Dossier

Boîte à trésors: JOY

par Jeff, le 14 octobre 2014

Marc Huyghens n'est pas seulement un des mecs parmi les plus gentils du rock belge, c'est aussi un des plus talentueux. Avec SO, et surtout Venus, il démontrait fin des années 90 que le plat pays existait toujours en dehors de dEUS. Et depuis 2008, c'est sous le nom de JOY qu'il continue à officier. Il prolonge dans ce groupe le virage déjà adopté dans le dernier album de Venus, The Red Room: une musique plus directe, moins orchestrale, avec une place importante accordée aux textes et une instrumentation plus brute. C'est encore plus le cas du second album All The Battles, où les cordes de la violoncelliste d'Anja Naucler ont laissé leur place aux guitares et basses de Katel, pour un résultat plus rock, mais qui renoue également avec les influences folk qu'on pouvait rencontrer dans les premiers travaux de Venus. La production confiée à John Parish, compagnon fidèle de PJ Harvey, renforce encore les aspects mélodiques et bruts de la musique du groupe. Le timbre de voix unique de Marc Huyghens s'y retrouve plus souvent confronté à celui de Françoise Vidick, qui s'active aux percussions, pour exprimer de manière toujours aussi "classe" la mélancolie. De mélancolie, il en est d'ailleurs question dans cette boîte aux trésors sélectionnée par JOY, mais pas uniquement. Ça parle aussi de sobriété, de rupture, de silences et de cris, de violence et d'une ligne de basse subtilisée. De quoi en dévoiler un peu plus sur l'univers particulier d'un groupe et d'un musicien unique.

The Black Heart Procession

A Light So Dim

Certains albums requièrent une bonne dose de persévérance avant d’en tomber amoureux, mais celui-là m’a bouleversé en même temps qu’il m’a dérouté dès la première écoute. Son dépouillement, sa mélancolie abyssale, la simplicité de ses compositions, et surtout son intemporalité: j’étais incrédule quand j’ai appris qu’il datait de 1998, alors même qu’il aurait pu être enregistré dix, vingt, ou trente ans plus tôt... ou aujourd’hui. Je ne me suis jamais posé autant de questions sur un groupe. Qui se cachait derrière ces chansons, qui faisait preuve d’autant d’économie de moyens, qui utilisait une scie musicale sur la moitié de ses morceaux, qui jouait du piano de cette manière, sans virtuosité apparente? Et puis nous avons fini par nous rencontrer. C’était au Festival d’Urbino, dont nous partagions l’affiche. Enfin, façon de parler puisqu’ils jouaient la veille de notre arrivée et que j’avais donc raté leur concert. Ce soir-là, un coup du destin nous a permis de partager un repas, et le Chianti de briser la glace. Quelques temps plus tard, Pall Jenkins m’hébergeait chez lui pour trois mois. J’ai appris beaucoup de sa lenteur, de son rythme propre, un peu aussi des bienfaits du bong... Et j’ai enfin pu voir le groupe en concert. C’était à la Casbah à San Diego. Une semaine plus tard je découvrais Low dans le même endroit...

Patti Smith

Beneath the Southern Cross

Je ne sais pas combien de centaines de fois j’ai écouté ce morceau aux modulations quasi imperceptibles, et composé en D, ma tonalité préférée. L’écriture est sèche, les phrases sont courtes et transperçantes. Si ses recueils de poésies ne m’ont jamais beaucoup attiré, Patti Smith incarne néanmoins pour moi une forme magnifiée de la vie dédiée à l’Art, sous toutes ses formes, partout et tout le temps, et j’ai une admiration sans bornes pour elle et pour le courage et la liberté que cette vision de la vie implique.

John Parish

L'enfant d'en haut

Je l’avais vu aux côté de PJ Harvey, mais j’ai découvert sa propre musique au travers de la bande originale de “Rosie”, le film de Patrice Toye. John Parish est une personne à part. A la fois avenant et paradoxalement réservé. En musique, il attire les gens dans son univers, et non l’inverse. Même quand PJ Harvey travaille avec lui, ça ne devient pas du Harvey, ça reste du Parish. Je crois que cet écossais d’origine gardera toujours une grande part de mystère. Il a son style, ce qui, pour moi, revient à dire qu’il a du style. Il n’en rajoute jamais, il en enlève toujours. Et je crois qu’il possède quelque chose que peu de musiciens assument: l’absence de peur du ridicule, parce qu’il exprime juste ce qu’il est. Nous nous sommes croisés pendant plus de 15 ans avant de pouvoir finalement travailler ensemble, sur All The Battles. Je garderai longtemps l’écho d’une phrase qu’il ma transmise sans la dire: “Hurle si tu dois hurler mais n’aie pas peur de laisser parler le silence”.

Arvo Pärt

Fratres

Il y a, dans tous les types de musique, des artistes qui ont du mal à gérer l’économie, la sobriété, quand celle-ci peut parfois s’avérer si forte et prenante, et d’autant plus éloquente. Et la musique dite “classique” n’échappe pas à ce constat. Vers le milieu des années ’70, Arvo Pärt a négocié un virage radical vers une forme d’épure à couper le souffle, sans modulations, qu’on a appelé le minimalisme. De ce compositeur, et de cette période en particulier, Fratres est la pièce qui me remue le plus.

