Interview

Mogwai

par Alex, le 18 février 2021

25 ans. C’est la durée, au jour près, qui sépare la sortie de “Tuner”/“Lower”, tout premier single de Mogwai, d’As The Love Continues, dixième album de la plus emblématique des formations post-rock britanniques. Un quart de siècle durant lequel Mogwai a bétonné sa réputation de référence majeure entre longues tournées mondiales, albums de généralement haute facture et bandes originales aventureuses. Composition, collaborations, Covid et connerie de Brexit... On a pu discuter de tout cela avec Barry Burns, guitariste du quatuor de Glasgow, habituellement basé à Berlin, mais de retour dans son Écosse natale depuis quelques mois pour cause de pandémie.

Goûte Mes Disques : Salut Barry ! Comment vas-tu et à quoi ont ressemblé tes dernières semaines ?

Barry Burns : Très bien merci ! Il n’y a vraiment rien à faire en ce moment, hein ? (rires). Plus sérieusement, j’ai été assez occupé à travailler sur des remixes, mais aussi sur la promotion de la sortie du nouveau disque. J’essaie de ne pas rester assis à la maison toute la journée, mais on est de nouveau en confinement ici, donc il n’y a finalement pas grand chose de plus à faire en attendant que ça passe… Je n’ai pas vu grand monde ces derniers temps et ça commence vraiment à me gonfler.

GMD : Parlons-en du nouvel album, justement. Il sort sur votre propre label, Rock Action Records. Dans ce contexte inédit, avez-vous envisagé d’en reporter la sortie jusqu’à ce que vous soyez sûr de pouvoir le défendre sur scène, ou au contraire, aviez-vous envie de le “libérer” le plus vite possible ?

BB : L’enregistrement a légèrement été reporté, mais c’était important pour nous de nous en tenir au calendrier qu’on s’était fixé et de le sortir en février, comme prévu. C’était une source d’angoisse évidemment puisque absolument personne ne sait ce qu’il va se passer. Tu sais, tu établis un plan et puis il continue de changer et de changer encore... Alors à un moment, on s’est juste dit “sortons-le et ça ira”. En revanche, je ne pense pas qu’on puisse jouer ces nouveaux morceaux avant la fin de l’année, voire le début de l’année prochaine. Ça nous emmerde un peu, mais on fait avec.

GMD : Sur ce disque, vous avez à nouveau travaillé avec Dave Fridmann, mais à distance cette fois. Tu peux nous en dire plus sur la façon dont les choses se sont organisées ?

BB : Honnêtement, ça s'est plutôt bien passé à ce niveau-là. Nous sommes d’Écosse, mais avons fait le chemin jusqu’en Angleterre pour entrer en studio. Nous avons été hébergés dans la maison qui jouxte le studio pendant deux semaines. Dave étant basé à New York, avec le décalage horaire, nous travaillons les morceaux ensemble beaucoup plus tard dans la journée que ce que nous faisons habituellement. Et finalement, cela s’est passé comme toi et moi avec cette interview. Il était sur Zoom avec nous. Il nous disait quoi faire, nous envoyait des suggestions, ce genre de choses. C’était un peu étrange pendant les premiers jours, je ne te le cache pas. Et puis finalement, tu t’habitues vite à cette façon de travailler.

GMD : Vous n’auriez probablement pas pu le faire avec quelqu’un d’autre…

BB : Non ! Enfin si, peut-être... Tu sais, tu peux toujours te débrouiller, mais je pense que c’est parce qu’on a si souvent travaillé avec lui (Dave Fridmann a également produit Come On Die Young, Rock Action et Every Country’s Sun, NDLR) que tout s’est bien déroulé et que le processus de travail était vraiment très détendu.

GMD : C’est déjà votre 10e album et le moins que l’on puisse dire, c’est que vous avez parcouru du chemin. L’impact de votre musique, le son que vous avez perfectionné pendant toutes ces années font de vous une figure essentielle de ce courant musical. Tu y vois une pression supplémentaire au moment d’aborder la conception d’un nouvel album, ou plutôt une chance de pouvoir t’octroyer plus de liberté d’un point de vue créatif ?

BB : C’est du 50-50 ! La moitié du temps, on veut partir sur quelque chose de très différent et le reste du temps, on se dit qu’on aime ce qu’on est et que les gens aiment vraiment qui nous sommes. On peut décider de faire tout ce que l’on veut pour changer quelque chose, on restera toujours le même groupe. On n’a pas l’intention de sortir un album de noise juste pour faire quelque chose de différent. Ça n'arrivera jamais parce qu’on aime ce que l’on fait. On se demande souvent ce que les gens pensent de nous, mais ce n’est jamais une bonne chose de laisser ce sentiment prendre le dessus.

GMD : J’ai l’impression que c’est en 2011, avec Harcore Will Never Die But You Will que vous avez vraiment commencé à partir vers de nouveaux territoires, à essayer des choses plus ambitieuses. Tu as aussi l’impression que ce disque est un tournant dans votre discographie ?

