Top albums 2012
L'exercice devient habituel, mais il n'en reste pas moins qu'il est plutôt fastidieux pour une rédaction comme la nôtre. Entre les amateurs de folk, de pop ou de rock jusqu'aux amateurs transis de musiques électroniques ou expérimentales, il a fallu faire un choix. On paie parfois en manque de cohérence notre volonté de tout vous faire apprécier, et cela se ressent quelque peu dans ce top des meilleurs albums de 2012. Enfin, les années passent et vous commencez à connaître notre souci de vous présenter de la musique de qualité. Naviguez donc au travers de nos trente coups de cœur, aimez-les comme on les a aimé, soyez exigeants avec nous comme avec vous-même, détestez-nous ou adulez-nous. Voici notre top 30 albums.
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1.
La fin de l’espèce Klub des LoosersMusicalement, La Fin de l'Espèce marque une nouvelle étape dans la carrière de Fuzati. On le savait digger acharné, en quête permanente de la boucle parfaite à sampler au fin fond d'improbables vieux vinyles de jazz ou de bossa nova mais là, le niveau atteint est hallucinant. A certains moments, les productions désenchantées de ce disque sont proprement sublimes. Le piano triste à crever de "La Fin de l'Espèce" ou le beat lancinant de "Mauvais Rêve", par exemple, vont même au-delà du rap. On en vient à espérer une sortie des instrus de l'album qui peuvent très clairement se suffire à elles-mêmes. La Fin de l'Espèce est clairement l'album que l'on attendait venant de la paire Fuzati/Detect. Sept ans après Vive La Vie, le Versaillais masqué a su nourrir son personnage, qui entre un peu plus dans la légende.
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2.
LonerismTame ImpalaBien qu’un peu réticent sur les synthés un peu cheap lors des premières écoutes, on peut vous affirmer que ce Lonerism est dans la parfaite lignée d’Innerspeaker, c'est-à-dire un chef d’œuvre, d’avantage sur la démarche que sur l’esthétique. Beau à en pleurer sur du sable chaud, beau à se cramer les yeux à force de fixer le soleil à son zénith, beau à se faire mal, beau comme un carré blanc sur fond blanc, volatile comme un mirage se dessinant dans une volute de fumée mais tellement proche, jusqu’à s’entendre chuchoter au creux de l’oreille « Why Won’t They Talk To Me ? ». Pourquoi ? Mais parce que tu n’es pas là Kevin, parce que tu n’es qu’un songe, un fantasme sitôt créé, sitôt avorté, qui laisse dans les esprits encore troubles ce goût de « J’y étais ! J’y étais ? Que s’est-il passé ? », caractéristique d'un réveil lourd, qui reste dans la bouche quand on entrouvre les yeux au petit matin.
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3.
Dependent and HappyRicardo VillalobosEtrange pièce que ce Dependent and Happy, montage de titres en sélection mixée (l’édition 5 LP deviendra vite un impératif, vous verrez) et perle house insondable. Une œuvre de synthèse, surtout. Si son impossibilité à composer un kick régulier a toujours fait partie du modus operandi du bestiau, ici on atteint une sorte de climax parfait entre les pulsions du corps et le mindfucking intello. Un dynamisme mathématique qui relie les deux grandes périodes de sa carrière : l’époque Alcachofa, heureuse de son hédonisme puritain et de ses gaudrioles organiques, et la période appuyée par les derniers disques, marquée essentiellement par un enfoncement dans le traitement quasiment électro-acoustique de la matière.
Au milieu de ce bordel, il y a la came. Cet accélérateur de particules. Ricardo Villalobos, sa came et ses emmerdes. Ou quand le mode de vie marche en sens contraire, que tout se dynamite, recule, avance, se détruit et se reconstruit. L’interdit comme langage commun, l’amour de la transgression, sociale comme musicale. Pour l’amour du risque, toujours. Une plaque de synthèse pour l’instantané d’un mec qui conçoit sans cesse le mouvement, qui gère les flux, dont le cerveau grillé a trois temps d’avance sur un corps qui en a deux de retard.
