Dossier

Dans l'intimité de la Red Bull Music Academy de Paris

par Jeff, le 26 novembre 2015

Interview : Keight

Keight est un tout jeune producteur. Il a 18 ans, vient de Paris, ne compose que depuis quelques années et a la chance d’avoir été sélectionné pour la RBMA. Il rencontre ses idoles, que ce soit lors des lectures, au studio ou même parmi les participants. Rencontre.

Alors ? Ce concert avec Nosaj Thing ? Comment tu t’es retrouvé à jouer en même temps que lui ?

C’était mortel, j’étais le dernier participant à jouer, la foule était en folie ! Quand j’ai commencé à connaître les détails des events RBMA et que j’ai vu qu’il y avait Hudson Mohawke, ou le line-up avec Nosaj Thing, j’ai fait « ah ouais, merci » ! Je ne sais plus du tout si je l’avais mis dans mon dossier de candidature, mais c’est évidemment une de mes grandes influences. Pour la petite histoire, j’avais vu qu’il jouait à Lyon avant d’être prévu sur la RBMA et j’avais pensé y aller en pensant faire l’aller-retour, et finalement je me suis retrouvé à jouer avec lui à Paris !

Faire ce festival à domicile, qu’est-ce que ça change pour toi ?

Et bien j’en ai entendu parler parce que c’était à Paris justement, avant je ne connaissais même pas l’existence de la RBMA. Je suis allé à une lecture en mars, celle de Brodinski, organisé par RBMA. À la base, j’y suis allé car c’était gratuit et que c’était l’occasion de voir face à toi Brodinski. Il y avait sur chaque siège un formulaire, que j’ai lu et qui m’a donné envie de postuler. Et puis en regardant d’un peu plus près, j’ai vu que tous les artistes que j’adorais étaient passés par là, je me suis dit qu’il fallait tenter !

Comment se passe alors cette candidature ? RBMA affirme poser des questions philosophiques pour intégrer le crew, quelles sont-elles ?

En fait c’est un dossier de 17 pages à remplir. Ils essayent vraiment de cerner ta personnalité, pas forcément ce que tu as pu réaliser, car ce n’est pas ça qui compte, pas les chiffres, mais plutôt ce que tu as dans la tête. Ces 17 pages te permettent de faire une synthèse de qui tu es, j’étais donc content de l’avoir fait, même si je n’avais pas été pris. Puis tu y ajoutes un CD démo. Il n’y avait pas vraiment de questions philosophiques, mais par exemple une question avec un cadre blanc dans lequel on devait dessiner notre rapport avec la musique. On nous a aussi demandé la dernière fois où on avait pleuré…

Ça creuse quand même dans l’intime ! 

Oui c’est sûr mais ça ne m’a pas dérangé.

Qu’est-ce t’apporte la RBMA ? Sur toi, sur ta musique ? Quels moyens ? 

En premier lieu, c’est une super vitrine. Personnellement, je ne sors de nulle part. Je suis au stade de fœtus, ça apporte beaucoup de visibilité. Quand tu vois la team studio, Just Blaze, Mad Mike par exemple, ils sont super impliqués dans l’énergie des participants, mais que ce soit les photographes, la team studio, ou autre, tout le monde est à fond dedans, il y a une belle cohésion, tout le monde mange ensemble, je dors à l’hôtel avec les autres participants, je passe 2 semaines en famille !

Tu te considères comme un fœtus, mais arrives-tu quand même à te considérer comme un vrai producteur, à te sentir à l’égal des autres ? De réussir à parler avec Nicolas Godin ou Mad Mike de producteur à producteur ? Et non pas élève/prof ?

Je me considèrerai toujours comme un élève, c’est une superbe occasion pour apprendre ce que j’aurais pu mettre 20 ans à savoir. Ces mecs ont changé l’histoire de la musique et ils viennent te voir pour te conseiller.

Tu arrives à créer des connexions avec les autres participants ?

