Medicine At Midnight

Foo Fighters

Roswell Records – 2021
par Nico P, le 23 février 2021
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Comment sait-on qu'on a viré vieux con ? Et d’ailleurs, est-il seulement possible d’en prendre conscience ? Est-il envisageable de se lever un matin et de réaliser que nous n’avons plus notre place dans ce monde, que les jeunes sont déjà en train d’enfoncer les portes, que la relève est partie avec la pertinence et l’audace qui étaient les nôtres autrefois ? Si l’histoire, qu'il s'agisse de celle du rock ou de la pop, de l’électronique ou, allez, de la grande bouffe, nous prouve bien quelque chose, c’est que la réponse est non. Quand on est dépassé, quand on ne sert plus à rien, on l’ignore, consciemment ou non, et on continue d'avancer, plus ou moins péniblement. Et comme tout vieux con qui se respecte, on ne cesse de raconter l'anecdote du requin, qui “meurt s’il n’avance pas, comme moi”. Une chouette anecdote de vieux con.

Dans le cas de Dave Grohl, ce qualificatif ne saurait fonctionner. Bien trop péjoratif, d’une part, et donc totalement inadapté à l’homme le plus gentil du rock’n’roll. Surtout, difficile de reprocher à l’ancien batteur de Nirvana un quelconque immobilisme, lui qui se plaît, ici à tout quitter pour partir jouer avec les Queens Of The Stone Age, là à sortir de terre son projet métal absolu, Probot, ou encore, tout simplement, à réaliser ce qui semble être un rêve de gosse en jouant avec un quart de Led Zep au sein de Them Crooked Vultures. Ajoutez à cela un usage parfait des réseaux sociaux et une fanbase plus que jamais acquise à sa cause (les fans ont-ils toujours raison ? Bien sûr que non, mais ici, oui), et non, désolé, Dave Grohl n’est pas un vieux con. Mais le dernier album de son groupe, les Foo Fighters, possède tous les symptômes de cette terrible maladie qui touche en premier lieu les critiques rock, puis les batteurs.

Voulu comme un album pour les fêtes plutôt que pour les stades, Medicine At Midnight, déjà le dixième effort du groupe qui ne cesse d’ajouter des membres (ils sont désormais six après n’avoir été que trois et même un), est terriblement ringard. Passé l’évident manque d’énergie de l’ensemble, comme si le groupe, pour la première fois, manquait réellement de souffle, force est de constater que les chansons ne sont tout simplement pas à la hauteur de l’écriture passée, de l’homme qui fut responsable de "Stacked Actors", "Everlong", "Long Road To Ruin" ou même "The Pretender". Si le bon goût n’a jamais réellement étouffé la bande (l’album Concrete And Gold, volontiers putassier, semblait presque faire de cette absence total de recul et de sobriété un manifeste), ici, c’est malgré eux que les Foos sonnent comme le pire de ce qu’il se fait en matière de dad rock, cette musique de vieux mecs blancs pensée pour la chaîne hi-fi d’un vieux camarade d’école qui nous invite à un barbecue. "Cloudspotter", "Holding Poison" et "Chasing Birds" sont à ce titre parmi les pires compositions du groupe, tandis que l’ouverture "Making A Fire" devrait sans mal trouver sa place au générique de fin d’un teen movie mis en scène par Brett Ratner  ou n’importe quel autre faiseur sans âme. Un rock indigeste, mollement produit, dont les refrains se suivent et se ressemblent tous, voici donc comment le groupe a souhaité célébrer ses 25 années de carrière. Sans tournée (ce n’est certes pas leur faute) et avec le pire album de leur carrière. "Shame Shame", premier single envoyé en éclaireur et plutôt mollement accueilli à sa sortie, fait finalement figure de réelle réussite ici.

Bien sûr, les détracteurs seront ici prompts, sans forcément s’en rendre compte, à prendre la défense de ce disque, en arguant que Dave Grohl, grand batteur, n’a jamais été qu’un guitariste pompier, un chanteur beuglard, et que les Foo Fighters, amusants le temps de la décennie 90, n’ont plus offert quoi que ce soit de potable ou d’un minimum ambitieux depuis le bug de l’an 2000. C’est faux. Le stade étant une salle en soi, à remplir mais également à séduire, rien n’a jamais été acquis, et ce que prouvent les multiples aventures parallèles de Dave Grohl, c’est bel et bien cette conscience de soi, de cet enfermement possible, de cette obsolescence programmée pour tout rockeur qui ne fait pas gaffe et se prend à tourner sans album à promouvoir, à se séparer pour mieux se reformer, à écouter les fans qui pensent qu’il a toujours raison. Dave Grohl n’est pas de ces gens-là, Dave Grohl connaît les choix qui s’offrent à lui. Il a vu les autres mourir trop tôt, en pleine gloire, ou s’effacer trop tard, mort artistique et populaire parfois plus triste parce que plus lente. Dave Grohl est bien loin de rejoindre la longue liste des vieux cons. Mais il a composé leur album préféré de l’année.