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4.
Allelujah ! Don't Bend ! Ascend !Godspeed You ! Black EmperorA!DB!A! est l'album d'un monde en crise: crise économique, crise politique, crise mondiale. C'est une bande son de fin des temps que l'on entend : musique planante et torturée, structures musicales complexes, phases de crescendo brumeux débouchant sur de sombres explosions (le long et martial "Mladic"). GY!BE aujourd'hui, c'est aussi un son qui n'a pas pris une ride. Ample et implacable, la musique du combo s'écoute en 2012 comme en 1996, A!DB!A! s'inscrivant dans la lignée de ses glorieux prédécesseurs. Chargés d'images et de revendications, les morceaux de ce nouvel opus sont à la fois intemporels, reprenant l'histoire là où Yanqui U.X.O. l'avait laissée, et ancrés dans leur époque et leur géographie. Allelujah! Dont't Bend! Ascend! promet donc de longues soirées sous prozac musical dans ce monde intérieur dévasté dont Godspeed You! Black Emperor a la clé.
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5.
Channel OrangeFrank OceanRiche, touffu et ambitieux, ce premier album peut finalement se résumer en un enchaînement de trois titres qui forment le cœur de Channel Orange, la délicate ballade pour junkie « Crack Rock », le gargantuesque « Pyramids » et ses dix minutes de groove en montagnes russes, et enfin le très traditionnel (mais efficace) « Lost ». Un gros quart d’heure pour comprendre un disque impeccable qui affiche 56 minutes au compteur, s’écoute avec une facilité déconcertante malgré un impressionnant taux de bonnes idées à la minute et met une pression dingue sur tous les suceurs de roue à qui il viendrait l’idée un peu saugrenue de défier Frank Ocean sur son terrain de jeu. Et franchement, à part The Weeknd, on a bien du mal à voir qui pourra frapper un aussi grand coup dans les douze mois à venir. Ne parlez plus de hype, ce mec-là appartient désormais à une autre galaxie...
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6.
TrampSharon Van Etten Disque d’une classe folle et d’une intensité de tous les instants (et là on se dit qu'Aaron Dressner ne doit pas y être pour rien, lui qui en connaît un rayon en la matière), Tramp révèle une artiste complètement libérée et ambitieuse, qui compte bien en finir avec les bars miteux et les publics clairsemés pour laisser briller son songwriting dans des salles à la hauteur de son talent. Pour parvenir à ses fins, Sharon Van Etten offre un sacré bol d’air frais à son folk qui prend un malin plaisir à occuper les grands espaces. Cette confiance inébranlable en ses capacités, conjuguée à une production sobre (mais redoutablement efficace) et à une écriture qui ne surjoue jamais la carte émotionnelle permet d’accoucher d’un disque qui ne connaît pas le sens des mots temps morts et déchets.
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7.
Fabric 66Ben KlockAu moment où Ben Klock sortait sa compilation au sein de la série Berghain, on s’est abstenus de commenter, comme ébahis par le flot ininterrompu de louanges quant à cette sélection. Ce disque était bon – on n’a d’ailleurs jamais vraiment pris l’Allemand en défaut – mais pas au vrai niveau de cette conscience techno. Pour le soixante-sixième volet de la série Fabric, Ben Klock rallume la flamme et lâche ce qui demeure tout simplement comme le meilleur truc du genre en cette année 2012 : kicks lourds, grosses ambiances, énormes reliefs, dynamique animale. Une sélection aux contours ciselés qui tape avec force dans le narratif complet et dans la grosse physique du son. Ben Klock expose ce qu’il sait faire de mieux : jouer les architectes dans des titres qui respirent, tapent haut pour redescendre bas. C’est le son des caves en version génie. Car là où le revival « dark techno de hangar » fait les choux gras de pas mal de producteurs plus ou moins talentueux, la science de l’Allemand parait ici vieille de cent ans, comme un nouveau langage où tout est clair. Où tout est pur.
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8.
