Myuthafoo

Caterina Barbieri

light-years – 2023
par Émile, le 13 juillet 2023
7

Dans notre chronique du dernier album de Thomas Bangalter, on insistait en fin de papier sur la vision un peu décevante de la musique électronique qui transparaissait dans sa musique et dans ses interviews. Comme s’il succombait à cette erreur si simple, de confondre la texture de nos machines et leur potentialités expressives. Il y a des ondes qui nous retournent le ventre et font couler des larmes sur nos joues. L’an dernier, en bon exemple de cette frange de l’ambient, sortait Spirit Exit, un chef-d’œuvre d’immersion auditive et onirique signé par la musicienne italienne Caterina Barbieri.

Le 16 juin dernier sortait déjà un nouveau disque, Myuthafoo, en réalité une édition exclusive d’anciens titres. Ces six titres ont tous été composés autour de 2019, et Caterina Barbieri parle elle-même de ce projet comme d’un album-sœur à son programmatique Ecstatic Computations sorti également cette année-là. On y retrouve son art si particulier de la mélodie. Chaque ligne programmée sur son séquenceur Orthogonal ER-101 constitue une entité absolument indépendante émotionnellement. Elle se répète dans sa propre complétude et la somme des variations que Barbieri lui fait subir lui confère une vie historique, changeante, qu’on prend un plaisir assez rare à observer. C’est également ce qui fait que ses compositions ont quelque chose d’intense et de bouleversant. Comme des vagues d’expression très sentimentale, il faut apprendre à les traverser sans être dépassé par un amoncellement de pistes. Une fois dedans par contre, c’est un fleuve dont on souhaiterait ne plus jamais sortir.Dans Myuthafoo, il y a quelque chose de plus brut dans l’exécution. Les sonorités semblent toujours baignées dans la reverb et le delay, mais avec une synthèse laissant la musicalité s’exprimer par-delà le timbre. Quelques glide par-ci par-là, mais des filtres utilisés avec plus de discrétion, pour un aspect finalement assez proche parfois d’un projet cheaptune.

Il suffit de comparer le « Spine of Desire » d’Ecstatic Computations au single « Math of You », anagramme du titre du disque. De ce qu’elle explique elle-même, Myuthafoo est une mise en forme d’éléments glanés au fil des concerts. Entre 2018 et 2020, Caterina Barbieri tourne beaucoup et mélange sur scène des séquences préparées, des hasards algorithmiques et des improvisations. En fonction des lieux et de leurs atmosphères, certaines formes musicales apparues sur scène se retrouvent figées pour leur efficacité et formeront cet album. Approche plus vivante encore de sa créativité et perspective plus directe de ses techniques de composition, le disque permet d’élargir encore le spectre dans lequel on saisit la qualité de Barbieri à faire beaucoup avec peu. Elle excelle dans la répétitivité, que ce soit à l’intérieur des morceaux, ou en fonctionnant sur un format de reprise comme c’est le cas ici. Les anagrammes reflètent la vie propre des morceaux en-dehors de leur composition initiale, et leur utilisation par Barbieri sur scène.

Moins poli que ses prédécesseurs, Myuthafoo est en réalité une petite mare se muant en puits. Témoin de son travail d’adaptation au live, c’est également un document passionnant à écouter pour quiconque voudrait rajouter des facettes à celles déjà éclairées par Ecstatic Computations ou Spirit Exit.

Le goût des autres :