Dossier

Television Rules The Nation #5

par Jeff, le 28 juillet 2020

À l'origine censé accompagner vos moments d'ennui pendant le confinement, Television Rules The Nation va prendre une place définitive sur nos pages, avec un concept qui restera inchangé : à chaque numéro, cinq suggestions, qu'il s'agisse de films, de séries ou de documentaires. Et à chaque fois, un lien avec la musique mais pas forcément avec l'actualité, le dossier se voulant d'abord être alimenté par la seule envie de partager des contenus de qualité.

Mystify : Michael Hutchence

La scène fait peine à voir. Nous sommes en 1995, et Oasis rafle la mise lors d’une cérémonie au cours de laquelle Michael Hutchence, chanteur d'INXS, doit leur remettre le prix du meilleur clip. Noel Gallagher, petit con, prend le micro pour affirmer que les has been d’hier ne devraient pas remettre de prix aux rock stars de demain. Michael ne parle pas. Il en pleurera. Ce documentaire s’attache à une personnalité qui depuis quelques années semblait plus que jamais condamnée à la ringardise. Ses proches et ses ex, Kylie Minogue et Helena Christensen, reviennent sur la vie tourmentée de la beauté personnifiée, un homme qui douta sans cesse de son talent et de sa crédibilité. Le film est un tourbillon, à l’image de sa vie. La musique ne s’arrête jamais, les propos s’enchaînent au rythme des archives inédites, qui sont nombreuses. Petit à petit se dessine une histoire d’une infinie tristesse. Elle est connue, et pourtant : cet homme avait tout, absolument tout, mais jamais il ne trouva sa place au sein d’une industrie et d’un monde qui refusaient de voir en lui ce qu’il était vraiment. Et si ce documentaire ne vous fera sans doute pas changer d’avis sur la production (il est vrai datée) d’INXS, vous ferez au moins connaissance avec un personnage qui méritait tellement mieux. (Nico P.)

Tales of Dr. Funkenstein

Que serait la musique moderne sans George Clinton ? Pensez-y un peu, et tâchez de retracer son formidable héritage : la soul sale de Rick James, le funk mutante de Prince, le g-funk de Dr. Dre, le dirty south d'OutKast, ou les synthés martiens de l'écurie Brainfeeder lui doivent tant. Son extravagance, son goût pour la provoc', et son impressionnant volume de production sont autant d'éléments qui ont contribué, disque après disque, à assoir la folle vision de cet extraterrestre qui a bousculé la musique noire américaine. L'occasion parfaite pour repartir aux origines de ce son délirant, et mieux appréhender ce personnage haut en couleur, qui a fait ses gammes dans le doo wop pour se prendre de plein fouet la déferlante Woodstock des années 60, jusqu'à donner naissance à cette monstrueusement maximaliste qu'est le P-funk. Parfaite porte d'entrée à l'univers de Clinton et à son passif d'une étonnante actualité malgré les années, Tales Of Dr. Funkestein, paru en 2006 et produit par la BBC, est un documentaire suffisamment bien écrit et didactique pour offrir une plongée en profondeur dans les grooves langoureux et les interminables envolées au délicieux goût de purple kush de Funkadelic/Parliament. Cerise sur le gâteau, c'est l'occasion trop rare d'entendre André 3000 parler de l'un de ses héros d'enfance avec des étoiles dans les yeux, et rien que pour ça, on aimerait que ça dure plus longtemps. (Aurélien)

