent de Yeezy, sur la fascination démesurée à l’égard d’un ego qui l’est tout autant et sur la gestion d’une carrière qui enchaîne les moments historiques. Et si on a parfois eu du mal à comprendre l’engouement démentiel pour des premiers albums finement ciselés mais au final pas bien orignaux, la période 2008-2013 aura elle vu l’émergence d’une personnalité hors-norme, qui écrit l’histoire de la musique au gré de ses fulgurances, de ses coups de gueule ou de ses chagrins. Si l’on exclut l’effort collaboratif et mitigé Watch the Throne qui l’aura vu prendre l’ascendant psychologique sur un Jay-Z vieillissant, Kanye West nous aura pondu ces cinq dernières années trois albums que la postérité ne manquera pas de retenir : le thérapeutique et autotuné 808’s & Heartbreak, le mastodonte arty My Beautiful Dark Twisted Fantasy et enfin le glacial Yeezus. Ajoutez à cela de la belle ouvrage avec G.O.O.D. Music, des featurings remarqués et remarquables, et quelques productions de première bourre pour les copains, et on obtient un tableau de chasse sur lequel même la présence de cette poufiasse de Kim Kardashian ne fait pas tache. Ce qui en dit long sur la validation critique et populaire dont fait l’objet Kanye West. Praise Yeezus, motherfuckers.