Love lockdown #12 : Fiona Apple - Tidal

par Gwen, le 14 avril 2020

Un confinement, ça laisse du temps. Du temps pour ranger des trucs, comme les dossiers sur son bureau, son placard à épices ou la pile de draps, mais aussi du temps pour un autre type de tri. Pourquoi ne pas se poser sur son canapé, le regard plongé dans le vide, et laisser sa mémoire choisir un disque pour en parler moins à travers le prisme de la raison que celui du cœur ? Nous, c'est ce qu'on a décidé de faire.

L’information est tombée en mars, un peu avant que notre quotidien ne parte complètement en couilles : le nouvel album de Fiona Apple était prêt, mettant ainsi fin à huit années d’hibernation. Dans le sillage de cette excellente nouvelle, j’ai eu envie de réveiller son premier disque qui aura sans doute eu plus d’effets sur moi que je n’avais osé me l’avouer jusqu’ici.

Problème technique non négligeable : je me suis soudain rappelée que j’allais inévitablement commencer à chialer au beau milieu de "Shadowboxer". Étant donné que ce n’est que le troisième titre, ça n’allait pas nous emmener bien loin. Pour contourner l’obstacle, j’ai tenté de relancer l’affaire en faisant le tour du quartier, pariant sur mon amour-propre pour m’empêcher de renifler en public. Well… Fuck you, Fiona. La même. À chaque fois.

J’ai trébuché sur Fiona en 1996 alors que son clip en noir et blanc tout cheap essayait timidement de se faire une place entre les lèvres laquées de Toni Braxton et les orbites radioactives de Keith Flint. À quinze ans, je n’avais pas encore été kidnappée par la tribu des Riot Grrrls, j’avais du mal comprendre où Tori Amos voulait en venir et j’avais épuisé le To Bring You My Love de PJ Harvey qui agonisait désormais dans son boîtier en plastique tout pété. Tidal est donc venu me cueillir au bon moment. Je ne sais pas si son label avait comme intention initiale de nous la vendre comme une poupée docile agrippée à son clavier mais si c’est le cas, il n’y avait aucune chance pour que ça marche. 

Déjà bien malmenée par la vie, elle a dix-sept ans à peine lorsqu’elle écrit Tidal, dix-neuf lorsqu’elle l’enregistre. Sa dizaine de titres deviennent le récipient d’une douleur crue, d’une rage en fusion et d’une douceur inespérée. Si "Sleep To Dream" défonce la porte d’entrée, c’est "Criminal" qui a certainement fait le plus de victimes, promu par un clip à l’esthétique héroïne-chic destinée à froisser les bigots. Quand "Slow Like Honey" table sur une sensualité à la limite de légalité, c’est pour mieux nous fendre le cœur avec "The Child Is Gone" dix minutes plus tard. De la berceuse à l’injonction, sa voix prend tous les tournants, tous ses mots sont pesés au gramme près.  



Tidal fait partie ces classiques discrets qui continuer d’infuser ses bienfaits près d’un quart de siècle après sa sortie. Parce qu’il dévoile une force insoupçonnée sous une apparente fragilité. Parce qu’il appuie là où ça fait mal tout étant capable de séduire les foules. Parce qu’il a révélé la voix singulière de Fiona Apple à des milliers de jeunes femmes qui ne savaient pas encore qu’elles en avaient besoin.

Les autres Love lockdown :

Love lockdown #1 : Emerson, Lake & Palmer - Trilogy
Love lockdown #2 : Grits - The Art of Translation
Love lockdown #3 : Lil Ugly Mane - Mista Thug Isolation
Love lockdown #4 : Nicki Minaj - Pink Friday
Love lockdown #5 : William Sheller - Lux Aeterna
Love lockdown #6 : Luc Ferrari - Didascalies 2
Love lockdown #7 : Ice Cube - Raw Footage
Love lockdown #8 : Clues - Clues
Love lockdown #9 : Alain Kan - Heureusement en France on ne se drogue pas
Love lockdown #10 : The Weeknd - House of Balloons
Love lockdown #11 : Les Doigts de l'Homme - Les doigts dans la prise