In Transit

La chose ne date pas d’hier mais plus que jamais en 2020, elle semble à peine croyable. Pensez donc : un documentaire en immersion, caméra à l’épaule, tourné avec les moyens du bord, de toute évidence sans validation du moindre label ou attaché de presse, dans lequel les Strokes font preuve d’une franche camaraderie. Alors que de nos jours le groupe semble à la peine au moment de recréer l’alchimie, l’amitié. Les chansons sont bonnes, les albums un peu moins, et la gêne est palpable lorsque les cinq musiciens organisent des apéros Zoom en ligne, masquant avec le plus grand mal les silences et les non-dits. In Transit, disponible sur YouTube depuis des années, est à ce titre un petit trésor, tourné par le groupe lui-même lors de la naissance de la folie Is This It ?, alors que les salles sont encore petites et la carrière pas encore acquise. Le peu de musique originale qu’on y entend est alors signée Albert Hammond Jr., qui sera le premier, quelques années plus tard, à dégainer son album solo. In Transit, tant la chanson qui y figure que le documentaire, est une bande démo. Démo d’une des plus belles chansons du premier album d’Albert, mais aussi des années à venir pour le groupe. A partir de là, tout deviendra plus professionnel, plus encadré, moins drôle aussi, sans doute. (Nico P.)

Miles Davis : Birth of the Cool

Extravagant, provocateur, arrogant... Les adjectifs qui servent à résumer Miles Davis sont souvent aux antipodes de ceux utilisés pour décrire sa discographie. Il faut pourtant dépasser la sale réputation du chef d'orchestre pour rapidement réaliser qu'au prix d'une production variée et intransigeante, Miles Davis est infiniment plus qu'un mec qui tourne le dos à son public lors de ses concerts, et que ce n'est pas trop en faire que d'admettre qu'il a remodelé le jazz à la seule force d'un jeu de trompette et d'une curiosité sans commune mesure. Nombre de documentaires déjà bien qualitatifs se sont déjà empressés de lui tirer le portrait par le passé, et on ne le cache pas : ce Birth of the Cool fraichement débarqué sur Netflix n'apporte pas grand chose de neuf. Il prend simplement autant de plaisir que ses aînés à offrir un peu plus de relief et de modernité à cet anti-héros du jazz, dont les excès et la folie créative préfigurent à bien des égards ce qu'un Kanye West allait nous réserver deux décennies après sa disparition. Birth of the cool est à l'image de son sujet : il est doté d'un feeling incroyable, est bien encadré par les interventions de tous ces musiciens formidables et de ces personnalités fortes qui l'ont côtoyé, admiré et aimé. Enfin, il perce avec classe la carapace égotique du musicien pour faire de son talent exceptionnel le seul vrai sujet digne d'être honoré pendant deux heures qu'on ne sent absolument pas passer. (Aurélien)

Queen and Slim

Un couple noir se forme difficilement autour d’un rendez-vous Tinder. Ils font connaissance, hésitent. Puis, prennent la voiture. Un policier les interpelle, il a clairement envie d’en découdre. Le drame survient, le couple se retrouve sur la route, tentant de rejoindre Cuba pour échapper à ce meurtre qu’ils ne voulaient pas commettre. Pendant six jours, ils rencontreront des hommes et des femmes, noirs et blancs, prêts à les aider, ou non. Premier long métrage de Melina Matsoukas, porté par Daniel Kaluuya et Jodie Turner-Smith, Queen And Slim n’est en rien une relecture moderne de Bonnie & Clyde. Ici, Queen (elle) et Slim (lui) voient leur vie d’avant disparaître sous le poids des accusation, des poursuites, de la traque, tandis que dans une Amérique blessée et divisée, leur parcours inspire la rébellion. Un film de son époque donc, qui la raconte mais qui lui parle aussi. Parfois stylisé jusqu’à l’extrême, d’aucun diront passé au filtre Instagram, le film est en fait à l’image de celle que renvoient les deux protagonistes : un élan de folle liberté, une cavale romantique. Il n’en est rien, mais c’est ainsi que beaucoup pensent voir, devant comme dans l’écran. La musique de Devonté Hynes (alias Blood Orange, alias Lightspeed Champion) n’y est sans doute pas pour rien, et le rôle important qu'elle joue dans le storytelling valait bien que Queen & Slim ait sa place dans ce dossier.