Dossier

Wake Up The Dead #8

par la rédaction, le 14 avril 2020

Fange

Pudeur

Simon

La France a un incroyable talent. Et ça ne date pas d’hier. Les Français ont toujours su imposer de grands noms du metal dans à peu près tous les styles et à toutes les époques, à tel point que, oui, le metal français a un ADN à part. Fange en est le dernier exemple notoire : venu de Rennes, le groupe - qui cumule cinq disques en cinq ans - est en train de mettre la claque à toute la scène indé européenne, en ne manquant pas de s’acoquiner avec les meilleures références américaines (qui a dit Deathwish Inc. ?). Après, pas besoin d’être un fin limier pour capter que Fange a tout de la rising star: du metalcore biberonné à Converge, du power noise qui rappelle ces démons de Full of Hell, une écriture sans cesse plus alambiquée pour une production toute compressée. Une formule qui cartonne sur Pudeur autant qu’elle marchait sur le précédent - même si le sentiment de complexité et de suffocation est encore ici amplifié. Une vraie valeur sûre, avec ses textes en français magnifiquement nihilistes, sa puissance négative assourdissante et sa créativité à des lieues de tous les copycats. Partout l’année prochaine dans tous vos festivals post-corona préférés.

BIB

Delux

Jeff

Vous êtes des fans historiques de Turnstile, mais vous trouvez que ces derniers temps, la musique du groupe s'encroûte à trop traîner du côté de chez Roadrunner ou à s’acoquiner avec des producteurs qui aiment bien arrondir les angles ? Pas de problème, on a ce qu’il vous faut avec BIB, pensionnaires du label Pop Wig Records, sur lequel… Turnstile sortait en début d’année un formidable EP de remixes par le producteur australien Mall Grab. Les compromis stylistiques et la production aux petits oignons que l’on a pu entendre sur Time & Space en 2018, ils sont aux abonnés absents sur Delux, premier long format de ces enragés originaires du Nebraska. Enfin long... en même pas vingt minutes, les gars de BIB balancent le genre de punk hardcore qui donne juste envie de défoncer des barrières de CRS en hurlant au refinancement de l’hôpital public, sans trop se soucier du fait que c’est aux soins intensifs de ce même hôpital public que notre outrecuidance va nous mener. Le parallèle ici n’est pas anodin, parce que tout dans la musique de BIB, du beat martial aux riffs vicelards en passant par les hurlements courroucés du chanteur Nathan Ma, tout renvoie à une colère et une agressivité tout à fait saines, et prenant pour cible tout ce qui part en sucette en ce bas monde. Mais l’autre vraie valeur ajoutée du disque, on la trouve dans la volonté de BIB de saupoudrer son punk hardcore de noise, voire de rock garage, tout cela dans des proportions assez modestes, mais suffisamment audibles pour lui permettre de ne pas sonner comme les centaines d’autres qui occupent déjà ce terrain de jeu où il fait bon donner et recevoir des grosses mandales.

Regarde Les Hommes Tomber

Ascension

Alex

Cela fait maintenant plusieurs années que l’on suit avec attention le parcours de Regarde Les Hommes Tomber. Pour avoir largement poncé leurs précédentes sorties, Regarde les hommes tomber en 2013 puis Exile en 2015, on sait d’avance que le groupe n’est pas du genre à décevoir ses suiveurs. Il est aussi l’un des rares dans l’Hexagone à proposer un pot-pourri aussi bien ficelé de black, de sludge et de post-metal. Cinq années séparent ce Ascension de son prédécesseur et on ne s’était pas trompé quant au fort potentiel des garçons puisque le groupe est désormais signé sur la grosse maison marseillaise Season Of Mist. Sur ce dernier volet de cette trilogie, les Nantais s'inscrivent dans la continuité sans pour autant tomber dans la facilité. Pas de véritable dépaysement sur ce disque, mais une musique toujours aussi stratifiée et prenante. Si les nouvelles compositions ne s’éloignent que peu des plus anciennes, on sent néanmoins un travail beaucoup plus important sur la production, très dense, et les textures compactes des guitares sur lesquelles se greffe le chant schizophrène de TC, entre cris gutturaux et envolées mélodiques. Loin d’être la formation la plus extrême comparée aux figures du genre, RLHT s’évertue plutôt à proposer plans progressifs et riffs obsédants qui s’étalent sur de longues minutes. Malgré l'absence d'une marge de progression plus importante qu'on n'aurait pu l’espérer, il ne faut pas s’y tromper : sur ce Ascension plus complexe qu’il n’y paraît, le quintet témoigne à de nombreux égards d’une approche singulière et offre une vision moderne d’un black metal atmosphérique qui n’aurait pas peur de s’affranchir des canevas habituels. Joli coup.