Attack on MemoryCloud NothingsÜber-référencé années 90, Attack On Memory l'est certainement. Nirvana, Fugazi, Drive Like Jehu, les Foo Fighters et même un peu de Ash grande époque. On les retrouve tous (et bien d'autres encore) en filigrane de ces huit déflagrations lâchées par la troupe de Cleveland. Attack on Memory, c'est le genre d'album qui envoie suffisamment de gros bois pour vous chauffer tout le reste de l'hiver, qui pue l'urgence totale et mélange avec plus de subtilité qu'il n'y paraît énergie toute adolescente et écriture arrivée à maturation – avec, en prime, quelques véritables inflexions pop à la The Thermals pour plaire aux plus exigeants. A la fin de cette tirade grunge et gigantesque à bien des égards, c'est simple : vous aurez normalement revêtu une paire d'Airwalk, un Levi's 501 troué et une chemise à carreaux en flanelle.
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9.
Mumps Etc.Why ?Abscons et torturé dans sa narration, Mumps, Etc. est à ce jour l'album le plus court de Why?. Mais aucun sacrifice n'est fait: son ensemble constitue un bloc solide, éthéré où l'on se prend à de multiples reprises les pattes dans chacun de ces treize titres à l'indécryptable intimité. Ce qui ne dispense pas l'émotion d'être au rendez-vous d'un album en forme de grand huit émotionnel, où les gros mots épousent les mélodies sucrées-salées du groupe pour en faire ressortir toute leur délicatesse et leur humanité. La joyeuse troupe de Yoni Wolf a de nouveau tout dit, tout donné et tout fait passer dans la plus insolente des justesses: Mumps, Etc. est un impeccable labyrinthe de douze titres sinueux et touchants où le rosacé ne prend jamais le pas sur la fragilité et où la gravité guette toujours derrière chaque relief. Voilà, tout est dit.
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10.
They ! LiveBenjamin Damage & Doc DaneekaNeuf titres pour une quarantaine de minutes, ce premier disque est d’une durée idéale. Pour autant qu’il soit bien réalisé. They !Live a donc cette qualité de savoir ce qu’il veut, l’auditeur est pris par la main pour un trip d’une justesse folle. Parce qu’à l’intérieur, c’est tout aussi beau. Benjamin Damage et Doc Daneeka alternent formidablement bien les coups de sang à vous péter les lombaires et les tracks plus introspectives. La ligne est clairement uk funky, avec ses rythmiques percussives, ses tentations soca et africanisantes. Le style est en béton, et le duo revendique son passé uk bass music. Mais They !Live c’est également de la pulsation techno à vous gicler un sismographe – on pense d’ailleurs souvent à leur collègue Cosmin TRG - et une chaleur house qu’on peine parfois à voir aussi bien retranscrite dans ce genre musical. Alors on a beau multiplier sans cesse les écoutes de ce They !Live, on y trouve toujours ce disque lumineux et diaboliquement composé. Pas de plan promo dévastateur, seulement un très gros disque de uk funky que vous vous devez d’écouter. Mine de rien, on tient là une des premières grosses bombes électroniques de 2012.
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11.
Vers les lueursDominique ALà où tant d'autres s'égarent dans des concepts fumeux et des choix musicaux qui ne riment à rien ou pas grand chose, on a l'impression que Dominique A a trouvé depuis longtemps la formule magique qui lui permet de se réinventer dans la continuité autour d'idées et de lignes directrices fortes qui portent ses chansons toujours aussi pertinentes. Le natif de Provins a su trouver une nouvelle dynamique qui manquait un peu à des albums comme L'Horizon ou Tout sera comme avant, le tout conforté par la parfaite union entre instruments électriques, le piano et l'ensemble de cuivres qui se confrontent, s'affrontent et se complètent tout au long des treize titres. Il ne nous reste plus qu'à s'immerger dans Vers les lueurs…
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12.
