Taulier

Niro

Ambition Music – 2023
par Yoofat, le 28 février 2023
8

Voilà plus de dix ans que Niro enchaîne les disques et que le succès commercial est au rendez-vous. Après tout, il est l'une des fortes têtes du rap du début des années 2010. Souvent associé à Kaaris, Sadek ou Lacrim, lui peut se vanter d'avoir su tenir la distance et d'avoir su conserver les qualités qui étaient les siennes à ses débuts, voire même de s'être bonifié avec le temps. Mieux encore, Niro a su se diversifier aux bons moments, jouant la carte de l'ouverture avec parcimonie. Si ce n'est pas lui qui l'avait dit, ç'aurait été nous : dans le rap français, Niro est un Taulier. Et à ce douzième album de nous le rappeler, de diverses manières.

Quand on pense à Niro, on pense instantanément à la passion qui l'habite. Le rappeur de Blois débute à la fin des années 2000, à une époque où le rap ne rapporte pas - ou peu. Pour autant, il s'engouffre dans cette musique avec l'envie de marquer cette culture par ses rimes. Au cours de sa longue carrière, Niro a pu croiser plusieurs générations de MCs, de Jeff Le Nerf à Ateyaba en passant par Koba LaD. Autrement dit, Niro a collaboré avec une kyrielle de rappeurs, faisant des featurings une de ses marques de fabrique. À l'instar d'un Rick Ross outre-Atlantique, tout le monde veut Niro car il apporte quelque chose que les autres n'ont pas. Entre sa voix rocailleuse, son flow volubile et sa violence stylisée, on ne trouve pas les qualités du N.I.R. partout. Et sur Taulier, Niro continue sa folle exploration du rap français avec des featurings de choix : Le talentueux TIG dans un morceau ouvert assez efficace, Niska dans une énergie trap très agréable, et bien sûr Alpha Wann sur l'une des patates de l'album où deux des rappeurs les plus solides et les plus spectaculaires de leur génération se rendent coup pour coup. Quel formidable crossover que ce "50 euros". Et pas besoin de Philly Phaal pour s'extasier devant le niveau de rap de Niro : dans la plus pure tradition des MC's faisant de leur technique un spectacle, tel Eminem ou Method Man à la grande époque, Niro prend toujours soin d'inclure au tracklisting un titre où la rime est transformée en feu d'artifice. Et sur Taulier, c'est "Pas assez" qui remplit cet office. 

En samplant, comme la Scred Connexion, le morceau "Private Number" de Judy Clay et William Bell, N.I.R rend également hommage à l'un des groupes les plus emblématiques de l'histoire du rap français. "Parti de rien" avec TayC (qui, Dieu merci, ne parle pas de femmes là-dessus) est l'un des morceaux les plus forts de l'album, de par son audace et son message, s'imaginant comme la suite du "Partis de rien" originel de la bande à Fabe, Mokless, Haroun et Koma. Niro y évoque la sinuosité de son parcours, ses galères et ses premières accointances avec le succès. Sa nouvelle collaboration avec le chanteur R&B le plus talentueux du moment (et le plus problématique aussi) vient également confirmer l'appétence du N.I.R pour les sons qui mêlent chant et rap et qui désinhibent certaines des émotions qu'il veut nous faire ressentir. En regardant dans son rétroviseur, on pense à "Printemps Blanc", chef d'œuvre de la décennie passée où La Zarra (quand elle se faisait encore appeller Ivy) sublimait un texte incroyable du MC de Blois sur l'addiction à la cocaïne. Cette ouverture aux collaborations "hors rap" le différencie d'une partie de ses confrères. Lui se permet d'inviter des grandes voix quand il est nécessaire plutôt que d'ouvrir Melodyne.

Il est de plus en plus rare de vivre le rap à travers des histoires originales ; plus souvent sommes-nous amenés à entendre les mêmes rengaines venant d'interprètes différents. Mais Niro a eu une vie si remplie qu'elle ne lui a jamais offert le luxe de ressembler à celle des autres. Sa musique ne ressemble qu'à lui, particulièrement depuis le OX7M8RE. Depuis, les morceaux fleuves et impudiques se sont succédés, contant la tristesse qu'il a pu ressentir en grandissant sans son père, sa rage d'avoir été la risée dans son quartier à cause de son accent de bledard, la frustration de ses années passées en prison ou la complexité d'avoir à élever un enfant autiste. Bien sûr, un morceau de Niro peut être un grand divertissement, mais lorsqu'il lève la plume pour prendre du recul, les morceaux de Niro deviennent des morceaux de Noureddine. "Papa fait le pitre" fait ainsi partie de ses grands moments où le nombre de coups d'éclats est quasiment égal au nombre de mesures. Dans un style plus éthéré, le piano-voix avec Sofiane Pamart intitulé "Quand je serai grand" se veut plus introspectif, les rimes pleines de mélancolie et de stress post-traumatique. Les deux morceaux précités ne sont certes pas les plus incontournables de sa carrière (pour la simple et bonne raison qu'"Avant de partir" existe), mais ils contribuent tout de même à densifier la légende de l'un des plus grands unsung heroes du rap français de ces dix dernières années. Si tu crois encore qu'il joue, c'est chaud, ma gueule !