Interview

Onyx Collective

par Nicolas F., le 26 juillet 2018

Bien plus que d’autres talentueuses têtes de proue du renouveau jazz comme Kamasi Washington ou Shabaka Hutchings, le Onyx Collective se montre très fidèle à l’esprit radical qui s’insinuait à une certaine époque dans le jazz. La puissance abrasive de leur musique est à n’en pas douter parmi les plus beaux et originaux tributs à la génération des John Coltrane et Albert Ayler. À l'occasion de la sortie de Lower East Suite (Part Three) sur Big Dada, on a rencontré Isaiah Barr, as de la vocalise et du saxophone, et accessoirement leader naturel de ce fourbi tentaculaire. Une conversation qui a tourné évidemment autour du jazz et du revival dont il fait l’objet et apporte quelques éclaircissements sur le curieux ovni musical qu’est le Onyx Collective. A noter qu'à l'image de ses prestations scéniques, certaines réponses de Barr sont elles aussi parfois... insaisissables. 

On ne peut pas dire que Goûte Mes Disques soit un webzine centré sur le jazz, alors peut-être pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment ce projet a commencé ?

Onyx Collective a commencé en tant que groupe, new-yorkais, multi-genre, et centré sur la musique et l'art. On l’a imaginé comme une nécessité, celle de construire une communauté, de rassembler des artistes et de découvrir un espace de création inédit.

Que signifie le mot « Collective » dans Onyx Collective ? Comment faites-vous la distinction entre ce qu'est un « groupe » et ce que pourrait être un « collectif » ?

Le terme « Collective » dans notre nom signifie que tout est toujours ouvert au changement. La porte est toujours ouverte pour les membres passés, présents et futurs. L'aspect collectif renvoie aussi au fait que même si tout part de New-York et que son esprit est toujours présent, nous sommes capables de traverser les frontières grâce à la profondeur de ce qui a déjà été accompli.

En tant que groupe, il existe des versions plus figées d'Onyx qui sont nécessaires à la création de telle sonorité, telle orchestration ou tel arrangement. De temps à autre, nous devons réduire l'effectif ou faire venir de nouveaux potes en fonction du projet sur lequel on travaille.

On vous présente souvent comme un groupe avec des influences multiples, en mettant notamment en avant le lien que vous avez avec le hip-hop. Toutefois, ce lien n'est pas évident à l'écoute de votre nouvel album, Lower East Suite (Part Three) ; plus généralement, vous avez l'air de ne pas vous focaliser sur une influence (on pense par exemple à votre mix punk pour NTS) et d'aller chercher dans beaucoup de genres différents sans jamais s'écarter vraiment d'une version assez classique du jazz. Comment cela fonctionne-t-il ?

On écoute de tout. On vient tous de milieux très différents musicalement et on essaie de partager tout ça. On a aussi côtoyé beaucoup d'artistes et travaillé avec eux dans pleins de genres différents. En hip-hop, on a travaillé avec Salomon Faye, Remy Banks, WiKi, Princess Nokia... On a même joué avec Raekwon une fois ! On a grandi en traînant avec tous ces gars-là donc ça nous paraissait normal de jouer et de collaborer avec eux. On est un groupe très ouvert d'esprit, on adore piocher dans différents styles musicaux et expérimenter ce qu'on y a trouvé. Quand on revient au jazz, on fait juste ce qui nous semble naturel et on essaie de rendre ça aussi sincère que ça peut l'être. Jouer autre chose que du jazz, ça nous permet d'ajouter une certaine énergie quand on improvise.

Sur votre premier LP, 2nd Avenue Rundown, un morceau est sobrement intitulé « Coltrane ». Son influence est évidente sur votre nouvel album, du début à la fin, mais comment définiriez-vous précisément la contribution de Coltrane à son art et à votre propre musique ?

Naturellement, John Coltrane est une source d'inspiration perpétuelle et un héros pour nous. On écoute sa musique pour son énergie et sa positivité. Le morceau qu'on joue vient en fait d'un morceau joué par Clifford Jordan et qui s'appelle « John Coltrane » (N.D.L.R. : sur l’album Glass Bead Games).

On pourrait classer votre musique dans ce qu'on appelle le free jazz, un genre historiquement très proche des questions politiques de son époque. Comment concevez-vous ces perspectives politiques – s'il y en a – dans votre musique ?

Je pense que nos réactions à ce qui arrive et ce qui change dans le monde sont assez apparentes dans notre musique. Il y a toujours une corrélation avec ce qui se passe dans notre ville. En tant que New-yorkais de naissance, on voit le regain de tensions en ce moment. On a l'impression que nos efforts pour créer une ambiance old school ne tiennent plus qu'à un fil tandis que la ville change en permanence, et vraiment dans la direction opposée. Je pense que la liberté qu'on a dans notre musique est venue du fait que l'on a créé notre propre environnement. On a joué là où on était libre de s'exprimer et d'être qui on était vraiment. C'est en cela, en fait, qu'on a vraiment un esprit frondeur.

Lorsqu'on écoute votre musique, on a l'impression que vous cherchez à tenir une posture subtile entre ce qui se fait de neuf et d'ancien dans le jazz. Est-ce que vous vous voyez comme acteur du jazz revival qui existe depuis quelques années ?

Je pense qu'on est très différents. Il y a encore beaucoup à découvrir à propos d'Onyx Collective. Le public va devoir attendre ce qu'on va faire dans les années à venir avant de juger. Dans ce cadre là, on ne s'est jamais vraiment imaginés comme faisant partie du revival jazz. On fait juste tout ce qu'on peut pour que les jeunes viennent à nos concerts et écoutent ce qu'on joue... Et c'est à partir de ça qu'on construit des relations dans notre communauté pour que chacun comprennent bien ce qu’on fait. Il y aura toujours de la bonne musique venant des quatre coins du monde qui sera, et c’est tant mieux, toujours variée. On essaye juste de rester nous-même et d’apprendre des autres.