Dossier

Wake Up The Dead #14

par la rédaction, le 13 décembre 2021

Dernier numéro de l'année pour Wake Up The Dead, notre dossier consacré aux choses à retenir dans l'actualité des musiques violentes. On conclut 2021 avec quelques grosses cylindrées, des jeunes qui n'en veulent et une grosse sélection de ce qui s'est fait de très bon ces derniers mois, en passant du punk hardcore fleuri au death tentaculaire via quelques pépites de black metal du futur et du doom scandinave. Joyeuses fêtes les goblin·es !

Converge & Chelsea Wolfe

Bloodmoon I

Erwann

Les collaborations entre groupes de metal extrême et chanteuses gothiques n'en finissent plus, et on n'est pas prêts d'être rassasiés. Après le Mariner de Cult of Luna & Julie Christmas ainsi que le double volume May Our Chambers Be Full et The Helm of Sorrow d'Emma Ruth Rundle & Thou, voilà que Chelsea Wolfe prête sa voix à la violence de Converge. Attention, on se trouve ici loin du punk hardcore "traditionnel" du groupe, bien que certains passages mettent en avant ce chaos dont il s'est fait l'expert, "Tongues Playing Dead" semblant tout droit sorti de Axe to Fall. Bloodmoon: I tend plutôt vers un sludge atmosphérique et doomy se rapprochant de ce que Cave In a pu faire avant le décès du OG Caleb Scofield. Cela s'explique par l'origine de l'album, prenant son inspiration d'une nuit moite de Roadburn où Wolfe, l'ingé son Ben Chisholm (qui a notamment co-produit l'ULTRAPOP de The Armed) et Steve Brodsky (ancien de Converge, Cave In, Old Man Gloom) se retrouvèrent à partager la scène avec les maîtres coreux. Cette nouvelle esthétique, plus lente, mais pas moins intense, se marie tellement bien avec les cris et litanies de Chelsea Wolfe que c’est elle qui se dresse finalement comme véritable frontwoman de cette nouvelle entité. Rendez-vous en 2022 pour le second volume, peut-être avec un chouïa plus de mathcore ?

Plebeian Grandstand

Rien Ne Suffit

Alex

Plebeian Grandstand est de ces groupes dont le parcours transpire intelligence et audace. À ses débuts en 2005, la formation française évoluait alors dans un hardcore chaotique proche de Botch ou Converge, à une époque où les groupes nationaux hébergés sur Throatruiner Records n’hésitaient pas à mettre des plans noise dans leur vin. Ce changement de direction au fil de leur discographie fait d’autant plus plaisir à voir que Plebeian Grandstand a su facilement s’imposer dans un univers beaucoup plus sombre, d’abord avec Lowgazers, malsain et non moins riche en expérimentation sorti en 2014, puis avec l’étouffant False High, True Lows, véritable bijou de black metal avant-gardiste paru il y a 5 ans déjà. Avec Rien Ne Suffit, première sortie en français dans le texte et première livraison sur le label Debemur Morti Productions, les Toulousains reviennent ici avec une nouvelle monstruosité. Tout au long de ces 50 minutes, Plebeian Grandstand désintègre toutes les structures, réarrange ses couches de guitares pour produire un amalgame de black metal et hardcore dissonant et propice à l’aliénation. Grâce à une utilisation généreuse d’éléments électroniques (“Nous en Sommes Là”, “Aube”) qui n’est pas sans rappeler la radicalité de leurs compatriotes chez Fange ou la liberté artistique de monuments du Black français comme Blut Aus Nord ou Deathspell Omega, Plebeian Grandstand porte à nouveau l’estocade. Il suffit d’écouter “Part Maudite” ou “Rien N’y Fait” pour capter que c’est encore une démonstration de force de la part du hurleur Adrien Broué et surtout du batteur Ivo Kaltchev dont les blast beats et plans mathématiques dictent avec brio le rythme d’un album fascinant. Dense, abstrait et immensément complexe, Rien Ne Suffit est une œuvre sans échappatoire qui pulvérise constamment son auditeur·ice. Mais surtout, elle témoigne de la place majeure qu’occupe désormais Plebeian Grandstand parmi les formations extrêmes de l’hexagone.

