I Don't Live Here Anymore

The War On Drugs

Atlantic Records – 2021
par Nico P, le 16 novembre 2021
8

C’est un drôle de procès. Il semble venu de nulle part, et en même temps, apparaît comme une évidence, teintée d’un soupçon de mauvaise foi. Et il pourrait être énoncé ainsi : The War On Drugs sonne désormais comme Dire Straits. Comprendre : le son d’hier du groupe de Philadelphie, Pennsylvanie, pas bien moderne déjà, a totalement dérapé vers un rock pour les stades, compositions faciles et productions peu subtiles en prime. Dire Straits ou d’autres d’ailleurs, peu importe la comparaison, certains fans de la première heure sont déjà bien loin, désireux de ne surtout pas être mis dans le même panier que celles et ceux qui, peut-être, ne sont présents que depuis le petit succès populaire de “Red Eyes”. The War On Drugs a donc des fans, oui, mais lesquels ? Un son, certes, mais de quelle époque ?

Au commencement était la collaboration. The War on Drugs sort son premier album studio, Wagonwheel Blues, en 2008. Kurt Vile, membre fondateur de la formation, quitte alors le groupe pour se consacrer à sa carrière solo, qui elle, tout du moins en apparence, ne se départit jamais d’une certaine esthétique lo-fi. Passons. Formé en 2005, The War On Drugs est avant tout, et cela ne va pas en s’améliorant, le groupe du chanteur et guitariste et compositeur et visage mis en avant dans les médias y compris la presse people (car marié à une actrice), Adam Granduciel. Chaque choix est le sien, chaque couleur, note, refrain, n’appartiennent qu’à lui. Chanteur techniquement pauvre, dont la voix ne semble jamais pouvoir décoller ou se dévêtir d’un flegme nasillard, il est, difficile de lui enlever ceci, un parolier hors pair. D’ailleurs, tout encore une fois ici tourne autour du texte. Les syllabes s’étirent à l’infini, la mélodie n’est dictée que par le récit. Témoin de choix sur I Don't Live Here Anymore, cinquième album du groupe, le titre “Wasted” : “I'm not asking you, I'm returning, Wake me up when the lights go low, I'm just wasted, but you're lost in London, Sometimes you just ain't getting enough”.

“Wasted” justement, serait tout à la fois le symptôme d’un groupe de rock devenu trop ambitieux (ses synthés omniprésents, son refrain qui va chercher sans honte du côté de Springsteen) mais aussi l’une des plus grandes réussites d’un groupe qui pourtant n’en manque pas. Ici, Adam Granduciel assume ni plus ni moins un statut nouveau, celui de détenteur d’un Grammy Award, d’un meneur de salles toujours plus grandes. La question fut posée par quantité d’artistes avant lui : est-ce le stade qui grandit avant le son, ou l’inverse ? Un groupe de rock indépendant peut-il prétendre maintenir ce statut quand bien même le public est de plus en plus large, les fans de plus en plus nombreux, le label de plus en plus puissant (Secretly Canadian, puis Atlantic Records) ? N’est-il pas somme toute légitime de transformer en harmonie les espoirs placés en eux ?

I Don't Live Here Anymore ne répond que partiellement à la question. Si les singles font la part belle à un son plus ample, riche en synthétiseurs rappelant les années MTV (“Change” ou encore la chanson qui donne son nom au disque), le premier extrait envoyé en éclaireur, “Living Proof”, opte pour le dénuement le plus total, ne laissant finalement, en toute fin, qu’une guitare électrique s’exprimer le temps d’une note ou deux. Tout le paradoxe de The War On Drugs est là : leur musique est archi référentielle, pourtant, reste originale. On connaît la chanson, on la découvre. On les aime, on les déteste. The War On Drugs en somme questionne moins son époque (ils n’en font pas partie, pas totalement) que les limites que nous, auditeurs et auditrices, sommes prêts à nous imposer. Le bon goût ? Il n’appartient à personne, il importe à tout le monde.

Le goût des autres :