Blue ChipsAction Bronson x Party SuppliesAvec sa grosse barbe rousse, ses origines albanaises, son passé de cuistot et sa ressemblance vocale assez frappante avec le géant Ghostface Killah, ce fumeur de spliffs invétéré a tout du rappeur atypique et sympathique, dont les accointances avec les années 90 devraient plaire aux plus nostalgiques de nos lecteurs. En effet, avec ses ambiances soulful, ses formats narratifs très classiques, ses punchlines pleines de malice et ses productions qui flairent bon le boom bap, Blue Chips s’impose comme un disque qui se déguste sans le moindre effort, qui ne laisse peut-être pas une impression prégnante d’originalité mais dont les qualités immenses se dévoilent dès la première écoute. Forcément, face à un tel niveau de qualité, on se demande bien pourquoi ce genre d’objet est offert au téléchargement gratuit alors que des dizaines de disques inutiles ou surcotés viennent encombrer les bacs tous les mois.
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13.
The SeerSwansAvec The Seer, qui se révèle comme une véritable réussite de bout en bout, Gira, qui utilise une nouvelle fois le format du double album, pousse encore plus loin l’exploration des extrêmes, de ses limites et des limites de son groupe. Le titre éponyme dure ainsi 32 minutes et les deux derniers morceaux avoisinent les 20 minutes. Les structures répétitives et chamaniques se développent dans des transes soniques ou le magma en fusion cède la place à des passages plus en apesanteur. Même sur les plages plus calmes telles que « Song for A Warrior » (que chante Karen O des Yeah Yeah Yeahs) ou « The Daughter Brings The Water », la tension semble être une des clefs et un des moteurs principaux de la musique des Swans. La douleur côtoie l’extase et vice versa. Un nouveau chapitre dans une histoire déjà bien fournie et passionnante. On espère qu’il y en aura d’autres.
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14.
Good Kid M.A.A.D CityKendrick LamarLe message envoyé en conclusion de l'album est simple : quand Kendrick termine sur un morceau (et quel morceau, "Compton" avec Dr. Dre), il se place en héritier. Il réussit en un album là où le pauvre The Game échoue depuis tant d'années (la bonne volonté ne fait pas tout, il faut surtout du talent) : porter haut les couleurs d'une culture West Coast malmenée par les aléas d'un rap game qui n'aime pas la stagnation et qui a décidé de détruire les chapelles. Il a su le faire intelligemment, en apportant sa sensibilité et ses influences extérieures, aérant clairement un genre qui s'est beaucoup trop replié sur lui même. Grâce à Kendrick Lamar, Compton a toujours sa place sur la carte du rap américain.
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15.
An Awesome WaveAlt-JIl y a des groupes dont tout le monde parle tellement, qu’on a l’impression qu’il n’est pas nécessaire d’en remettre une couche. Pourtant, Alt-J méritent amplement toute la publicité que les médias indés leur ont offert. Le groupe de Leeds a débarqué sur la planète pop avec quelque chose de différent. Bien plus complexe qu’un groupe de pure hype comme Wu Lyf. Alt-J jongle sur son premier album entre restes de post-rock, new wave remâchée et lyrisme ampoulé pour un résultat qui réussit, miraculeusement, à ne pas agacer. Le tout saupoudré de cette petite touche apportée par la voix nasillarde de Joe Newman, entre Yoni Wolf et Alec Ounsworth de Clap Your Hands Say Yeah. Contrairement à certains de leurs collègues, Alt-J semblent être partis pour durer.
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16.
The Money Store Death GripsSi dans ce disque, il y a des relents de dubstep old-school à la Distance, de la composition cartonnesque inspirées par Dan Deacon, des lignes électroniques et indus tirées de Nine Inch Nails. On pense surtout aux deux premiers disques de The Prodigy. Moins dans la singerie que dans la filiation spirituelle, ce Money Store a quelque chose de très cru, de très violent. Une sorte de révolution urbaine globale à l’état de larve, qui se nourrit de tout, qui grandit dans les cœurs et pousse finalement au vomissement de tout. Un disque qui, malgré le carton qu’il provoque, résiste à sa manière dans une époque du tout beau, du calcul comme manière de vivre. Live Fast, Die Young.
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17.