Shannon Wright

The Caustic Light

“In Film Sound” est l’album que j’écoute le plus en ce moment, avec “Over The Sun”, tous deux produit par un certain Steve Albini. Nulle part ailleurs, je n’ai ressenti autant de beauté exprimée dans la violence. Rarement j’ai vu un tel don de soi chez un artiste. Shannon Wright transmet une urgence qu’il faudrait sans cesse pouvoir préserver, même lorsqu’on travaille des semaines durant sur une même chanson. Elle m’attire par sa sauvagerie autant que par cette forme d’autisme qu’elle dégage sur scène. Et puis, pour une fois, je suis littéralement fasciné par un(e) guitariste.

The Beatles

Because

Abbey Road, face B, deuxième morceau. C’est mon premier émoi musical. Le premier rapport à la mélancolie d’un gamin de 10 ans. Et la première fois que j’ai écouté un morceau en boucle, seul. Bien plus tard j’ai appris comment ce morceau avait été enregistré. Un clavecin électrique, une guitare passée dans un cabinet Leslie qui jouait exactement la même chose que le clavecin, une basse, et un moog pour les parties instrumentales. Basta. Et puis les voix... Après avoir travaillé les harmonies, Harrison, Lennon et Mc Cartney ont fait une première prise ensemble, puis ils ont remis le couvert encore deux fois. Bref, neuf voix sur trois pistes. Quand on sait qu’ils disposaient d’un enregistreur 8 pistes, on comprend pourquoi. C’est d’ailleurs le seul morceau qu’ils aient chanté ensemble de bout en bout.

Lisa Germano

My Secret Reason

C’est une des chanteuses que j’ai le plus écoutée. Des soirées entières parfois. C’est en tous cas celle dont j’ai acheté le plus d’albums, puisque, les offrant à mes amis, j’étais bien obligé de les racheter... Je rêvais qu’elle produise le second album de Venus. Lorsqu’on le lui a proposé, elle a répondu avec beaucoup de pudeur qu’elle aimait beaucoup la musique, mais qu’elle s’en sentait incapable. On a longuement insisté en essayant d’installer un climat de confiance, mais on n’a pas réussi à lui faire changer d’avis. Cela fait partie des quelques grands regrets que j’ai eu dans mon parcours de musicien.

Daniel Lanois

O Marie

On m’a souvent demandé pourquoi je ne chantais pas en français... Mais je l’ai fait! O Marie est cependant la seule chanson que j’aie jamais chanté dans la langue de Voltaire. Enfin, disons plus tôt dans cet acadien de base fait d’une centaine de mots de vocabulaire bien terrien, et c’est bien ce qui m’a plu. Après tout, j’ai aussi chanté en allemand et même en italien. Alors oui, peut-être, un jour....

Low

When I Go Deaf

On dit d’eux qu’ils sont à l’origine du slow-core, terme qu’ils réfutent catégoriquement. Mais en tous cas, je ne connais aucun autre groupe qui ait pris le risque d’aller si loin dans la lenteur des tempos, sans avoir peur de se prendre des tomates. La première fois que je les ai vus, c’était dans un club très bruyant, rempli de buveurs de bière. Low a commencé par une longue intro, de manière si concentrée et à un volume si bas qu’après une minute on entendait les mouches voler. J’étais bluffé. Depuis The Great Destroyer, les tempos ont évolué, tout comme la production de leurs albums, mais je reste très attaché à ce groupe avec lequel j’ai au moins un point en commun: Alan Sparhawk et moi utilisons le même accordage de guitare en open D. When I Go deaf, un de mes morceaux préférés, se termine par une déflagration électrique qui me fait hérisser le poil à chaque écoute.

Venus

Out of Breath

Ici, je déroge à la règle pour parler d’un morceau que je n’ai pas découvert puisqu’en réalité je l’ai... composé. De ce groupe, de cette aventure, je ne jetterais rien, ou presque. Mais si parmi la cinquantaine de morceaux que nous avons enregistrés, je devais n’en garder qu’un, ce serait Out Of Breath. Il traduit mon attirance pour ce genre de chanson assez longue, faussement posée et qu’une rupture tente de faire exploser à la fin. Elle a été enregistrée dans un studio à Florence où nous avions trois longs mois pour boucler et mixer vingt morceaux. A mi-parcours, aucune voix n’avait encore été mise en boîte. Le label s’impatientait et nous a demandé d’enregistrer illico les voix de trois chansons, pour pouvoir ensuite les faire écouter. J’étais en colère, je ne voulais pas de travail à moitié fait... Mais je me suis exécuté. J’ai fait une prise, une seule. Un chant super laid-back et très imparfait. Mais une émotion palpable a traversé le studio ce jour-là. Aucune autre prise n’a jamais été enregistrée par la suite. C’est celle-là qui figure, de bout en bout, sur la version définitive. Qui a parlé de perfectionnisme? De colère?... Et pour terminer, voilà un scoop: je n’ai pas créé la ligne de basse, je l’ai subtilisée à Charles Mingus. Elle est la réplique des quatre premières mesures de “Pithecanthropus Erectus“.

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