BB : Je crois que tu as raison. On a entamé un changement d’approche durant la conception d’Happy Songs For Happy People (sorti en 2004, NDLR), mais j’entends régulièrement autour de moi que c’est ce disque qui a été un tournant. Ça me surprend, mais beaucoup de personnes apprécient énormément HWNDBYW alors que nous, on le trouve juste correct. On n’est pas très fiers de Rave Tapes par exemple, parce que c’était une nouvelle étape vers le son auquel on aspire aujourd’hui. C’est un album étrange et un peu foireux, qui part dans plein de directions. Tu sais, on veut toujours essayer de partir sur quelque chose de nouveau pour chaque disque, mais ça ne marche pas toujours ! (rires)

GMD : Vous semblez pourtant êtes parvenu à une bonne synthèse sur ce nouvel album. Il y a de plus en plus de synthétiseurs dans vos compositions comme sur le morceau “Here We, Here We, Here We Go Forever”, où j’ai l’impression d’entendre un autre groupe alors que l’on ressent tout de même votre identité derrière.

BB : Ce morceau a été composé par Stuart et quand je l’ai entendu pour la première fois, je me suis dit : “Bordel, qu’est-ce qui se passe !”. Ce qui arrive souvent avec nous, c’est que les morceaux les plus bizarres et les moins attendus de notre part sonnent beaucoup mieux alors que d’autres morceaux dont on pense être certains qu’ils seront bons, quand on les enregistre, on remarque que la magie ne prend pas toujours. Je ne sais pas vraiment ce qui amène cette étincelle, il n’y a vraiment aucune règle avec nous et c’est peut-être pour ça que ça marche.

GMD : C’est juste une question de feeling finalement, un peu comme votre dernier single “Ritchie Sacramento” et ses parties vocales. Les morceaux chantés sont d'ailleurs plutôt rares sur vos disques…

BB : C’est tout à fait cela oui. Je crois que c’est aussi une question d’assurance. On n’est pas encore très confiants à l’idée de chanter sur des morceaux. C’est bien de sortir de sa zone de confort, surtout quand ça fonctionne. Mais Stuart et moi, on devient vite très nerveux quand il s’agit d’incorporer des parties chantées sur un morceau. Du coup, ça nous empêche de vraiment apprécier l’instant. Rajouter du chant, c’est juste une autre manière pour nous de faire sonner le groupe différemment, mais ce n’est vraiment pas quelque chose que nous souhaitons réitérer trop souvent.



GMD : On retrouve également deux invités en la présence d’Atticus Ross (Nine Inch Nails) et Colin Stetson (Arcade Fire, Bon Iver...) sur deux morceaux qui se démarquent du reste des autres titres. Tu peux nous en dire plus sur la façon dont les choses se sont organisées avec eux ?

BB : On avait l'impression que le morceau (“Midnight Flit”, NDLR) sonnait très bien, mais qu’il manquait vraiment quelque chose. On s’est dit qu’on pourrait essayer d’y incorporer plus de cordes pour amener le titre ailleurs. Ça s’est un peu fait en dernière minute puisqu’on avait presque fini d’enregistrer le disque. J’ai envoyé un mail à Atticus en lui demandant : “Y a-t-il une chance que tu y rajoutes quelque chose rapidement ?”. Il m’a répondu : “Ce ne sera pas rapide, mais je vais le faire”.  Et le morceau est incroyable et tellement dense !

Quant à celui avec Colin Stetson (“Pat Stains”, NDLR), le morceau sonnait vraiment comme l'un de nos anciens titres et on voulait également lui apporter une touche un peu plus fraîche. D’habitude on n’est pas trop fan du saxophone, mais on s’est dit que c’était peut-être une bonne chose d’essayer d’incorporer quelque chose que l’on aime moins pour voir ce qu’il se passe (rires) ! Je trouve qu’il a fait un travail incroyable sur le morceau, on dirait presque du Philip Glass.

GMD : À côté de cela, certains titres sur le disque, comme “Drive The Nail” ou “Ceiling Granny”, me donnent l’impression qu’ils auraient pu figurer sur vos premiers albums...

BB : C’est Dominic qui a écrit “Ceiling Granny” et il aime vraiment ce son des 90’s (rires) ! En revanche, c’est moi qui ai écrit “Drive The Nail”. D’habitude, je compose un morceau au clavier avant de le jouer à la guitare, mais là, ce fut plutôt l’inverse. Pour ma part, je n’ai pas l’impression d’avoir autant évolué en tant que guitariste que ce que j’ai pu développer avec les synthés ces dernières années par exemple. Ce sont vraiment deux morceaux que j’apprécie en tout cas, mais c’est difficile quand tu es dans le groupe de savoir à l’avance ce que le gens vont ressentir à l’écoute.

GMD : À quel point est-ce que votre approche sur les nombreuses bandes originales que vous avez pu faire (Before The Flood, Les Revenants, Atomic, Kin, ZeroZeroZero...) influence votre travail sur un disque de Mogwai et vice-versa?

