Dossier

Beastie Boys x Spike Jonze : Not So Sure Shot

par Aurélien & Alex, le 30 avril 2020

Qui n’avait pas envie, au beau milieu de ce confinement merdique, d’un documentaire sur les Beastie Boys réalisé par Spike Jonze ? Reconnaissons-le : pas grand monde, notamment chez les hordes de trentenaires et quarantenaires pour qui le trio de Brooklyn est une vraie madeleine de Proust. Initialement prévu pour une sortie cinéma outre-Atlantique qui n’aura jamais lieu, le documentaire tourné au Kings’s Theatre de Brooklyn a débarqué le week-end dernier en exclusivité sur les serveurs d’Apple – et donc à peu près simultanément sur ceux de ton pirate russe préféré. Sortie bien trop événementielle pour finir dans l’un de nos Television Rules The Nation, on se disait qu’une bafouille plus substantielle semblait essentielle au moment d’aborder ce divertissement conçu comme le prolongement audiovisuel du volumineux Beastie Boys Book sorti en 2018.


C’est en tout cas un réel soulagement de retrouver les trombines de Mike D et Ad Rock qui, à quelques rides et cheveux gris près, demeurent fidèles aux avatars juvéniles qu’ils étaient dans les clips d’"Intergalactic" ou "Sabotage". L’alchimie est palpable, jusque dans la gestuelle et les voix que le temps n'a nullement altérés.

À retrouvailles exceptionnelles, format qui ne l’est pas moins : Beastie Boys Story ne sera pas un documentaire classique puisqu’il se fera en public. Il ne sera pas non plus exactement un comedy special, même si ça en a tout l’air : les deux MC’s ont beau badiner  sur la scène du King’s Theatre, ils sont surtout là pour raconter leur histoire, témoigner de leur parcours unique, de leurs erreurs aussi, non sans un humour qui leur est propre et que l’on chérit tant chez eux. En partant de l’époque où la bande n’était encore qu’un groupe de punk hardcore à cinq, de la rencontre avec Rick Rubin et Russell Simmons, de la séparation avec Kate Schellenbach, des tournées parfois controversées… pour remonter chronologiquement jusqu’à la publication d’Hello Nasty en 1998, la réalisation de Spike Jonze réserve une large part du récit aux early years et aux années Def Jam, entre 1980 et 1987, au succès hallucinant et inattendu de Licensed To Ill et les années de liberté folle qui s’en suivirent pour le désormais trio.

S’il faut attendre plus d’une heure pour le second acte et réussir à enfin aborder leur deuxième album Paul’s Boutique, on n’évoquera que trop succinctement à notre goût les années qui suivirent son échec commercial. Même les années de travail, pourtant refondatrices pour le trio, autour de Check Your Head et Ill Communication, ne nous paraissent être présentées qu’en surface. Ainsi, certaines périodes dans la carrière des BB sont totalement éludées, la faute parfois à un montage quelque peu anarchique. Alors oui, d’aucuns le diront assez ouvertement : pas bien surprenant de conclure le récit sur la sortie en 1998 d’Hello Nasty vu comme celui-ci est unanimement considéré comme leur pièce maîtresse, celle qui recule encore les frontières dans le rap comme musique de machines, qui laisse opérer la magie de Mix Master Mike aux platines et de Money Mark aux claviers, tout en laissant le trio expérimenter avec ses instruments et devenir de meilleurs musiciens, ce qu’ils souhaitaient prouver après le carton de "Fight For Your Right (To Party)".