Le fait que tout se fasse ensemble, que ce soit un petit environnement, que tu évolues avec les autres, tout est fait pour que tu collabores, ou au moins échanger avec un concentré d’artistes qui ont tous un passé différent, un process différent… Mais sinon j’ai toujours travaillé en groupe, avec des amis du lycée, qui ont un groupe qui s’appelle Red Off. On a commencé ensemble, donc dès que je fais un son, on est à 3 dessus. J’aime avoir des gens qui ont la même affinité pour la musique, mais avec un autre point de vue. Et ici c’est top car on est tous à égalité, avec les mêmes problèmes. On peut même se faire des blagues que seuls des producteurs peuvent comprendre !

Il y a donc un vrai esprit de communauté ?                 

Oui et je pense que d’ici deux ans, tous iront loin, on est tous au même stade, même si certains ont déjà une émulation autour d’eux, ou d’autres comme moi qui sortent un peu de nulle part, on est juste là pour être meilleur, peu importe le reste !

Ta musique a-t-elle déjà évolué ?                                                                                                                 

Oui carrément, cela faisait longtemps que je n’arrivais pas à produire, j’étais comme bloqué et maintenant je n’ai qu’une envie c’est d’aller en studio et de créer, cela permet vraiment de s’ouvrir. 

Il y a eu un moment d’intégration entre vous ? Vous avez écouté vos prods ?

C’était un peu formel, mais oui, on est tous passé un par un ici, dans la lecture room, pour faire écouter nos sons. Mais à l’hôtel, rien n’était prévu et le premier soir, je n’avais pas envie de rester seul. Je voulais vraiment tous les rencontrer donc, avec d’autres participants, on a organisé une petite soirée dans une des chambres, on a acheté un peu d’alcool et fait la fête. 

Est-ce que tu as dû signer un contrat ? Avec des conditions à respecter ?

Non pas du tout, on fait vraiment ce qu’on veut. Ils nous ont bien expliqué que les lectures étaient très importantes, que c’est chronophage pour les artistes, mais pas d’obligations réelles. Il y a une lecture que j’ai ratée à moitié car j’étais en studio en train de masteriser, je ne pouvais pas le faire à un autre moment. Ils sont vraiment cools, les studios sont accessibles 24h/24, la bouffe, la boisson sont à dispo toute la nuit. Il n’y a pas de contrats, juste des conseils pour que l’on tire le meilleur de ces deux semaines hyper-intenses. 

Et qu’en est-il de l’après ? T’engages-tu auprès de la RBMA pour une durée déterminée ?

En fait, c’est pour la vie. Tout est facilité, en termes de presse, ou autre, il y a plein de choses qu’ils font pour toi. Maintenant, je peux booker les studios Red Bull quand je veux. Ils offrent des opportunités à des personnes qui n’en ont pas forcément les moyens, pour qu’en tant que producteur on puisse se concentrer un maximum sur notre musique et ne pas gérer la comm’ par exemple. Rien que cette interview, je ne l’aurais jamais eue si je n’étais pas venu à la RBMA ! Ou alors dans 5 ans !

Quel est ton projet artistique alors ? Tes envies, tes ambitions ?

J’ai commencé il y a deux, trois ans, quand j’ai commencé à toucher le logiciel Ableton avec un pote. À la base, je suis juste un fan de musique. À cette époque, j’étais à fond dans l’électro, genre Justice, et la première chose que l’on fait quand on produit quelque chose, au début, et ça vaut dans n’importe quel art, c’est de reproduire nos influences. Et il m’a fallu un an, un an et demi pour trouver mon son. Nicolas Godin nous parlait de la fois où il a vraiment senti qu’il créait son propre univers, et bien moi je me sens un peu chanceux car je l’ai vécu assez rapidement, et même si le son était dégueulasse, j’ai pu sortir mon projet et savoir où je voulais aller. Je suis donc reparti de zéro et j’ai commencé à réfléchir à toute une symbolique autour de ma musique et je suis enfin arrivé à me dire : « Ça y est ! C’est du Keight ! 

Tu avais déjà fait quelques dates ?

