Les leçons de 2017 (2/4)

par Jeff, le 27 décembre 2017

En attendant nos tops albums thématiques qu'on publiera comme chaque fois en début d'année, on a décidé de se refaire l'année écoulée au travers de leçons qui nous permettent de repenser aux 12 mois écoulés dans un bel esprit de transversalité.

La chanson francophone refoule de moins en moins du fion

C'est de notoriété publique: les artistes indie francophones préfèrent en général ravaler leur langue maternelle quand il s'agit de chanter. Bien que celle de Molière ait du mal à rivaliser en terme de musicalité avec celle de Shakespeare, on constate doucement mais sûrement que les choses sont en train de changer. Cette année a marqué un tournant dans ce sens. Côté label, on ne présente plus le travail de Born Bad Records, ou de la Souterraine, certifié 100% francophone et qui ferait frétiller la plus chauvine des frouzes. On retiendra de 2017 la singularité des sorties de Bertrand Burgalat, Cheveu & Group Doueh, Forever Pavot et du magistral Laisse ça être d'Aquaserge. Côté espoirs, on surveillera de très près Halo Maud, Laure Briard, Dantone ou encore Barbagallo, le projet solo du batteur toulousain de Tame Impala. Ce dernier claironnait encore il y a peu dans les médias que "chanter en anglais est malhonnête". Au regard du nombre de petits groupes en français dans le texte qui fleurissent à gauche et à droite, on se dit que c'est bien une petite révolution qui est en marche. (Hugo)

2017, année de naissance d'un 'indie rap' français?

"You can go your own way" chantait Fleetwood Mac en 1977. Cette phrase, une partie de la scène rap française aurait pu la balancer à la face du circuit mainstream en 2017. Mais en fait, que partagent des gens aussi divers que Hyacinthe, Triplego, Laylow, L.O.A.S ou encore LUTĒCE? Une posture intimiste, confinée, d'abord. Un travail sur l'image assez poussé, ensuite. Et enfin des réseaux de diffusion qui différent du reste du mouvement : vous entendrez parler de tous ces artistes plus souvent ici, chez les copains de Reaphit ou SURL, que sur Booska-P. Il se passe peut-être avec le rap français ce qu'il s'est passé avec l'indie rock dans les années 80, c'est-à-dire que des jeunes gens à travers tout le pays se construisent contre le modèle dominant. C'est en creux ce que disait LUTĒCE dans une interview donné à Yard : "On n’est pas dans le délire d’écrire en mode : ‘on est crédibles’ ou ‘on est trop déter’. On ne peut tout simplement pas faire ça." Ou L.O.A.S qui, en marge de l'interview qu'il nous a donné en avril dernier, confiait qu'il ne se sentait parfois pas à sa place lorsqu'il était programmé sur certains festivals hip hop généralistes. Cette partition de la scène rap mériterait-t-elle de ranger tous ces weirdos sous l'étiquette 'indie rap'? A la différence des précédentes occurrences de ce terme dans l'histoire du hip hop - à la fin des années 90 aux US, début 2000 en France, ces nouveaux venus semblent épouser tous les versants du patrimoine rapologique : le gangsta et l'intello ; ils ont tiré des enseignements aussi bien de Young Jeezy que de La Caution. De plus, certaines têtes d'affiche portent également en eux les gênes de ces frères ennemis que sont le rap indé et le rap mainstream. On pense à Damso par exemple, qui ne fait jamais que recracher des thématiques new wave dans un écrin rap, ou à Jok'air, qui lui mêle et abâtardit des références de 'musique blanche' et de 'musique noire' comme personne, et qui se posera peut-être en grand réunificateur de ces deux camps en 2018. A la citation de Lindsey Buckingham qui ouvrait ce paragraphe, on pourra ainsi opposer cette fameuse maxime immortalisée par Kurt Cobain: "Come as you are". (Tariq)

