Primary

Kari Faux

Subjective Records – 2017
par Émile, le 2 octobre 2017
7

Pour ceux qui n'auraient rien remarqué, il se passe quelque chose dans le rap: les femmes redoublent d'effort pour occuper fièrement un espace que les mâles dominants acceptent rarement de partager. Et heureusement, la séparation classique du début des années 2000 (des mecs qui rappent, des filles qui ont juste le droit à apparaître sur le refrain) tend heureusement à s’estomper. Quel rôle adopter alors pour ces artistes féminines qui ont souvent plus de talent que de réseaux ?

De Princess Nokia à Chynna, de Little Simz à Kate Tempest, les rappeuses doivent redoubler d’inventivité pour s’inventer un personnage capable de sortir du lot. Kari Faux a choisi une posture bien particulière, celle visant à se réapproprier une figure féminine originelle du hip-hop, celle de la chanteuse soul des 70’s. L'Américaine avait été découverte l’an passé avec un très bon premier EP intitulé Lost en Los Angeles. Sa marque de fabrique? Un flow proche du spoken word nonchalamment déposé sur des instrus porn groove, et une bonne dose d'orgueil. Une recette qu'on retrouve sur son nouvel EP, Primary, sorti chez Subjective Records.

C'est la pochette qui annonce d'emblée cette ambiance "retro", avec une permanente digne de Rick James et un éclairage hérité des clips de Donna Summer. L'angle d'attaque est assez risqué, puisque la référence au 70s est plutôt un cliché dans la musique afro-américaine et qu'elle entre en concurrence avec une musique électronique qui déborde de références à l'époque disco-funk afro-américaine ; de sorte qu'avec un tel projet, la possibilité de redite est assez forte.

Pari réussi pour Kari Faux, dont les instrus ne déçoivent pas. La clef de ce succès est un équilibre superbement tenu entre les basses et claviers assez typés (on sent une grosse influence de Funkadelic dans sa musique), et les rythmiques bien saisies du hip-hop actuel. Avec une touches évidente d'originalité, Kari Faux propose une atmosphère musicale qu'on rapprochera de Childish Gambino - une comparaison qui n'est pas anodine, puisqu'ils ont déjà travaillé ensemble.

Dans la logique d'un projet mettant en avant le rap féminin, on notera le très bon « Maybe, One Day » avec Lord Narf, valeur montante du rap d'Atlanta. Le morceau vient clore l'album sur une touche plus violente qui donne du relief à l'ensemble. Un hip-hop féminin qui conserve puissance et originalité tout en redéfinissant les codes de cette distance inhérente au groove afro-américain, c'est donc la facette majeure de Primary. C'est d'autant plus frappant que l'unique autre featuring de l'album, « Gotta Know », crédite le chanteur de synth-pop Jerry Paper. Les hommes viennent chanter sur les refrains, les femmes s'occupent des couplets, on ne pourra pas dire qu'elle n'aura pas essayer de faire changer les habitudes.