Les Nuits Sonores reviennent sur la pointe des pieds à Bruxelles
Les Nuits Sonores, ce n'est pas vraiment le genre d'évènement qui émerge calmement des collectifs locaux. À Lyon, il faut l'avouer, l'organisation a permis de donner un rayonnement intéressant à la ville et permet de faire venir, année après année, des artistes internationaux dans une métropole qui n'est pas Paris. Et pour les Lyonnais, les Nuits Sonores, c'est l'organisation de la maison qui rameute du headliner, mais fait également vibrer toute la scène locale qui joue dans la programmation off du Sucre, par exemple, ou aux Apéros Sonores.
Mais quand les NS sont arrivées à Bruxelles, le projet n'était pas du tout le même : les institutions de la capitale de l'Europe ont donné à cette organisation désormais célèbre un créneau de légitimité et de supériorité qui n'était probablement pas nécessaire, dans un contexte avec une offre culturelle parmi les plus riches et diversifiées du continent - le Bruxellois aime beaucoup se plaindre mais il a parfois du mal à intégrer le fait qu'il doit principalement sa situation assez enviable à sa seule localisation entre Paris, Londres et Amsterdam.
C'est donc dans une ambiance tièdasse (voire glaciale) que le festival avait été accueilli par nombre d'acteurs, inquiets de la possible domination qui s'annonçait. Quant au Bruxellois pas vraiment au fait de ce qui se tramait dans les coulisses, il avait bien du mal à y voir clair vu la calamiteuse communication qui entourait l'événement - hormis une soirée de clôture au Palais 12 ayant fait l'objet d'un bel effort de rabattage, le reste de la programmation manquait cruellement de lisibilité. Et de fait, les Nuits Sonores version bruxelloise n'avaient pas vraiment mobilisé la toute grande foule. Un semi-échec donc, pour un festival qui s'est peut-être vu plus important qu'il ne l'était au niveau européen. Jean-Michel Aulas likes this.
Pour l'édition 2018, les Nuits Sonores ont changé de projet : plus simple et plus arty, au revoir les soirées au Palais 12 et bonjour le Bozar. La programmation reste très intéressante, mais laisse de côté les grosses têtes d'affiche pour se concentrer sur des pionniers d'hier, des valeurs sûres d'aujourd'hui et des promesses de demain : Jennifer Cardini b2b DJ Tennis, Or:la, Overmono (Truss + Tessela), Lil Louis, Detroit Swindle, Lanark Artefax, Mehmet Aslan, Die Orangen ou encore Oko DJ seront présents du 27 au 29 septembre prochain.
Après, on a beau se féliciter de cette démarche empreinte d'un peu plus d'humilité, on peut se demander ce qui pousse les autorités d'une ville et une partie de son secteur culturel à ouvrir bien grand les cuisses, alors qu'on semble disposer d'un évènement qui, sur la longueur, paraît s'être donné des ambitions similaires à celles des Nuits Sonores. On pense évidemment ici au Listen! Festival qui, après une première édition un peu compliquée, a procédé aux ajustements nécessaires pour démontrer qu'il était prêt à s'inscrire durablement dans le paysage culturel belge.
Par ailleurs, on ne doit pas oublier qu'en colonisant en douce Bruxelles, les Nuits Sonores ont précipité la fin d'un des meilleurs évènements de la rentrée musicale : le Bozar Electronic Arts Festival. Si on ne connaît pas les détails de cette sombre histoire, le constat est terrible : un rendez-vous qui avait réussi à devenir incontournable aux yeux de beaucoup, et qui était parvenu à amener le public à s'intéresser aux musiques expé, passe purement et simplement à la trappe pour laisser la place aux Nuits Sonores. Un élément de l'équation qui, assez bizarrement, n'a été évoqué nulle part dans la presse culturelle généraliste. Faut-il y voir un gentil retour d'ascenseur, elle qui a fait le déplacement aux frais de la princesse pour l'édition lyonnaise des Nuits, et qui en est revenue avec des valoches sous les yeux, mais aussi avec des papiers dont absolument rien ne dépassait?
Mais ce qui est cool, c'est qu'en s'installant au pays du surréalisme, les Nuits Sonores démontrent leur bonne compréhension des codes régissant ce courant artistique: s'il ne semble pas problématique pour Arty Farty (ndlr: la boîte qui organise les NS) de partir à la chasse aux subventions à divers niveaux de pouvoir (et ce n'est pas ce qui manque en Belgique!), elle se permet de signer une pétition pourfendant les 400.000 EUR de subventions dont bénéficierait Tomorrowland pour son édition française. Légèrement cocasse quand, en off, les sommes dont auraient bénéficié les Nuits Sonores dépassent allègrement le montant alloué de l'autre côté de la frontière à la grande kermesse de l'EDM. Et quand bien même ce chiffre serait inexact, on imagine que les Nuits Sonores ne font pas le déplacement gratuitement...
Vous l'aurez compris, l'édition 2018 des Nuits Sonores bruxelloises sera cruciale: des festivals qui s'exportent, il y en a un paquet. Mais ils s'arrangent toujours pour que l'organisation ait au moins l'air d'émerger du lieu qu'elle est censée investir, comme les Siestes Electroniques ou même le Sonàr dans un autre registre, et pas que la ville qui reçoit le festival ait l'impression de se faire coloniser culturellement. On sera donc tout à fait attentif, au-delà des gros concerts qu'on a mentionnés, à la nuit The Loop qui va exporter dans des lieux bruxellois le concept le plus chouette des NS (connu à Lyon sous le nom de La Nuit 2 / Le Circuit), celui qui donne l'impression de faire vivre la ville plutôt que de vivre de la ville.