BB : Disons que l’approche est la même, mais que sur des BO, tu dois prendre en compte l’avis et les indications de personnes externes. Tu dois savoir être plus flexible par rapport à ça pour rendre ces gens heureux du résultat. Alors que quand on est à quatre en studio pour un album de Mogwai, on doit juste se rendre heureux nous-mêmes ! Je pensais au départ que la démarche serait totalement différente, mais on s’est rendu compte que non. C’est même plutôt simple de passer de l’enregistrement de l’un de nos disques à une bande-originale. Cela nous a en plus rendus bien meilleurs sur nos propres disques puisque nous avons pu répéter beaucoup plus souvent ensemble sur ces projets assez différents.

GMD : Il y en a une que tu apprécies tout particulièrement ? 

BB : Même si ce n’est pas celle sur laquelle nous avons eu le plus de travail puisqu’Atticus Ross et Trent Reznor étaient en charge du projet, je trouve que les morceaux sur Before The Flood (le documentaire de Leonardo Di Caprio sur la crise climatique, NDLR) sont vraiment très bons.

GMD : Et au niveau de leur retranscription en live ? Je me souviens par exemple d’un de vos concerts à Bruxelles pour présenter Atomic, le documentaire de la BBC. C’était une expérience plutôt différente de vos concerts habituels…

BB : Oh tu sais, on a pu présenter plusieurs fois certaines de ces bandes originales, comme le documentaire sur Zidane par exemple. On avait joué certaines dates en Grande-Bretagne pour présenter cela dans le cadre d’événements spécifiques. Mais c’est tellement compliqué de faire en sorte que cela marche que l’on n’a finalement pas poussé le concept plus loin. On préfère garder cela pour de rares occasions.

GMD : Pour rester sur les thèmes des bandes originales, notre rédacteur en chef qui consomme un peu trop de séries aimerait d’ailleurs savoir si vous aviez été approché pour une potentielle saison 2 de ZeroZeroZero?

BB : Non, aucun e-mail, rien à ce sujet ! Et la série est tellement bonne pourtant. Il n’y a pas eu de discussions et je pense que le projet est terminé pour de bon. C’est vraiment dommage car je trouve que la série est excellente. Mais si cela devait se relancer, nous serions honorés de pouvoir à nouveau travailler là-dessus.

GMD : Revenons à ce que tu disais à propos de la possibilité de pouvoir présenter les morceaux l’année prochaine. J’imagine que tu n’as pas vraiment de bonnes choses à me dire à propos de la manière dont la crise est gérée en ce moment au Royaume-Uni. Si on ajoute à cela le Brexit et les nombreuses contraintes que cela va engendrer pour des musiciens comme vous qui tournent et travaillent énormément avec des partenaires européens, la situation est délicate...

BB : Si seulement les membres du gouvernement savaient ce qu’ils font, qu’ils n’hésitent pas à nous en faire part. Mais ils ne savent rien. Ils n’ont absolument aucune idée de comment les choses vont se passer, on dirait des singes dans un zoo... C’est non seulement mauvais pour nous, mais c’est surtout terrible pour les petits groupes qui viennent de démarrer. Je me sens mal pour eux. Ils ne vont plus pouvoir tourner tandis que les groupes européens ne vont plus pouvoir venir aussi facilement au Royaume-Uni. Et tout cela à cause d’un gouvernement, raciste de surcroît. C’est un désastre...

J’ai l’impression que certaines lois vont devoir changer malgré tout et que les Européens vont finir par faire certaines exceptions pour nous. Mais dans le fond, ils n’ont aucune raison de le faire, ce n’est pas leur faute. C’est celle du gouvernement britannique et aussi d’une partie de la population. Assez déprimant, n’est-ce pas ? On pense tout de même pouvoir repartir en tournée l’année prochaine mais cela va causer tellement de problèmes pour toutes les personnes qui vont travailler là dessus... On croise fort les doigts en tout cas.

GMD : Nous aussi. Et puis, vous n’êtes pas vraiment le genre de groupe à rester inactif très longtemps. Hormis la sortie du nouvel album, un livestream pour le présenter en entièreté est également prévu. Avez-vous d’autres projets pour vous occuper ?

BB : Oui, on va probablement écrire de nouveaux morceaux très prochainement. Mais vu que dès que l’on établit un plan ces derniers temps, les choses tournent mal, on ne sait plus trop quoi faire. On est comme tout le monde dans ce secteur, dans l’attente d’en savoir plus. On n’a rien de prévu sur des bandes originales pour le moment, mais on pense qu’avec le redémarrage de l’industrie du cinéma, beaucoup de projets vont nécessiter du son. On espère vite pouvoir avoir à nouveau ce genre d’opportunités de travail dans le cas où les concerts ne sont pas encore possibles. C’est en tout cas quelque chose qu’on adore faire et que l’on veut continuer à garder dans notre emploi du temps.

GMD : Merci d’avoir pris le temps de discuter avec nous. Tu souhaites rajouter quelque chose ?

BB : Indépendance pour l’Écosse ! (rires)