De Doorn
Amenra
Amenra est en train de vivre des changements. Les Belges ne sont pas encore devenus un groupe de post-bossa nova alternatif – ils conservent leur esthétique de post-metal teinté de sludge et doom metal – mais ont bien décidé de distinguer leur nouvel album des précédents et de marquer une nouvelle étape dans leur histoire. Mais en quoi De Doorn représente exactement une transformation? Premièrement, le bassiste Levy Seynaeve, membre depuis 2012, a quitté le groupe pour se concentrer sur ses deux autres projets, Wiegedood et le supergroupe de death metal Living Gate. Deuxièmement, c'est le premier album d'Amenra publié sur un label majeur du metal jeu, Relapse Records. Troisièmement, il est entièrement chanté en flamand. Et enfin, c'est le premier album du groupe à ne pas recevoir l'appellation Mass.
De ces quatre points, le dernier est le plus important, car c'est le seul qui constitue une anomalie. En effet, ce n'est pas la première fois qu'un membre quitte le groupe, ensuite ils ont déjà signé avec différentes maisons de disques (précédemment sur Neurot Recordings des légendes du post-metal Neurosis), et finalement ils ont fait de l'expérimentation linguistique une marque de fabrique. Mais jamais ils n'avaient osé sortir du carcan Mass, une série d'albums comprenant six volumes et initiée en 2003.
De Doorn n'est pas une messe. C'est un rituel. Du moins, c'est ainsi qu'ils l'ont créé, car il a été composé à la suite du "Fire Ritual", deux concerts en plein air de 2019 organisés au musée d'art contemporain de Gand pour célébrer les vingt ans d'existence du groupe. Les deux spectacles mettaient en scène des constructions en bois, et une statue en bronze entourée d'un bûcher. Le public pouvait y glisser des messages ou des notes contenant des remerciements avant d'y mettre le feu en signe d'acceptation ; l'ensemble du bûcher devenant un rite de purification rythmé par les futures chansons de De Doorn.
À première vue, pourtant, De Doorn ne s'écarte pas franchement du canon musical des Mass. Il s'appuie toujours sur un équilibre impeccable entre sludge sinistre, doom atmosphérique et moments plus calmes. L'ouverture "Ogentroost" et sa lente construction – finalement très Amenra dans le texte – est brisée par un riff galopant, permettant à la litanie doom qui conclut le morceau de se faire ressentir comme plus puissante. "De Evenmens" est également une montagne russe, les cymbales martelées par Bjorn Lebon menant une charge post-metal de riffs fracassants (qui proviennent du fondateur Mathieu J. Vandekerckhove et de Lennart Bossu) avant de se calmer à mi-chemin dans un court répit, le tout sonnant impeccablement grâce au nouveau bassiste et producteur Tim de Gieter.
Si cette description peut laisser penser qu'il s'agit d'un album Amenra typique (techniquement, c'est le cas), De Doorn équilibre sa formule différemment, cette fois. Les explosions si cathartiques n'ont pas moins d'impact qu'auparavant, mais elles sont plus rares, le groupe se donnant davantage d'espace pour créer une atmosphère douce avec des passages ambient. Ce n'est cependant pas sur la façon dont le groupe utilise l'espace que ce disque devient unique dans la mythologie d'Amenra. En fait, là où De Doorn se distingue sur le plan sonore, c'est dans sa nouvelle approche du chant. Les passages spoken word étaient déjà présents dans le catalogue du groupe, mais ils n'ont jamais été aussi proéminents – "De Dood In Bloei" ne comporte aucun chant crié – et ils sont surtout plus diversifiés. Alors que les œuvres précédentes les employaient lors de moments calmes, "De Evenmens" voit Van Eeckhout déclamer ce qui ressemble à un conte prophétique au milieu d'une liturgie apocalyptique, sa prestation ainsi que la langue flamande ne faisant que renforcer la lignée rituelle de l'origine de la chanson.
Pourtant, en termes de chant, da real MVP est Caro Tanghe, qui est enregistrée ici comme membre officielle de cet album. La vocaliste d'Oathbreaker s'intègre parfaitement à l'esthétique du groupe, et complète à merveille la proposition vocale de Van Eeckhout. C'est en effet lorsqu'ils unissent leurs forces que l'album atteint ses plus beaux moments, que ce soit lorsque la voix parlée de Van Eeckhout et les vocalises presque imperceptibles de Tanghe guident doucement l'ouverture de "Voor Immer", ou lorsque leurs hurlements superposés concluent le colossal "Het Gloren". Cet accent mis sur les voix n'est cependant pas parfaitement équilibré tout au long de l'album. Consacrer la moitié de "Voor Immer" à du spoken word n'est peut-être pas la meilleure utilisation du temps imparti étant donné la capacité du groupe à invoquer une atmosphère écrasante. C'est un choix artistique, qui peut (et doit) être critiqué, mais qui dépend finalement de la bonne volonté de l'auditeur·ice.
Au bout du compte, l'objectif de canaliser une performance rituelle et d'en faire l'expérience d'une catharsis est bien sûr rempli – et ce n'est pas très étonnant au final, car le groupe en a fait le cœur de sa démarche. Mais c'est justement là le problème de De Doorn : bien qu'il offre une perspective légèrement différente sur le son du groupe, il ne semble pas avoir plus ou moins d'impact. Tout simplement parce qu'Amenra a toujours parlé de catharsis, d'aller au plus profond de notre subconscient et de laisser la douleur être le catalyseur de notre bien-être à venir. Ils ont juste trouvé une nouvelle façon de le faire.