On aimerait savoir ce que les papys du métal foutent dans leurs céréales

A l’instant où je vous parle, Red Before Black joue à balle fort dans mes enceintes. J’ai refait dix fois cette intro pour finalement couper court: cet album de Cannibal Corpse est un carnage honteusement réussi, même après quatorze albums et bientôt trente ans de carrière. Le comble c’est qu’ils sont loin d’être les seuls vétérans à bander dur : Immolation, Morbid Angel, Suffication ou Obituary ont également sorti une nouvelle leçon de death metal cette année, sans déambulateur et surtout sans se foutre de leur public. Des longévités qui atteignent des records et qui, même si elles se reposent sur des recettes éprouvées – difficile de vouloir changer d’esthétique quand ça fait trente ans que tu alignes les meilleurs riffs death metal – aboutissent sur de vrais grands disques de patrons. De là à dire que riff de pourceau conserve, il y a un pas qu’on ne franchira pas, il suffit de voir à nouveau le nombre d’artistes metal décédés cette année pour s’en défier. Parler des vieux n’est pourtant en rien une fatalité, puisque le contingent de groupes dans la fleur de l’âge n’a jamais été aussi grand, toutes obédiences confondues. Alors le metal est-il le genre le mieux dans sa peau en 2017 ? Ça va faire chier les fans de The National mais il semble bien que ce soit le cas. (Simon)

Myth Syzer est fin prêt pour rouler sur 2018

Sur l’échelle de la fragilité, on ne voit pas ce qui aurait pu dépasser "Le Code" de Myth Syzer en 2017, mise à part un « demi pêche » dans un bar vegan. Avec ce titre laidback paru en plein été, Mtyh Syzer s’est assuré une présence dans tous les barbecues de babtous. Un tour de force réalisé à nouveau en novembre avec "Coco Love", géniale réappropriation d’un tube oublié des années 80 aujourd'hui très prisé des diggers. Une douceur totale, qui fleure bon l’amour et le smoothie banane. Deux titres seulement mais qui ont montré que le beatmaker français avait capté que le revival pop 80's/90’s était un filon à creuser. Un revirement opéré tout en douceur pour s’éloigner des ambiances street du crew Bon Gamin pour s’approcher de productions que ne renieraient pas un Etienne Daho. Dans une attitude toute macroniste "ni pop ni rap", Myth Syzer  devrait continuer à combler les auditeurs de rap « qui-écoutent-pas-de-rap ». Une recette merveilleusement calibrée pour que son album Bisous soit un des plus beaux hold-up de 2018. (Bastien)

Clic clac, merci Kodak (Black) 

A la naissance, il y a ceux qui se font appeler Noël Flantier, et ceux qui se font appeler Dieuson Octave. Ceux qui ont la scoumoune et ceux qui ont le charisme. Pourtant, même chez tous les Dieuson Octave du monde, on n'est pas à l'abri d'un dérapage: devenir un rappeur de renom par exemple, et se faire connaître sous l'un des blazes les plus pétés du rap des années 2010 - et Dieu sait si dans les terrains marécageux de Floride, on s'y connait en pseudonymes ridicules. Aucun autre pourtant n'a eu la résonance de Kodak Black cette année. Avec deux exceptionnelles sorties en solo, le rappeur de Pompano Beach a concrétisé toutes les belles promesses qu'on avait posé sur son nom - même si il traîne déjà un paquet de casseroles derrière lui. Sur "Painting Pictures" plus particulièrement, formidable feu d'artifice trap plein de pastel et d'amour, on l'entend renouer avec ces couplets qui ont valeur de refrains, résonnant comme des chants voodoo; mais on sent aussi l'influence palpable de Boosie Badazz avec qui il partage cette urgence lorsqu'il s'agit de prendre l'instru à la gorge. Et si le bougre est un insupportable en interview, c'est probablement parce que c'est sur disque que la messe est dite: rarement l'auditeur a eu autant l'impression d'être le confident de l'artiste qu'il écoute, tant son rap de confessionnal transpire l'authenticité, et même une certaine forme d'optimisme déconcertante venant d'un mec aussi hood que lui. Et dire qu'il n'a que vingt ans... (Aurélien)