Interview

Scratch Bandits Crew

par Aurélien, le 11 juillet 2012

Interviewer les trois membres du Scratch Bandits Crew dans une salle baptisée le Petit Bain un jour de pluie torrentielle, c'est une drôle de coïncidence qui mettra plus du temps d'une interview à sécher. Autour de moi, ça discute et prépare consciencieusement l'excellente release party qui aura lieu quelques heures plus tard, alors histoire de ne pas trop perturber cette formidable organisation, je prépare mentalement l'interview en attendant l'arrivée du groupe afin d'évoquer son parcours, son excellent 31 Novembre, et son actuelle tournée. Malgré la fatigue, DJ Supa-Jay a bien voulu nous accorder un peu moins d'une heure de son temps. Un vrai régal.

GMD : concrètement, c'est quoi le Scratch Bandits Crew ?

SBC : le Scratch Bandits Crew c'est un groupe de ''scratch-musiciens'' actuellement composé de DJ Syr, DJ Geoffresh & DJ Supa-Jay et qui s'est formé il y a dix ans à Lyon. On vient naturellement tous du scratch qu'on a commencé à pratiquer au début des années 90, alors qu'on avait seulement vingt ans, et il y avait derrière ce nom toute un délire de collectif dans lequel plusieurs scratches musiciens se relayaient. Depuis le projet a pris un virage tout autre, et tendait plus à une dynamique de groupe plutôt qu'un délire de collectif. En 2009 donc, les choses ce sont pas mal resserées autour de nous trois même si le collectif continue d'exister : les scratcheurs qui nous entourent continuent de graviter autour du groupe, à l'instar de DJ Fly avec qui on a monté le groupe en 2002, notamment pour des apparitions en studio ou à l'occasion de certaines scènes.

GMD : 31 Novembre, votre deuxième album, est garanti à 99% sans samples. Vous pouvez nous parler un peu du mode opératoire de cette nouvelle sortie ?

SBC : Le projet s'est réalisé avec une vingtaine d'autres musiciens, qui participaient au jour le jour aux sessions d'enregistrement. Leur présence en studio visait principalement la création d'une banque de sons exploitable ensuite pour composer, tout ceci de la même façon que si on avait choisi de digger dans de vieux vinyles. Le but était simple : faire en sorte de nous créer une banque de son qui nous soit strictement personnelle en puisant dans l'électronique autant que l'accoustique. On a finalement mis six ans à créer une banque de sons suffisamment riche, sachant qu'on a procédé également de la même façon pour En Petites Coupures (leur album précédent, ndlr) mais sur une banque de son de huit ans cette fois-ci. C'est donc un travail de très longue haleine, car une fois tout ceci mis en place, le processus de création nous a pris deux ans.

GMD : Est-ce qu'à l'instar de certains de vos comparés, et notamment Birdy Nam Nam qui ont recours à des producteurs pour la création de leur musique, vous vous êtes fait un peu « chapeauter » sur cette nouvelle livraison ?

SBC : C'est un album strictement personnel, sans producteur. On a bien conscience du risque que l'on prend, sachant qu'aucun d'entre nous n'est directeur artistique, mais on n'avait pas nécessairement envie de calculer chaque décision que l'on prenait. On a été un peu guidés par le cœur pour le coup. Après, ça ne veut pas dire qu'on y fera pas appel un jour, tout dépend de la direction que l'on souhaitera prendre, mais la démarche humaine et artistique empruntée par cet album n'allait pas dans ce sens là. D'un côté aussi c'était une façon de s'affranchir des étiquettes et de ne pas singer ce qui avait déjà pu être fait, d'autant que comme on a un peu tous appris la musique et le scratch de façon autodidacte, sans notions de solfège, on voulait trouver notre son avant de l'enrichir avec un peu de technique rythmique et mélodique. Une façon comme une autre de nous trouver une identité avant de comprendre la musique en termes précis.