The Scarlett Beast O’ Seven HeadsGet Well SoonDans le détail et sur la longueur, ce nouvel album révèle une nouvelle fois une manne de joyaux mirifiques. Gropper y déploie sans complexe une palette d’arrangements, tel un gamin surexcité qui découvre sa montagne de cadeaux au pied du sapin : avalanches de cordes, de cuivres, de chœurs, de percussions en tous genres, de claviers analogiques, et on en passe. Mais ce qui pourrait rapidement passer pour un caprice d’élève surdoué se révèle au final bien plus intéressant qu’un simple exercice de style stérile et vaniteux. Pourquoi ? D’abord parce que le sujet est parfaitement maîtrisé, ensuite parce qu’on sent un véritable respect et une grande humilité face à des influences si évidentes et enfin parce que les morceaux sont excellents, tout simplement.
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18.
SmalhansLindstromIl est bien difficile de s’ennuyer sur les six titres que compte ce troisième album en solitaire. Car si l’on a parfois pu taxer le nu-disco de genre superficiel juste bon à faire dandiner des hordes de bobos qui n’y connaissent que pouic à la (bonne) musique électronique, Smalhans s’impose ici comme le disque populaire par excellence, qui lorgne parfois vers le genre de sucreries auxquelles nous avait habitué les deux de Royksopp à une époque où ils nous intéressaient encore. Quant à Lindstrom, on a envie de le voir comme le producteur nu-disco aujourd’hui capable de réconcilier ambitions arty et velléités grand public; passé, présent et futur. Smalhans est un disque d’une simplicité désarmante et dont la finalité semble être de cartonner dans l’obscurité des clubs.
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19.
Kill For LoveChromaticsUne des forces des Chromatics vient de cette subtile analyse et description des tourments de l'âme via une musique et des paroles qui flirtent toujours avec le kitsch sans jamais y sombrer, en déployant un songwriting qui touche à l'essentiel sans être caricatural. La fragilité est omniprésente dans ce long mais très cohérent album. L'instrumentation est certes simple (du moins à première vue) mais on sent que chaque son, chaque note a été réfléchi et pensé comme une partie d'un tout et non une collection de morceaux épars réunis sur une galette plastique. Vous l'aurez compris, Kill For Love est un album dense et intense, le type de ceux qui vous trottent encore et encore dans la tête de manière évanescente mais néanmoins présente.
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20.
Music For the Quiet HourShackletonCôté pile, Shackleton envoie ce qu’on considèrera finalement comme une longue pièce d’une heure où l’électronicien explore des recoins de plus en plus abstract, flirte en permanence avec le drone, le silence et les percussions. Côté face, Shackleton nous livre un « simple » nouvel album : dix nouveaux titres qui avancent avec l’esthétique maintenant connue de l’Anglais, à ce détail près qu’on s’étonne de voir sa composition s’affiner encore avec le temps, lui qui semble déjà si haut. Un nouvel album en forme de laboratoire, où les expériences sur la musique électronique ne laissent jamais de place aux acquis, où un genre musical est toujours remis sur la table d’opération pour en arriver à la substance même. En soi, il s’agit de la même démarche que pour le Consumed de Richie Hawtin. Quand on sait que ce disque est peut-être le plus grand disque de techno de l’histoire, on se dit que les tentatives de Shackleton sont à épingler au rang d’historiques.
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21.
TadalooraPhantom BuffaloLes albums-concepts ne datent pas d’hier mais ils ont tendance à manquer à l’appel. Tadaloora est à la fois une bouffée d’air frais et un nécessaire retour en arrière. Le disque s’ouvre sur cette fausse candeur qui définit si bien le groupe, une pop cotonneuse et confortable. Sauf que le chemin de Tadaloora est semé de tempêtes et de revirements s’accompagnant de riffs martelés (“Frost Throat”) et de boucles psychédéliques entêtantes (“Old Man”). En utilisant l’écrin du concept-album, l’ambition de Phantom Buffalo se radicalise, s’amplifie. Les arrangements de cordes et de cuivres ponctuent (“Bloom Bloom Flowers”), toujours opportuns. Avec ci et là ces puissants tubes catchy dont ils ont le secret (“Stark Glass Man”). Leur but avec ce projet ? Créer ce parfait album-monde, qui ne se limite ni à un lieu, ni à un style, ni à une envie, mais qui embrasse toute une histoire.