Sightless Pit

Grave Of A Dog

Alex

Sightless Pit, c’est le nom de cette alléchante association entre Kristin Hayter (Lingua Ignota), Lee Buford (The Body) et Dylan Walker (Full of Hell). Trois des plus brillants esprits contemporains de la scène metal avant-gardiste dont les affinités artistiques sont déjà bien connues de leurs fanbases respectives. Grave Of A Dog, premier projet en huit titres du trio, est le résultat de sessions étalées sur deux années. Un disque d’une abyssale noirceur qui délaisse la brutalité des guitares pour mettre machines et synthés déglingués au centre des débats. Malgré leurs différences, les univers des trois protagonistes cohabitent extrêmement bien et chacun est ici fidèle à lui-même dans cette configuration, rendant l’ensemble très organique. Chaque membre s’approprie respectivement un morceau avant d’ensuite se mettre en retrait pour laisser l’autre s’exprimer. La voix déchirée de Hayter marque toujours autant les esprits par son côté baroque, même si celle-ci se fait finalement plus discrète qu’on ne le pensait sur l’ensemble du disque. Son apport sur des morceaux comme “Love Is Dead, All Love Is Dead” illustre l’atmosphère quasi religieuse qui imbibe tout ce que Lingua Ignota nous propose depuis bientôt trois ans. Walker ne sort également pas de son registre tout en régurgitations et il faut l’entendre sur “Violet Rain” surgir comme une gargouille derrière la voix d’Hayter pour comprendre que le garçon s’impose comme l’une des voix les plus sombres de ce metal jeu. Pendant ce temps, Buford triture les machines et pond des atmosphères désolées (comme sur les intenses “Drunk On Marrow” et “Miles Of Chain”) pour un résultat exploratif qui se rapproche par moments de Ascending A Mountain Of Light, album collaboratif entre son groupe et FOH. Nihiliste mais faisant néanmoins preuve d’une certaine vulnérabilité, Grave Of A Dog est assurément une expérience sonore déconcertante et délicate à appréhender qui témoigne des très belles choses que ces trois-là peuvent encore accomplir ensemble.

