Tiresias

Niton

Pulver & Asche – 2015
par Simon, le 9 juin 2015
8

L'année passée, le label Pulver & Asche nous avait foutu dans les mains un objet dont on ne savait trop quoi faire. Un label inconnu qui mettait en avant un groupe inconnu qui pratiquait une musique inconnue. Après huit mois d'attente pour une mini-chronique minable (et totalement indigne du talent du groupe, finalement), le Billions Sands de Black Fluo finissait en tête de notre top de fin d'année consacré aux musiques obliques. Bel effort pour des Suisses que l'histoire et la surmédiatisation galopante n'auront malheureusement aucune raison de retenir. Moins d'un an plus tard, il semblerait que ces enfoirés nous refassent le même coup avec le Tiresias de Niton : un truc de Suisses, inexplicable, transcendant et condamné à l'oubli. Chienne de vie.

Les plus férus de mythologie grecque comprendront la référence au devin devenu femme pour avoir troublé une partie de sexe entre deux serpents (les méfaits de la drogue, assurément), condamné à vivre dans la peau du sexe opposé pendant sept ans, avant de reprendre ses attributs initiaux. Sauf que, pas de bol, quand Junon lui demande qui de l'homme ou de la femme prend le plus de plaisir en amour - discussion née d'un désaccord avec ce babtou fragile de Jupiter, qui prétendait qu'avoir une foufoune c'était mieux qu'un membre turgescent - notre mérou expert en retournement de veste lui répondit que si le plaisir était divisé en dix parties, la femme en connaîtrait neuf. Junon, furax de se voir ainsi désavouée, lui jettera un sort et ce vieux con de Tiresias finira le restant de sa vie aveugle. Faut pas déconner avec l'Olympe.

Ce deuxième album de Niton, c'est l'expérience musicale de cette errance aveugle, de cette condamnation d'un homme dont le seul péché est d'avoir vécu l'expérience totale des sens et de l'avoir relaté sans fard. Une très longue traversée faite d'aller-retour incessants, de confrontations de réalités diverses et d'épuisement de la matière. Tiresias est un disque qui marche dans le désert, entre musique de chambre, avant-garde et claviers analogiques. Une suite d'humeurs incroyablement cohérentes et narratives, qui revisitent la routine sentimentale, le drame de l'amour perdu, la solitude, les marches dans le noir, la peur d'être incompris et l'esprit total d'aventure dans douze cathédrales sonores diablement chaleureuses. Un disque hybride et vivifiant, qui pose plus de questions qu'il ne donne de réponses malgré son obsession à demeurer dans le concret. Une œuvre condamnée à finir, comme cette grande tige de Tiresias, seule dans le désert (ou dans les cartons de la salle d'archivage du grand tout musical, c'est selon) mais qui résonnera chez nous comme l'une des œuvres les plus passionnantes de 2015. Écoute obligatoire.