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22.
New EpochGoth-TradCe disque, on l’attendait de pied ferme. Et on l’a attendu longtemps, surtout. Porte-drapeau de la scène dubstep japonaise, Goth-Trad a toujours été plus que le simple coup de marketing dans une scène globalement paneuropéenne. Si pour certains, Goth-Trad c’est surtout le mythique « Far East Assassin », on se dit que New Epoch achèvera de consacrer cet artiste comme l’un des piliers de la scène. Constat d’autant plus valeureux que le genre est en état de mort clinique depuis plusieurs années. C’est peut-être là le miracle de ce premier album : ce point d’équilibre entre les codes d’un dubstep old-school et la tentative d’aller encore un peu plus de l’avant. Cela ne pouvait donc que sortir sur Deep Medi. Le résultat est un disque carré, extrêmement bien balancé, qui tente des choses magnifiques avec la confiance que procurent un background solide et une place de vétéran au milieu de ce bordel. Un disque de la maturité lâché dans une sorte de coma ambiant. Un joli suicide commercial, et surtout un des skeuds à accrocher dans le panthéon du genre. Avec ça, on a oublié de faire des blagues sur les Japonais dans ce texte…
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23.
Ideas for the PongPetar DundovSi on nous demandait demain quel personnage techno on voudrait incarner pour toute une carrière, le nom de Petar Dundov devrait sortir assez rapidement. Pour ne pas dire immédiatement. Plus de dix années de productions impeccables, une place au chaud sur le label de Robert Hood et deux albums qui feront date, ce mec a tout. Surtout que son esthétique n’a jamais eu besoin de s’adapter au créneau « less is more » pour plaire (ce qui parait tenir du miracle quand on voit la tournure que le genre minimal a pris sur presque dix ans) : Petar Dundov fait du mélodique, du drogué et de l’imparable. Ideas From The Pond est l’œuvre de synthèse pour ce Roumain qui n’a jamais cessé de grandir, une sorte de climax entre les claviers de la scène kosmische musik et la magnificence d’une grande techno inspirée par des gars comme Mathew Jonson ou Robert Hood. Un contenu évasif, qui s’étire parfois jusqu’au quart d’heure, qui fait en fin de compte tout le temps tout tomber dans la transe. Un trip total, deep as fuck, qui fera de ta bagnole une piste aux étoiles et de ton dancefloor un truc aussi chaudard que le Mordor. Ou que le slip du rédacteur en chef adjoint.
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24.
PinkFour TetL'initiative est feignante, c'est indéniable, mais au final cette compilation de maxis se tient si bien que l'on peine à en vouloir à Kieran Hebden : mûrissant un virage technoïde qui ne manque ni d'identité, ni de mordant, Pink a en effet suffisamment d'arguments pour convaincre même le plus réfractaire des technophobes à prendre un ennivrant bain de soleil dans cette dance music de fin d'été, nostalgique mais toujours dansante. Four Tet continue, mais d'une toute autre manière, de toucher les étoiles dans ce chouette album qui aurait pu être ambitieux, mais qui ne se contentera que d'être beau. Très beau, même.
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25.
Cancer 4 CureEl-PDifficile de ne pas voir dans ce flow agressif et ces beats martiaux l'expression d'un sentiment de révolte et de trop-plein qui a pris le temps de s'amplifier pour aujourd'hui exploser à la face d'un auditeur piégé dans l'étau manié avec une précision chirurgicale par El-P dès l'introductif "Request Denied". Parce qu’un disque d’El-P ne se situe pas vraiment au niveau de la solution mais nous fout plutôt le nez dans les problèmes sans la moindre complaisance, Cancer For Cure n’est certainement pas le genre de galette qui s’écoute dans la joie et la bonne humeur. Mais comme d’habitude avec l’Américain, on réalise combien ce genre d'exercice se révèle jouissif et salutaire.