GMD : On ressent une très forte inspiration dubstep sur votre album, c'est voulu ?

SBC : Ce n'est pas une direction que l'on a souhaité prendre. On aime le dubstep, mais de là a dire que c'est dans notre culture pas tellement, on y retrouve juste les mêmes idées que celles des breakbeats sur lesquels on s'est fait la main. 31 Novembre transpire d'ailleurs pas mal d'influences électroniques, mais ce n'est jamais entièrement souhaité, c'est plus dû à l'important décloisonnement des genres auquel on assiste depuis quelques années, et aux très maigres barrières entre la scratch music et la musique électronique. Par exemple le micro-sampling, très saccadé, vient reprendre un peu le principe de ce qu'on fait avec nos platines et nos crossfaders, et sur l'album on a notamment voulu jouer avec toute la matière sonore qu'on pouvait accumuler en la transposant à la culture des machines et en leur insufflant quelque chose d'humain, quitte à ce que ça repose sur des fautes ou même de l'inexactitude.

GMD : Comment concevez vous l'idée du live ?

SBC : Concernant la tournée En Petites Coupures, c'était d'abord une occasion de se faire connaître du grand public en rejouant nos morceaux tels quels, histoire de se faire une carte de visite. A présent, même si on ne renie pas ce premier album – il continue d'ailleurs d'être joué et retravaillé pour le live – on a envie que la facette live de 31 Novembre diffère un peu plus de sa facette studio. On y place ainsi plus d'énergie, et on compense un manque certain d'improvisation pour des raisons de scénographie par des versions lives qui évoluent sans cesse au fil des dates. C'est d'ailleurs dans ce même souci de garder une cohérence à l'album que l'on a préféré réserver nos relectures de Busta Rhymes ou des Doors à nos représentations, afin d'apporter une substance supplémentaire qui va donner une cohérence à ce que l'on veut développer devant un public.

GMD : Vous avez également collaboré avec le graphiste Brusk et le motion-maker IceCream pour la partie visuelle de 31 Novembre...

SBC : On s'est toujours appuyés sur un univers visuel pour compléter ce qu'on développe sur CD, que ce soit par des jeux de lumières, des scénographies ou des décors. On s'est construit au fil des résidences un univers visuel en perpétuelle interaction avec le son, tout en évitant soigneusement d'aller dans une optique de bande-son live : on s'arrange toujours pour que l'un ne passe pas devant l'autre. C'est donc à Brusk qu'il appartenait d'illustrer par tous les moyens possibles cette nouvelle livraison – peintures, dessins, graffs – avant qu'Ice Cream ne se charge de donner vie à ces esquisses à l'aide d'image de synthèse. C'est un prolongement de notre univers qui nous a toujours paru naturel, et c'est la raison pour laquelle on a travaillé la partie visuelle main dans la main pendant toute la durée de conception de 31 Novembre : on leur amenait les morceaux, et eux s'y collaient ensuite, et on faisait en sorte que ça ressemble le plus possible à ce qu'on voulait obtenir.

GMD : Au final vous devez être de vraies girouettes pendant toute la conception d'un album, non ?

SBC : T'as bien compris. C'est une telle usine pendant toute la conception d'une galette que tous les plans d'avenir du Scratch Bandits Crew ne sauraient être qu'embryonnaires. Ce qui ne veut pas dire que l'on est à court d'idées, bien au contraire même, mais mûrir un album nous réclame tellement de temps, d'énergie et d'idées que l'on ressent le besoin de partir en tournée pour casser un peu ce long processus de recherche. Ce n'est qu'une fois que l'envie du studio nous reviendra qu'on sera prêts à repartir à la recherche d'un nouveau concept, de nouvelles trouvailles. Ce qui est sûr, c'est que cette motivation nous sera indispensable pour retrouver la force de s'engager dans une troisième aventure aussi intense et ambitieuse.