Dream Like A Dogwood Wild Boy

Binker Golding

Gearbox Records – 2022
par Émile, le 12 juillet 2022
7

Le principe même d’une vague, c’est qu’une fois arrivée au pic de son existence, tout ce qu’elle peut faire, c’est redescendre. Autour de 2017, alors que le jazz britannique était en plein boom, on attendait avec une tristesse préventive le moment où il disparaîtrait.

Nous sommes en 2022, l’Angleterre a fait son Brexit, mais les jazzeux·euses d’Albion viennent toujours jouer par chez nous. Les disques sortent, les gens les écoutent, et les noms de Shabaka Hutchings, Nubya Garcia, Joe Armon-Jones, Sheila Maurice-Grey ou Yussef Dayes font partie intégrante du paysage musical contemporain. Alors loin d’être une vague descendante comme on avait pu l’affirmer autant par méfiance que par précaution, le jazz anglais est un bâtiment solidement installé, que ce soit dans le tissu social des musicien·ne·s d’Europe et des États-Unis ou dans l’agencement de production soutenu par des labels comme Brownswood Recordings ou Gearbox Records. Chez ces derniers, Binker Golding fait partie de ceux qui, à l’instar de la communauté artistique dans laquelle il nage, sont en mutation permanente.

Il n’y a vraiment aucun moyen de savoir à la pochette de son dernier disque que Binker Golding est l'un des plus grands noms du jazz britannique. Le saxophoniste de Binker & Moses, duo qu’il partage avec le génial batteur Moses Boyd, a profité d'une pause (si on ne compte pas leur dernier petit, Feeding The Machine) pour reprendre un envol en solo, près de trois ans après Abstractions Of Reality Past And Incredible Feathers. Un envol aux accents de rêve américain, d’introspection sauvage et de redéfinition de son jeu.

Dream Like A Dogwood Wild Boy s’écarte ainsi des influences caribéennes, africaines ou électroniques pour rendre hommage à une sorte de sauvagerie d'outre-Atlantique. Une pureté chaotique de la naissance du premier jazz, pris entre le blues des anciens esclaves noirs et les célébrations de la Louisiane, et faisant écho à un paysage violent par son immuabilité. Des déserts et des marais américains émerge un imaginaire inquiétant et fantastique, rendu vivant dès les premières secondes du disque par le jeu de guitare à la slide bar sur « (Take me to the) Wide open lows ». Moins cisaillé, moins complexe, le saxophone de Golding glisse sur le disque avec l’aspect solaire d’une route pleine de promesses. Sur « Howlin’ and drinkin’ in god’s own country », on sent tout le plaisir qu’il y a à jouer sur une batterie aussi envoûtante, permettant aux bois de dérouler toute une nuit de club sans jamais s’arrêter. Un disque en forme d’hommage, certes, mais pas en forme de pastiche.

Le nouvel album solo de Binker Golding est en réalité bien plus onirique qu’historique. Les mouvements de guitare de Billy Adamson et du piano de Sarah Tandy (tous deux aussi américains que Golding) sont ceux d’un imaginaire montrant que la route traversée est un rêve en en sortant constamment. On pense notamment à « ‘Til my heart stops », mêlant du modern jazz à une ambiance de chanson folk, ou à « All out of fairy tales », dont le riff de blues appelle presque les Stones. Loin de rendre une copie vivant dans le passé, Binker propose un travail particulièrement rafraîchissant et dépoussiérant. Un disque difficile d’accès pour les amateurs·rices du jazz contemporain, en effet, mais uniquement au premier abord. Derrière sa pochette digne d'un vieux bluesman américain, ce nouveau Binker Golding est en réalité un hommage très tamisé et détaché des vieilleries, célébrant toutes les origines du jazz britannique.