In My Mind

BJ The Chicago Kid

Motown – 2016
par Ruben, le 25 février 2016
9

Albums périssables, singles recyclés, flirts dégoûtants avec l’électro-pop... oui, le R&B du début des années 2010 était en bien piteux état. Heureusement, des artistes comme Frank Ocean, Miguel puis D’Angelo sont venus redorer le blason d’un style musical souffrant d’un manque de créativité évident de la part de ses têtes de gondoles - on pense aux orientations musicales parfois douteuses des Usher, Rihanna, Chris Brown et compagnie.

Ainsi, Channel Orange, Kaleidoscope Dream et Black Messiah nous ont permis de faire face à la grosse crise identitaire du R&B contemporain en proposant des albums modernes, portés par sonorités plus tranchantes et expérimentales. Avec l'ouverture de cette brèche, c’est désormais le faible taux de productivité des artistes capables de s'y engouffrer qui pose problème: tandis que Young Thug ou Future redynamisent le rap en balançant une mixtape tous les deux mois, le R&B est encore à la recherche d’un second souffle; à la recherche d'artistes aux épaules assez solides pour prendre le relais; à la recherche de garçons comme BJ The Chicago Kid.

Depuis sa signature sur le label Motown en 2012, Bryan James Sledge souhaite apporter sa pierre à un édifice en lente reconstruction. Mais lui aussi prendra son temps, et il lui faudra plus de trois ans pour finaliser ce In My Mind qui nous parvient enfin. Mais le projet est-il à la hauteur des ambitions de BJ The Chicago Kid?

En découvrant les premières pistes de l'album, on ne peut s'empêcher de ressentir une pointe d'excitation quant à la possibilité d'avoir (enfin) entre les mains un album de R&B crédible et travaillé. En effet, passé l’intro, « Man Down » ouvre immédiatement les hostilités avec une instru intense et parfaitement calée sur le flow de BJ et de ses invités Buddy et Constantine. L'enchainement avec le single « Church » se fait naturellement et permet au kid de Chicago de se mettre en valeur grâce à une mélodie soignée remarquablement portée par un beat accrocheur et des paroles qu'on n'oublie pas - « she wanna drink, do drugs and have sex tonight, but I got church in the morning ».

Comme tout album de R&B qui se respecte, les textes sont forcément emmenés à converger vers l’adulation de la gent féminine. La répétition excessive du thème fétiche des chanteurs aux coeurs de guimauve peut se révéler contre-productive car rapidement ennuyante pour l'auditeur. Néanmoins, l’approche de BJ The Chicago Kid est suffisamment subtile pour que la monotonie des paroles mielleuses soit habilement engloutie sous l’épaisseur des beats. A cela se rajoute l’impeccable sélection des invités et plus particulièrement l’apport des différents MC – Kendrick Lamar, Big K.R.I.T. et Chance The Rapper - qui parviennent à dynamiser l’ensemble et à compenser le flow moins rythmé du chanteur.

Plus orientée soul, la seconde partie du du disque démarre avec « Shine » et prend totalement le pas sur l’atmosphère hip-hop instaurée par les 5 premiers sons. Ici, on sent que BJ The Chicago Kid est allé puiser l’inspiration dans les discographies d’Al Green ou d’Anthony Hamilton – « Jeremiah/ World Needs More Love » est un exemple flagrant. Cette comparaison avec des grands soulmen n’est pas sans fondement puisque leur influence est omniprésente : sur « Woman’s World », le chanteur de Chicago se permet carrément de féminiser le mythique « It’s a Man’s World » histoire que les FEMEN se dotent enfin d'un hymne officiel. Quant à « The New Cupid », il reprend fièrement le « Oh Girl » de Raphael Saadiq. Dans cette optique d'actualisation des influences, The Chicago Kid rend un hommage signifiant à ses prédécesseurs tout en assurant la cohérence musicale de son LP.

Articulé autour d'un tracklisting bourré de beaux rebondissements, In My Mind est un disque incroyablement maîtrisé, qui transpire la soul, le R&B et le hip hop par tous les pores, mais le fait en respectant la tradition. Le résultat final est logiquement très convaincant: oui, In My Mind est sans conteste cet album que plus personne n’attendait en 2016 et nous redonne foi dans le R&B. En espérant que la plaque ait chatouillé l'orgueil d'un certain Franck Ocean, qui n'en finit plus de jouer avec nos nerfs.

Le goût des autres :
8 Amaury