Spirit Exit

Caterina Barbieri

light-years – 2022
par Émile, le 1 août 2022
9

Il y a, dans la musique électronique, quelque chose qui appuie, année après année, la matérialité de l’existence indépendante de l’art. On pourrait faire tout un paragraphe pour expliquer comment les sons 8-bits ou 16-bits sont des prises de conscience intrinsèques d’un monde grignoté par la puissance informatique et dans lequel les vagues aux spectres lents sont sans cesse brisées par les interrupteurs on/off. Mais qui pense vraiment à nos machines en écoutant Caterina Barbieri ? Depuis 2017 et le bien nommé Patterns Of Consciousness, la productrice italienne fait du synthétiseur un pinceau cosmique, capable tantôt de délivrer du monde, tantôt d’y replonger à la vitesse à laquelle la nature s’offre à nous. Plus direct, plus maîtrisé, Spirit Exit est à la fois une démonstration de son expérience et une ode électrique à l’introspection.

C’est même une référence que Barbieri explicite lorsqu’elle parle de son disque. Inspirée par une littérature spirituelle, on comprend notamment l’hommage implicite à Thérèse D’Avila. La penseuse espagnole du 16e siècle, dédiant sa vie à Dieu, a conçu une œuvre dans laquelle les mots sur soi s’équilibrent en permanence du silence que le monde impose. Ce silence, on le ressent par-delà les nappes sur « Transfixed », nous élevant à la hauteur de notre cœur. Et puisque « il ne s’agit pas de beaucoup parler, mais de beaucoup aimer », on y retrouve une sensibilité rendue toute proche par sa tendresse, toute lointaine par l’étrangeté des sonorités que Caterina Barbieri parvient à rendre. Cet hommage au silence, c’est également celui de la contemplation extérieure, à son apogée dans l’ultime morceau du disque, « The Landscape Listens ». Un titre qui hurle la mélancolie dans une douceur Brian Eno-esque, et dont l’inspiration viendrait tout droit de la poétesse anglaise Emily Dickinson. Chez elle, la nature n’est pas un simple paysage, c’est un tourbillon de mouvements et d’intentions dont la vivacité se fait parfois le reflet de la vie intérieure, et parfois parvient à prendre le dessus sur cette dernière. Et entre les mots de ces autrices, entre le monde à entendre, Spirit Exit en est une synthèse dont Caterina Barbieri est la catalysatrice.

Avec comme premier mot d’ordre : place à la mélodie. Un procédé qui lui a valu des succès critiques et publics comme « Fantas », mais qui est ici abordé d’une manière plus directe encore. Au lieu d’enfoncer la manivelle de l’ambient dans un fond diffus qui pourtant tendrait habilement la main à l’introspection recherchée, « At Your Gamut » nous propose dès les premières secondes un disque d’électronique qui se fredonne. Mais ce qui est plus impressionnant encore, c’est cette capacité à élaborer une architecture dont la simplicité apparente trouve sa beauté dans sa profonde complexité. Comme les mélodies de Felix Mendelssohn, invisibles sur la partition, elles naissent ici des expérimentations modulaires dont l’inventivité est perceptible à chaque mesure. Les créations – ou hasarderies ? - sonores de Barbieri fonctionnent autant en pistes seules que dans un morceau complet, laissant songer à la masse de travail d’ajustement et d’équilibrage que nécessite un tel disque. Poussant cet amour de la mélodie jusqu’à un « Terminal Clock » qui pourrait presque passer pour du Caribou, Spirit Exit est un produit compliqué qui ne cherche qu’à être partagé avec le plus grand nombre. Une ambient expérimentale mais mélodique, une grande niche musicale accessible à qui a déjà fait l’expérience de la vie intérieure.

Fini pour Caterina Barbieri d’être la fusée émergente des musiques électroniques : Spirit Exit la place désormais sur la scène des plus grand·es, ceux et celles avec lesquels il faut compter et dont on ne pourra plus vraiment se passer.