Sons Of A Wanted Man

Kenoma

Jeff

On peut dire qu’on ne croyait pas trop en Sons of a Wanted Man. En tout cas, suffisamment pas assez pour faire un petit effort et arriver à l’heure le jour où ils ont eu la chance de faire la première partie de la date belge de la tournée européenne de Deafheaven. Pour l’occasion, le groupe limbourgeois s’offrait le luxe d’investir la grande salle du Trix, et de chauffer les planches pour les darons ricains du blackgaze, mais aussi pour une autre bande de tontons de l’apocalypse, Inter Arma. Un concert qui débutait du coup assez tôt et pour lequel on aurait parié sur un public clairsemé. Il n’en fut rien lors de notre arrivée tardive, preuve que le groupe a ses fans d’abord, et qu’en matière de porosité de la frontière linguistique, le métal belge n’est pas mieux logé que les autres genres musicaux. Parce qu’il ne fait aucun doute que ces gars seraient déjà sur nos radars s'ils sortaient de Tournai, de Liège, ou de n’importe quel bled de France. D’ailleurs, c’est un label hexagonal, le bien-nommé Les acteurs de l’ombre, qui sort Kenoma, premier album du groupe de blackened post-metal, qui arrive plus de cinq ans après sa formation. Disque sans surprise dans sa façon de mettre en musique tous les éléments constitutifs du genre, Kenoma vaut principalement pour la qualité de ses compositions, qu’il est capable de faire exister sur de belles durées (à ce petit jeu, les 11 minutes de la plage-titre valent mieux que n’importe quel long discours), quand les pistes ne se fondent pas les unes dans les autres pour former un tout à l’inoxydable cohérence – la façon dont « Kenoma » et « Serpentine » s’enchaînent est remarquable. Des erreurs de jeunesse et des petites fautes de goût, il y en a bien sûr sur le disque, mais si celui-ci est traité avec l’indulgence dont on doit faire preuve envers un premier effort, il n’y a aucune raison que l’on ne passe pas un bon moment.

Fluisteraars

Bloem

Jeff

Voilà, c'est confirmé : pour cause de COVID-19, GMD n'enverra pas de délégation au prochain Roadburn, de loin l'un des tout meilleurs festivals d'Europe à plein de niveaux. Alors on se console en se disant que ce sera mortel en 2021, comme ce fut le cas en 2019. De cette cuvée 2019, on retient notamment une soirée où la crème de la scène black metal batave s’était réunie. Parmi les moments forts, il y eut les prestations de Laster ou Turia. Ces derniers sont d’ailleurs de retour en ce début d’année sur Eisenwald avec Degen Van Licht. Et c’est justement sur le Bandcamp du label allemand que l’on est tombé un peu par hasard sur le nouvel album d’un autre groupe néerlandais, Fluisteraars, qui va atomiser pas mal d’espérances chez les amateurs d’atmospheric black metal qui nous lisent. Si on prend le train en marche, le groupe peaufine sa formule depuis 2016, et cela s’entend. Si le cahier des charges du genre est globalement respecté, avec des compositions où riffing furibards, gros blast beats des familles, hurlements dantesques et breaks ouateux se tirent la bourre, c’est vraiment dans les détails que se cache le diable – une touche de breakbeat par ci, des cuivres distants par là ou encore l’utilisation d’instruments comme le tambourin ou le timpani. Ce sont ces petites touches originales qui prennent tout leur sens au fil des écoutes successives, combiné à un sens de la composition et du rollercoaster émotionnel bien maîtrisé, qui font de Bloem à la fois un disque impeccable et l’incarnation de la vitalité de toute une scène.

Relic Point

Self Punishment

Albin

From Russia, with love. En l’occurrence, c’est de l’amour asséné au marteau-piqueur que propose Relic Point, groupe russe jusqu’ici passé complètement inaperçu et qui, sous l’effet d’une suggestion Bandcamp vachement bien ciblée, nous bondit à la gorge malgré moins de 300 followers revendiqués sur Facebook. Ce deuxième album auto-produit est une agression caractérisée, célébrant la négation totale : point de mélodie, point de ligne rythmique, pas un seul riff de guitare à se mettre sous la dent, et encore moins de subtilité dans une approche vocale qui se résume à un interminable cri d’agonie. Dans un registre sludge noise, Relic Point burine chacun des 7 morceaux de cet album avec une obstination autodestructrice qui force le respect : pendant 35 minutes, on a tout simplement l’impression de se manger un mur en pleine tronche. L’ensemble crée néanmoins une sensation de transe assez surprenante, compte tenu de la radicalité de l’exécution. Un album sans accalmie, dont le titre résume à merveille les émotions qu’il suscite. La sensation de manque qui suit immédiatement la fin du châtiment a de quoi déconcerter. Hautement recommandé aux fans d’Indian et de Full Of Hell.