Portrayal Of Guilt

CHRISTFUCKER

Nikolaï

Oui, nommer son album CHRISTFUCKER relève de l’humour edgelord digne des années collège. Mais ça tombe bien parce qu'ici, on adore ce genre de vannes trash. Les petits rigolos visés par la présente chronique sont les Texans de Portrayal of Guilt, figurant parmi les plus innovants et prolifiques de la scène extrême actuelle. Et la crise sanitaire ne les a pas empêchés de charbonner : We Are Always Alone en janvier, un split en août avec Chat Pile et le petit dernier, CHRISTFUCKER, qui reprend les choses là où le groupe les a laissées - c'est-à-dire dans la barbarie. Sauf que cette fois, la barre de l’avant-gardisme est relevée de plusieurs crans. On savait déjà les Américains enclins à l’éclectisme, mais les éléments noise et industriels sont maintenant plus prégnants et se rajoutent à leur arsenal : “Sadist” fout bien les jetons et constitue une musique de circonstance pour un donjon BDSM au septième cercle de l’Enfer. 30 minutes paraissent peu, mais l'objet est d’une densité folle. Le groupe s’en contrefout pas mal si tu n’as pas le temps de digérer la déferlante qu’il est déjà passé au choc frontal suivant. Portrayal of Guilt lâche parfois même les chevaux post-punk et sludge, conférant à l’ensemble une ambiance poisseuse. Le débat est maintenant lancé : votre cœur penchera-t-il vers le plus cohérent We Are Always Alone ou la cacophonie vicelarde de CHRISTFUCKER ?

Monolord

Your Time To Shine

Jeff

De Through Silver In Blood de Neurosis à Prowler in the Yard de Pig Destroyer en passant par Leviathan de Mastodon, il ne fait aucun doute que la légende de Relapse Records s’est bâtie sur un sacré paquet de classiques absolus que nous n’allons pas tous lister ici. Mais si le label fondé par Matthew Jacobson en 1990 reste toujours aussi bien placé dans le cœur des amateurs et amatrices de musiques extrêmes, c’est aussi pour cette foultitude de “bons petits disques” qui, en toute humilité, ont contribué à solidifier ce statut. Et ce cinquième album du groupe de doom suédois Monolord, c’est précisément dans cette seconde catégorie qu’il tombe : si vous cherchez une formation qui fait bouger les lignes ou repousse les limites du genre, passez votre chemin. À l’exact opposé d’un YOB qu’on pourrait comparer au génial emmerdeur qui fout le bordel dans le fond de la classe, les gars de Göteborg font figure de bons élèves de la scène doom, récitant poliment leurs gammes à longueur d’album. Est-ce pour autant indigne de votre temps de cerveau ? Absolument pas : si l’on fait abstraction du côté (très) sage et (très) scolaire de la musique de Monolord (ce qui sera certainement un argument convaincant pour certaines oreilles plus chastes), il subsiste quand même dans la petite quarantaine de minutes passées en compagnie du groupe ce qui fait l’essence d’un disque de doom metal digne de votre intérêt : une performance vocale mémorable et un songwriting qui jamais ne se fait prendre en défaut.

SUNN O))) & Anna Von Hauswolff

Metta, Benevolence BBC 6Music : Live On The Invitation Of Mary Anne Hobbs

Emile

Du sang neuf. Voilà ce qu’il fallait à Sunn O))) pour remettre en route une machine un peu à souffrir ces dernières années, notamment après un Kannon pas très excitant. Pour leur dernière sortie, le duo a même été chercher un sang capable de faire peur aux cathos en la personne d'Anna Von Hauswolff. La fille (hé oui) du grand Carl Von Hauswolff est un phénomène de la redécouverte de l’orgue. On vous conseille d’ailleurs d’aller jeter une oreille à son dernier single, « The Truth The Glow The Fall », témoin d’une sensibilité pop rare et d’une capacité à donner à l’orgue une place neuve, et pas simplement « je joue Muse à l’orgue.mp4 ». Un morceau qui permet de comprendre pourquoi Greg Anderson et Stephen O’Malley l’ont invitée sur un live à la BBC en 2019, afin de clôturer la tournée anglaise de Pyroclasts et Life Metal sur laquelle elle les accompagnait déjà. Metta, Benevolence est donc une revisite soufflée des deux disques de 2019. Sunn O))) étant sur une pente très ambient ces dernières années, l’orgue d’Anna Von Hauswolff rend la partition d’autant plus aérienne. C’est évidemment sur « Troubled Air » que cela prend tout son sens : la respiration du trombone au milieu du morceau n’est plus l’expiration que les guitares empoisonnées de Sunn O))) viennent troubler, il n’est qu’une variation de cette soufflerie perpétuelle qui se joue sous les mains et les pieds de Hauswolff. Toujours exigeant dans sa structure, Metta, Benevolence le devient alors un peu moins dans ses sonorités. Une jolie porte d’entrée pour tou·te·s les artistes présent·e·s sur le disque.

