A Light for Attracting Attention

The Smile

XL Recordings – 2022
par Aurélien, le 30 mai 2022
5

De mémoire de boomer, rarement un projet associé au nom de Thom Yorke avait fait aussi peu de bruit que The Smile. À titre de comparaison, la ferveur populaire était bien plus forte l’an passé pour le repressage de la doublette Kid A / Amnesiac (une vaste fumisterie) que pour ce nouveau projet annoncé en pleine crise de la COVID et qui a mis deux années à s’offrir au monde. Pourtant, ce n’est pas comme si la musique de Yorke n’intéressait plus : Anima, son dernier album solo, était même très bon. Non, c’est juste que l’époque où le chanteur était partout et tout le temps semble révolue, et qu’il peut sortir ce qu’il veut sans prendre le moindre risque, à l’instar de son voisin de palier Damon Albarn. Et c’est certainement mieux comme ça : rien n’est pire qu’un album qu’on s’oblige à aimer par pression de la hype ou à l'aune du passif de son géniteur.

Une pression qui vaut tant pour notre jugement d’auditeur que pour le groupe qui, débarrassé des avis de la presse ou d’une fanbase un peu trop envahissante, est libre de faire ce qu’il veut. Tout le monde d’ailleurs semble avoir gardé une oreille lointaine sur ce retour aux guitares du chanteur, ici accompagné de son BFF Johnny Greenwood et du batteur Tom Skinner, que les jazzix connaissent déjà pour son jeu plus tendu qu’un Brésil - Argentine sur les disques des remarquables Sons Of Kemet. Un line up en or donc pour un projet dont on ne sait pas trop d’où il sortait, ni où il souhaitait nous emmener : la faute à de nombreux singles qui partaient dans beaucoup de directions à la fois, sans vraie couleur. A Light For Attracting Attention se devait donc de nous donner ce fil rouge qui faisait défaut.

Autant le dire tout de suite : il n’y parvient pas. Le premier effort de ces trois talents a beaucoup de mal à parler d’une seule voix, et on se demande si c’était bien là l’intention. Entre la science des arrangements de Greenwood et le songwriting élégant de Yorke, le jeu de Skinner a peu voix au chapitre ici, et n’apporte que peu de valeur ajoutée au produit fini. Il faut dire que The Smile a beaucoup de mal à exister loin de Radiohead, comme ce "You will never work in television again" en forme de parent pauvre de "Bodysnatchers", ou ce "Open the floodgates" bien moins passionnant que "Daydreaming" sur le dernier album du groupe anglais. Pourtant, force est d’admettre qu'A Light For Attracting Attention est loin d’être mauvais; disons qu'il semble insignifiant en comparaison avec les derniers albums de Thom Yorke ou Radiohead, au point qu’on se demande si ses meilleurs titres n’auraient pas été plus à leur place sur un dixième album du groupe plutôt que sur un side project dont la familiarité condamne l’effet de surprise des premières écoutes.

A Light For Attracting Attention est-il une déception ? Pas tant que ça ; il ne fait que confirmer ce que ses singles laissaient présager, et échoue par son incapacité à créer quelque chose de neuf à six mains. Si l’on arrive à faire abstraction du sentiment de déjà entendu, il reste un disque qui brille par ses individualités, avec de bien beaux titres (formidables "A Hairdryer" et "Skrting of the surface") et même une remise à neuf du "Imagine" de John Lennon touchante quoiqu’un rien cheesy ("Free In The Knowledge"). Ni un bon album ni une coquille vide, A Light For Attracting Attention est un album qu’on aura vite fait d’oublier, en espérant que ce petit dérapage donnera envie à Radiohead de retourner en studio pour repenser sa musique non plus comme le seul terrain d’expression de Yorke et Greenwood, mais bien dans une vraie logique de groupe.