Pourtant, au fur et à mesure qu’il captive le spectateur, autant par ses nombreuses images d’archives que par la façon dont elles sont remises en contexte avec malice par les 2 MC’s, le show proposé dans un format limite proche du TEDxTalk semble bricolé maladroitement, et donne à certains moments un sentiment persistant d’improviser en face d’un public acquis à sa cause. Les énormes prompteurs ne trompent personne : le spectacle semble manquer de préparation, et un nombre conséquent de blagues tombent un peu à plat. On a parfois le sentiment que sur les trois soirs de représentation, aucun tri entre les images n’a été réalisé tant le storytelling, les images, et les effets sonores ne sont pas toujours synchronisés. Bien sûr, il s’agit nul doute d’une question de format : on en a déjà pour deux heures bien pleines de talk, et même pour du contenu exclusif, ça reste une aubaine. Ré-entendre la flopée d’anecdotes et d’instants absurdes au fil des chapitres se révèle très plaisant. Dès lors qu’il s’agit d’évoquer une loufoquerie où un vrai moment de camaraderie, les Beastie Boys ne manquent pas d’atouts pour cimenter leur légende, comme cette fois où MCA, par un concours de circonstances, se retrouva sur une scène de stade de baseball pour jouer "Walk This Way" avec RUN DMC et Aerosmith, sans que ces derniers ne sachent qui était vraiment ce jeune plouc à la basse.

Si l’objectif ultime d’un tel documentaire était de rendre hommage à Adam Yauch décédé d’un cancer en 2012, on a bien le sentiment que la tristesse est restée intacte, que le vide n’a été nullement été comblé huit ans plus tard. Pourtant, la rapidité avec laquelle les dernières années de MCA sont expédiées à travers de vieilles photographies et d’extraits de concerts estompe quelque peu ces moments de tendresse. Elle est tout à fait compréhensible tant le deuil est encore manifeste, mais d’autant plus dommageable car elle vient clore ce documentaire de manière brutale. Malgré l’évocation du dernier concert du groupe en 2009, le scénario omettra de s’attarder sur les années 2000 qui ont tout de même vu plusieurs sorties notables de la part des Beastie : le polarisant et très politisé To The 5 Boroughs, qui débarque en plein mandat Bush Jr ; The Mix-Up, et son funk instrumental dans la lignée des standards de The Meters ; enfin et surtout Hot Sauce Committee Pt. 2, écrit en plein milieu des séances de chimio de MCA, peut-être l’une des périodes les plus intéressantes à couvrir dans ce documentaire pour le groupe, car loin d’être aussi renseignée que les autres. L’impact de sa contribution, ses idées et sa créativité furent tels au sein du trio que le documentaire fait comprendre pourquoi le groupe cessa ses activités à sa mort. Son fantôme plane largement autour des images d’archives et son souvenir constitue ce qui relie réellement le récit, non sans un certain pathos. On se demande finalement s’il n’aurait pas été plus aisé d’avoir proposé quelque chose d’un peu plus écrit et transversal, et donc mieux susceptible de rendre compte du caractère électron libre d’Adam Yauch, de son engagement politique pour le Tibet, sa conversion au bouddhisme, et du moteur créatif qu’il incarnait au sein du trinôme.

Bon, on joue les pisse-froids, mais bien sûr qu’on a pris énormément de plaisir à parcourir ce documentaire. Trop uniques et remarquables que pour être oubliés, les Beastie Boys méritaient sans aucun doute un hommage à la hauteur de leur immense et atypique carrière. S’y replonger est d’ailleurs toujours aussi passionnant d’autant qu’aujourd’hui encore, elle se passe de comparaisons. Mais finalement, on a le sentiment d’aimer ce Beastie Boys Story pour de mauvaises raisons : d’abord parce qu’on connait tellement le groupe qu’on entre forcément en terrain connu - et de ce point de vue, il y a quelque chose de réconfortant au visionnage d’un tel document. Ensuite, parce qu’on est précisément la cible d’un tel documentaire, là où ton petit frère ou ton cousin, un peu moins au point sur le sujet, risquent d’être complètement perdus s’ils souhaitent découvrir la triplette. Ceux-ci pourront plutôt se plonger dans les sillons à l’énergie contagieuse de Check Your Head ou Paul’s Boutique : à eux seuls, ces deux disques feront office d’introduction à la riche discographie de Mike D, Ad Rock et MCA. Dans l’ensemble, ce documentaire en forme de fan service ne pouvait forcément pas égaler la profondeur de son livre compagnon et n’échappe pas à d’importantes omissions temporelles mais il n’en reste pas moins un témoignage visuel touchant sur ces inénarrables et éternels Boys Entering Anarchistic States Towards Internal Excellence.