Scowl

How Flowers Grow

Alex

Dire que ce premier album de Scowl était attendu est un euphémisme. En premier lieu car la démo ainsi que Reality After Reality, précédent EP du groupe américain, avaient fait forte impression auprès des amateur·ices de punk hardcore, notamment auprès de Flatspot Records (Mizery, Higher Power, Angel Du$t...), maison ou le quatuor est désormais hébergé. Ensuite, et cela devient une constante dans ce dossier, parce que Scowl fait partie de cette horde de groupes (Gulch, Drain, Sunami, Hands Of God...) dont on vous parle très souvent. Basée autour de San José/Santa Cruz, cette jeune team d'Avengers ne cesse de donner une superbe dynamique à une scène HC californienne déjà foutrement qualitative. Pas de contenu superflu sur ce How Flowers Grow et sa pochette fleurie : en 15 petites minutes seulement, le ton est donné par la bande à Kat Moss avec des titres farouches dont l'aplomb n’a d’égal que la concision. Le rythme est presque toujours galopant et les vicieux riffs réminiscents des grands classiques du hardcore punk de la région (pensez Trash Talk, Rotting Out ou encore les premiers Ceremony). Hormis l’étonnant “Seeds To Sow”, ses parties de saxophone et la voix de la leadeuse qui se fait plus apaisante pour un court instant, tout ici semble des plus bruts et taillé pour rendre n’importe quel pit totalement primitif. Ne nous y trompons pas, si Scowl joue sur l’urgence et la spontanéité, son punk affiche un songwriting déjà très affirmé et un caractère bien trempé. Confirmation pour cette équipe formée il y a deux ans seulement et dont le premier “long format” très réussi laisse, on le souhaite, présager de belles choses à venir.

Worm

Foreverglade

Nikolaï

Foreverglade est-il à la hauteur de son somptueux artwork? Oui, cent fois oui. Deux ans après le déjà excellent Gloomlord, Worm propose de revenir à l’âge d’or du death. Sortez les vestes en jean à patchs du daron. Les Floridiens, probablement influencés par la chaleur oppressante et l’agressivité des alligators dans leurs jardins, sortent le grand jeu : growls sinistres, doom massif et sonorités black metal. Sans oublier évidemment l’option nappes de synthés et orgue distillées ici et là, éléments essentiels pour compléter la panoplie de l’occulte. Le groupe a clairement gravi les échelons et a développé de nouvelles compétences en termes de production. La cohabitation des riffs clean et du son cracra marche du tonnerre et les longs morceaux de l’album – “Cloaked In Nightwinds” en tête – n’en sont que plus sublimés et efficaces pour une oraison funèbre. Les solos de guitare de "Nihilistic Manifesto" – sorte de shredding à la Yngwie Malmsteen sous stéroïdes – vont te donner envie de t’abonner à la salle de sport la plus proche pour soulever de la fonte. Tu pourras remercier Worm et la maison de disques 20 Buck Spin de la dure acquisition de tes nouveaux biscottos, en plus d’avoir pondu un des albums death de l’année.

Every Time I Die

Radical

Erwann

Quelle joie de voir un groupe continuant à persévérer dans la qualité de ses productions. C'est bien simple, depuis leur deuxième album Hot Damn!, les gars d'Every Time I Die se sont fait un devoir de ne sortir que des albums remplis de bangers metalcore aux accents sudistes. Rebelote avec ce Radical, qui, comme d'habitude avec le groupe, ne réinvente rien, mais parvient à prouver - si ce n'était déjà acté - que ETID est bien le maître du metalcore sale et anthémique. Riffs tranchants prompts à provoquer de violents mouvements de nuques ("All That" en feat avec Josh Scogin, membre de '68 et ex-The Chariot/Norma Jean), performance enragée de Keith Buckley qui transforme quasiment tous ses one-liners en punchline cathartique ("Post-Boredom") : les mecs de Buffalo sont plus vénères que jamais. Même les morceaux plus doux gardent une certaine férocité ("Things With Feathers"), et Buckley alterne encore mieux ses passages croonés et ses cris dévastateurs, faisant de Radical l'album le plus furieux d'un groupe déjà bougrement furieux. Hâte de se casser les os dans leurs pogos.