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26.
SunCat PowerCe nouveau disque est presque bling bling, il prend toutes les directions à la fois, et il le fait avec cette insolence qui semble désormais être la marque de fabrique de l'Américaine. La prise de risque de Sun est telle que l’album déroute, ennuie, mais finit par émouvoir. Après quelques écoutes, la beauté de l’effort apparaît, et certains titres percent comme le soleil à travers les nuages. Il n’y a rien de superflu chez Cat Power, rien qu’une beauté sauvage qui a appris à s’apprivoiser sur cette belle maturité. La grâce de "Cherokee", de "Always on my Own" ou de "Manhattan" s’apprécient aussi bien isolés qu'au milieu de ce tout étrange et beau. Cat Power, elle, fait ce qu’elle veut. À nous de suivre le rythme.
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27.
Kaleidoscope DreamMiguelSensuel sans jamais être putassier ou sombrer dans le cliché du mec qui veut rentrer dans vos culottes de vierges effarouchées, magnifiquement produit sans jamais donner dans l’outrageusement clinquant, Kaleidscope Dream développe une vision musicale basée sur une écriture finement ciselée, une section rythmique aux petits oignons et surtout une voix qui n’en fait jamais des caisses. Du groovy « How Many Drinks? » au feu d’artifice sensuel « Don’t Look Back », qui pique ses paroles aux Zombies, en passant par un « Kalediscope Dream » qui sample intelligemment le « My Name Is » d’Eminem, tout pointe dans la direction d’une œuvre aussi personnelle qu’ambitieuse. Et particulièrement réussie.
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28.
IIICrystal CastlesTout oppressant qu’il soit, ce disque n’en demeure pas moins terriblement beau, tant le duo parvient à associer la finesse à l’immondice et la légèreté à l’asphyxie. Plus uniforme que les deux premiers albums, où quelques morceaux remarquables se détachaient trop nettement d’un tout délibérément brut, ce troisième essai se distingue par une ambivalente régularité sans sombrer dans la répétition. Par ses distorsions vocales tamisées et ses samples d’Atari crasseux, Crystal Castles tisse une trame à la fois violente et délicate, qui se décline en douze instants salement beaux. La B.O. raffinée d’une projection dystopique ou d’un cauchemar, en somme. Peut-être est-ce ce fil rouge équivoque qui avait manqué jusqu’alors à un duo qui, bien que déjà largement reconnu, prend une dimension supplémentaire avec cette troisième livraison.
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29.
BloomBeach HouseCommencer un album par le titre d'une carrière ("Myth"), ça revient à se tirer une balle dans le pied. On ne pourra qu'être déçu par la suite. Et bien non. Pourquoi ? Parce que Bloom est d'abord un excellent album, qui contient d'autres très bons titres, même si forcément un cran en dessous, et parce que finalement, la suite nous permet de mieux digérer cette fabuleuse ouverture, comme une manière de mieux appréhender le "mythe" justement. Un album où claviers, nappes et reverb débordent, mais pas dans une simple recherche d'effet de style, mais comme moyen de mettre en valeur des mélodies et des textes qui se prêtent parfaitement aux codes de ce que l'on dénomme vulgairement dream pop. La robe de soirée parfaite en somme.
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30.
Life is People Bill FayLa force de composition de Bill Fay ne s'est pas estompée sous la patine du temps. Tour à tour mystique de par la thématique religieuse de certains textes et atemporel (à part la production soignée très ancrée dans notre temps, cet album aurait tout à fait pu être composé par Bill Fay à ses débuts), Life Is People puise sa force, dès les premières notes de piano de "There Is a Valley", dans une exigence mélodique quasi monastique. Il s'agit d'un disque empreint de générosité et de renoncement, deux caractères forcément antagonistes sans pour autant être excentriques. Bienveillante et sincère, portée par un homme humble, la musique gravée sur ce disque rehausse la discographie de Bill Fay, qui demeure une collection exemplaire de songwriting pop.