WHAT ON EARTH (Que Diable)

Oiseaux-Tempête

Sub Rosa / NAHAL Recordings – 2022
par Adrien , le 8 novembre 2022
7

Voilà près d’une décennie qu'Oiseaux-Tempête appose sa griffe sur le petit monde du post-rock français. En ancrant leur musique dans un contexte géopolitique défini – la Grèce (Oiseaux-Tempête), la Turquie (UTOPIYA ?), le Liban (AL-'AN !) – ou plus vague (From Somewhere Invisible), les Français ne se contentent pas de sublimer leur proposition en la marquant d’un certain regard sur la société contemporaine, de lui donner corps par des partis-pris nomades : ils entraînent l’auditeur·rice dans un voyage d’une élégante puissance suggestive dont la pierre d’angle se situe toujours quelque part entre l’expérimentation et la collaboration. 

Enregistré en France, au Liban et au Canada (notamment au mythique Hotel2Tango), WHAT ON EARTH (Que Diable) se nourrit à nouveau d’une impressionnante liste d’invités, dont bon nombre d’habitué·e·s. Stéphane Pigneul et Frédéric D.Oberland y convoquent ainsi le batteur Jean-Michel Pirès (Bruit Noir), le chanteur G.W. Sok (ancien frontman de The Ex), la violoniste Jessica Moss (Thee Silver Mt. Zion) et le musicien et producteur Radwan Ghazi Moumneh (Jerusalem in My Heart). On retrouve également le chant de Ben Shemie (Suuns) sur "Black Elephant" qui ouvre l’album avec lourdeur, ainsi que la voix de la comédienne Racha Baroud et les percussions de Roy Arida sur "Dôme", le morceau organique qui le clôture avec grâce, enregistré sur le site d'un complexe architectural inachevé à Tripoli. 

Si la plus-value de tout ce petit monde est indéniable, elle se fait en revanche beaucoup plus discrète, plus disséminée tout au long des neuf pistes que compte le disque, offrant un boulevard aux synthés et boîtes à rythmes du désormais troisième pilier du groupe : Mondkopf, qui drape la musique du collectif d’une texture électro s’inscrivant comme rarement dans son ADN.  C’est d’ailleurs cette composante qui démarque l’album de ses prédécesseurs. Moins rock et plus ambient dans ses sonorités, moins incandescent et plus contemplatif dans les paysages sonores dévastés qu’il explore à pas comptés, WHAT ON EARTH (Que Diable) semble avoir été construit comme la bande originale d’un film. Celui d’un monde sur le déclin, confrontant sa lente agonie dans une résilience triomphante. 

En résulte un disque qui semble ne jamais vouloir vraiment décoller, mais l’assume pour asseoir son côté pesant et mieux mettre en valeur ses saillies. Lorsque les oiseaux volent bas, c’est que l’orage n’est pas loin. "Partout le Feu", "Voodoo Spinning" ou l’incroyable "A Man ALone - In A One Man Poem" parviennent ainsi à nous sortir de cette torpeur de 70 minutes, mais pour mieux nous y replonger ensuite, comme des vagues qui troubleraient l’espace d’un instant la lente progression d’une marée noire. Celle de la vingtaine de minutes poisseuses de "The Crying Eye - I Forget" ou du lancinant "Nu.e.s Sous La Comète", par exemple. Seuls "Terminal Velocity" et "Waldgänger", berceuses éthérées, apportent un peu de lumière dans cette nuit sans étoile. 

Avec cet album aux allures de bande originale de film post-apocalyptique, Oiseaux-Tempête surprend à nouveau par son audace, sa capacité à se réinventer, et démontre que son travail sur Tlamess (Sortilège) n’était pas qu’un exercice de style. Comme pour le reste de la discographie du groupe, l’invitation au voyage reste bien présente sur WHAT ON EARTH (Que Diable), qui entraîne dans une errance dense et organique, sombre et hypnotique, que nous sommes impatients de voir transposée en live, le collectif nous ayant habitué à libérer tout son potentiel sur scène.

Le goût des autres :