ENTERTAINMENT, DEATH
Spirit of the Beehive
L'être humain est profondément masochiste. Sinon, comment expliquer l'existence du harsh-noise japonais ou des choux de Bruxelles ? Cette légère incontinence verbale a pour but de vous assurer que le groupe Spirit of the Beehive n'est pas étranger à cette notion de masochisme. Le message de leur quatrième effort ENTERTAINMENT, DEATH est clair comme de l'eau de roche : coucou, voici un des albums d'indie-rock les plus étranges de ces dernières années.
Le trio de Philadelphia est donc là pour vous bousculer dans vos habitudes confortables intro-couplet-refrain. Encore plus grandiose, Spirit of the Beehive se contre-fout même de sonner comme un groupe. On parle ici d'énergumènes qui prennent la décision de démarrer bille en tête avec une minute pure de noise sur "ENTERTAINMENT". Les prétentions commerciales et radio-friendly sont tuées instantanément dans l'œuf. Un seul titre dans leur nouvel album (le premier pour Saddle Creek) contient plus d'idées et de concepts tordus que dans des discographies entières de certains groupes indie aseptisés. Pour ne pas froisser certaines sensibilités, je refuse de donner des noms. Mais je vous autorise quand même à suivre mon regard jusqu'Arcade Fire.
On peut pousser le vice jusqu'à dire que la guitare, la basse et la batterie sont finalement des broutilles emmerdantes dans la conception d'ENTERTAINMENT, DEATH. Pour le trio, ça manque un peu de sel. Alors on rajoute des bidouillages électroniques. Mais là encore, la volonté anticonformiste de ne pas s'attarder au même endroit prime. Cet ovni discographique récompense les personnes refusant en bloc la bouillie sonore pré-mâchée et facile à avaler. Spirit of the Beehive est pourtant plus que capable d'écrire des mélodies sublimes : "WRONG CIRCLE", "BAD SON" et "GIVE UP YOUR LIFE" en sont les exemples les plus frappants. Mais c'est pour mieux déconstruire et déstructurer par la suite la formule gagnante pop et éloigner avec maestria chaque tentative pour les enfermer dans une narrative.
Le guitariste Zack Schwartz explique avoir eu l'idée de l'album en pleine tournée, après avoir été réveillé par le bruit d'un pneu crevé de leur van. Et si le groupe était mort pendant cet accident ? Et si le reste du disque n'était qu'un effort pour se rappeler des souvenirs lointains ? Un concept étrange assumé jusqu'au bout puisqu'ENTERTAINMENT, DEATH a l'effet nébuleux et flottant des rêves. Ou d'un bad trip à l'acide, selon les avis divergents. C'est en tout cas l'équivalent musical du câble interdimensionnel dans Rick & Morty : des bouts fragmentés recousus ensemble sans souci aucun d'une cohésion globale. Electro-pop, psyché, shoegaze, noise, indie-rock expérimental... C'est le menu buffet à volonté Spirit of the Beehive. Autant prévenir qu'on a la dalle et la masse de tickets restaurants pour bien profiter.
Laissez-vous désarçonner par les multiples couches d'écoute que propose ce disque. Dans cette culture regrettable de l'instantané, les groupes de ce genre sont du pain béni pour les personnes encore réticentes à avoir un avis tranché au bout de quelques secondes d'attention. Sauf si c'est pour dire que les 45 minutes du dernier morceau d'Arcade Fire "Memories in the Age of Anxiety" durent 45 minutes de trop, évidemment.