Heartland

Owen Pallett

Domino – 2010
par Adrien, le 8 mars 2010
8

Comment ne pas être admiratif devant cette scène canadienne, qui a vu éclore nombre d'artistes tous plus géniaux que talentueux? Terre de pop et de folk, le Canada porte fièrement ses couleurs à travers des noms aussi marquants que Chad Vangaalen, Feist, Arcade Fire ou Patrick Watson. Parmi ces étendards du pays à la feuille d'érable, le violoniste Owen Pallett occupe clairement une place de choix par ses états de service décidément prestigieux. Citons ainsi pêle-mêle, outre ses deux albums studios précédents (dont l'excellent He Poos Clouds congratulé en 2006 par le prix Polaris) et une brochette d'EP, pléthore de collaborations de haut vol, d'Arcade Fire à The Last Shadow Puppets en passant par Beirut et Great Lake Swimmers. C'est donc près de quatre ans après la parution de son sophomore album que le musicien nous revient en grâce, une attente de longue haleine qui en aura valu la peine tant Heartland relève d'un travail d'orfèvre remarquable.

Dans la pure lignée de Spectrum : 14th  century et Plays To Please, ses deux EP qui avaient alors mis en évidence les épanchements symphoniques du violoniste flirtant entre féérie et opéra, Heartland se révèle être une merveille de pop orchestrale, habillée magistralement par les soins d'un doux rêveur, guide et maître spirituel de ce voyage haut en couleurs vers des contrées pleines de volupté et d'onirisme. Enveloppée dans des arpèges délicats, ceux de l'orchestre philharmonique tchèque, cette oeuvre lumineuse recèle de moments de grâce, à commencer par l'introductif "Midnight Directives" qui, entre les ruisseaux limpides et sereins de son orchestration et la voix chaude du princier Owen, amorce le début d'un voyage exaltant direction Heartland. Exaltant mais également déroutant, par sa tendance à passer par des chemins de traverse tant ses compositions s'entrelacent dans une articulation complexe, singulière, marquée par l'évanescence de ses mélodies et le fantastique de son propos.

Boîte à musique précieuse et ballade étourdissante de cuivres et synthés menés par le violon volubile de Pallett, l'album revêt une dimension enchanteresse, aux confins de contrées pittoresques et féériques. A cet égard, l'oeuvre se distingue par la narration des aventures de Lewis, personnage récurrent de l'imaginaire pallettien, que l'on cotoie notamment au détour des enivrants "Lewis Takes Action" et "Lewis Takes Off His Shirt",  portraits magistraux foisonnant de candeur et d'incandescence. Autour de ce personnage s'articule dès lors toute une pallette de pièces lyriques prolixes, de la douceur d'un "Oh Heartland, Up Yours!" à l'inquiétant "Mount Alpentine" plongé dans un orage de cuivres, sans compter le malicieux "Flare Gun" qui n'est pas sans rappeler l'"Ultimatum" lancé par Pallett dans son Plays to Please EP. Une belle démonstration d'insouciance suivie par la sensibilité exaltée d'"E For Estranged" qui atteint ici des sommets, magnifié tant par la voix enfantine de l'artiste que par le mélange subtil des pièces instrumentales. Eblouissant.

Owen Pallet, qui officiera désormais sous son nom, contraint d'abandonner le sobriquet à résonnance geekienne de Final Fantasy suite à des plaintes formulées par les développeurs du jeu vidéo japonais, livre ici son album le plus abouti, d'une splendeur substantielle remarquable où la magie opère de bout en bout. "What Do You Think Will Happen Now?" se demande le canadien en conclusion de ce Heartland. En nous livrant sur un plateau d'argent les douze chapitres de ce conte fabuleux, Pallett poursuit sereinement son ascension vers des monts de splendeur, parvenant brillamment à s'imposer définitivement comme l'un des grands noms de la scène folk anglo-saxonne actuelle.

Le goût des autres :
9 Julien 8 Nicolas