Et bien non, c’était ma première performance ! En plus au Trabendo, où j’étais allé voir Childish Gambino donc c’était vraiment impressionnant ! Une semaine avant, j’avais mixé au Mellotron, grâce à RBMA. J’étais super stressé car c’était la première fois devant des gens, et même si c’était dans un bar, ce n’était pas la même énergie, donc gros stress ! Mais bon, je suis bien content de l’avoir fait avant le Trabendo, car je savais que je ne voulais pas être trop sur mon contrôleur, ça me fait chier et moi-même ça m’emmerde de voir des artistes faire ça. Et je crois que tout s’est bien passé, les retours étaient très bons. 

Et alors, tu es obligé de boire du Red Bull ?! 

J’en profite c’est sûr, mais pas seulement ! Tout est gratuit et à volonté ! Je ne vais pas non plus en boire tous les jours. À un moment, je suis content de boire de l’eau ! Quand j’étais petit, je n’en achetais pas car c’était trop cher et là j’ai des frigos remplis partout !

Ta vision de la marque a changé ?

En fait, pour moi, la RBMA n’a rien à voir avec Red Bull. C’est juste une branche comme la fondation Louis Vuitton ou EDF. C’est eux qui financent, mais ce qui importe c’est ce qu’il y a à l’intérieur, c’est très bien qu’ils fassent ce genre de chose. Avant, je n’avais aucune image de Red Bull, c’était juste une boisson énergisante ! Le plus important c’est la RBMA, qui nous apporte beaucoup.  C’est très valorisant pour chaque personne faisant de la musique. Mais on n’est pas sponso par Red Bull non plus, on a juste la chance de travailler avec un matériel de fou et d’avoir un gros concentré d’opportunités.

Tu connaissais d’autres participants ?                                                                                          

Il y a juste Sevdaliza dont j’étais déjà un grand fan, et River Tiber puisqu’il traine avec le label Soulection. 

Tu nous en conseillerais quelques-uns ?

Tout le monde vaut le détour ! Au début, j’allais plutôt vers ceux avec qui j’avais des affinités musicales, comme Desampa, Jade Statues, Miso, mais tous ont un vrai personnage, comme John Pope. Quand on s’est tous montré notre musique, j’ai compris pourquoi nous étions tous là, tout le monde a quelque chose de très puissant. La playlist n’est pas suffisante, entendre leur prod sur du bon  matos, ça change vraiment de tes écouteurs !

Tu es graphiste à la base ? 

J’ai commencé des études dans le multimédia mais j’ai arrêté car je m’ennuyais. J’ai toujours été intéressé par les images, je suis passé par plein de phases, avec l’envie d’être architecte, peintre… mais ce qui revenait c’était ce que pouvaient évoquer les images, que ce soit dans le graphisme ou la musique.

Je fais mon travail de graphiste en free-lance avec lequel j’ai quelques projets, et tous les visuels que je peux créer m’apportent quelque chose dans la musique, il y a plein de lieux communs. Tout est une question de proportion en fait ! Pourquoi je m’arrêterais à la musique alors ? Nicolas Godin en parlait aussi puisqu’il a fait des études d’architecture.

Cette rencontre a donc résonné pour toi ?

Oui, même si je ne suis pas fan d’Air à la base, je ne connais que Moon Safari, et très peu leur discographie. Mais oui ça m’a beaucoup parlé, c’est bien de savoir que des artistes qui ne font pas du tout la même musique que toi connaissent les mêmes galères. J’ai la chance d’être dans une ère très favorable et je me dis qu’il faut vraiment que j’exploite tout au maximum, que je n’ai rien à perdre.

Deux moments forts de cette session RBMA ?

La lecture de Kindness car il ne s’est pas ramené comme star mais vraiment comme humain, qui parle de sa vie, avec ses problèmes, ses aspirations, du fait de faire quelque chose de bon, même si tu es dans la merde… Hudson Mohawke, car c’est un de mes producteurs préférés, grand respect ! Mais toutes les lectures sont importantes. Et comme événement, celui au Garage Mu. C’était hardcore, c’est pas du tout ma came la techno modulaire, moi je suis en mode clavier midi avec trois touches et c’est fini, mais eux c’est des vrais bricoleurs, super énergie en mode street, dans un garage ! Puis le live à la Gaîté avec Noahs Heark, les visuels étaient sublimes et le son était parfait ! Et le mieux c’est que ce n’est pas fini !