Interview

Marina Herlop

par thomas g, le 5 avril 2024

Après une annulation malheureuse l’année dernière (un vol annulé à l’aéroport de Barcelone), Marina Herlop a enfin pu jouer dans l’église Notre-Dame de Laeken pour un concert solo organisé par le Botanique dans le cadre du Listen Festival à Bruxelles. Avec deux albums sortis en Espagne puis deux albums sortis sur le prolifique label PAN, Pripyat et le dernier Nekkuja sorti l’année dernière, Marina Herlop n’a pas chômé pendant ses dix ans de carrière. De formation classique (piano et voix), la chanteuse catalane a longtemps inventé des paroles à partir d’onomatopées pour épouser ses harmonies vocales et les instruments électroniques qui lui servent d’accompagnement. Dans les sous-sols humides de la grande église, on a parlé linguistique, mode, tournée, création et études. Un entretien qui s’écoute également en podcast.

GMD : Le dernier album s'appelle Nekkuja et c’est un mot qui n’existe pas ?

Marina : J'ai mis longtemps à trouver ce nom. J'ai même demandé à Chat GPT de m’aider à le trouver. Je cherchais des noms de divinités, de religions, de fleurs ou d’arbres. C'est le fruit d’une longue recherche pour finalement tomber sur une combinaison des sonorités que j'aime.

GMD : Après deux albums et plus de deux ans de tournée, il est temps de faire une pause ?

Marina : Oui, c'était mon objectif pour 2024. Mais comme tu peux le voir, je suis à Bruxelles… C’est complexe d'arriver à organiser un temps de pause parce que j’ai encore beaucoup de concerts qui sont de très bonnes opportunités. C'est quelque chose qui commence à m’inquiéter parce que je souhaite réaliser un nouvel album et cela va me prendre du temps et beaucoup de travail. Plus tard, je m’y mettrai et plus tard je le finirai.

GMD : Comment concilier l’obligation de promouvoir sa musique et l’envie de la créer ?

Marina : L’ironie c’est que le côté scène et le côté studio sont opposés, sous de nombreux aspects. D’un côté, je socialise beaucoup, je vis de nombreuses expériences, c'est très extérieur et mouvementé. Et de l'autre, le studio, je m'isole, je me nourris et je contemple plus qu’on me regarde. Combiner ces deux modes de vie devient très difficile. Il y a une image qui continue de me venir à l'esprit : j'ai l'impression d'être terrée à l'intérieur d'une boîte noire mais la lumière y entre, le froid y entre, le bruit, l'eau, etc. Jusqu’à ce que ne soit plus une boîte noire. Cela signifie que le projet musical a besoin de mon attention. Même si j'ai un manager, nous prenons beaucoup de décisions ensemble, ce qui nécessite de passer beaucoup de temps à écrire des mails. Cette énergie n'a rien à voir avec l'énergie créatrice. Bien sûr, chaque job comporte des parties que l’on ne veut pas faire. Ce n'est pas comme si je souhaitais que le mien soit parfait : je sais qu'il y a une part de sacrifice. Ma seule crainte est que ce style de vie externe menace la partie créative. La vraie partie, en quelque sorte.

Je sais que l’échelle de mon projet pourrait sembler insignifiante vu de l’extérieur, mais pour moi, ce changement a été brutal car je n'avais jamais fait l'expérience de la tournée. Mon style de vie a radicalement changé. Je sais que je ne suis pas une popstar mais je suis parfois submergée par tant de messages, tant de gens, tant de nouveaux visages… J'oublie tout le temps les visages… C’est comme être à l'intérieur d'une machine à laver. Je ressens en ce moment une grande envie de disparaître. Et, autant j'apprécie ce style de vie et autant je me sens coupable de vouloir disparaître. C'est complexe. Pour résumer, je dirais que je suis très heureuse, voire immensément reconnaissante, pour cette expérience avec le public mais qu’il est aussi temps de retourner étudier et créer.

GMD : Vous avez appris le konnakol [ndlr: une technique de percussion vocale de l'Inde] pour votre musique, est-ce que vous avez le temps d’apprendre de nouvelles choses ?

Marina : C'est ironique car les deux dernières années, quand mon projet a décollé, sont aussi les années où j'ai le moins étudié la musique. J’aimerais apprendre à jouer des castagnettes par exemple. J'ai commencé quelques cours l'année dernière mais j'ai dû arrêter parce que j'avais des concerts. Je reviens tout juste d'Indonésie où j'étais pour enregistrer des morceaux de gamelan [ndlr: ensemble de percussions traditionnelles] car j'ai l'intention d’utiliser ces enregistrements dans le nouvel album. Je commence à comprendre ce que je veux faire pour celui-ci mais je pense que jusqu'à ce que je m'assoie et commence à travailler dessus, je n'aurai pas d’idée précise.

GMD : Vous avez toujours inventé des mots pour vos paroles mais sur le dernier album il y a des morceaux en catalan.

Marina :
Récemment, j’ai remarqué que je parlais toute la journée en anglais quand je suis en tournée. J’en suis arrivé au point où je commence à me dire que nous devons préserver notre langue. Parce que sinon dans le futur, nous parlerons tous en anglais. Peut-être pas tous, mais certaines expressions et certains mots auront disparu. Je ne chante en catalan que depuis très récemment. Jusqu'à maintenant je n'avais jamais vraiment pensé à ça. Je me suis toujours senti étrangère à ce débat. La langue que j’utilisais dans mes chansons n’avait jamais été pertinente jusqu'à présent. Je passe beaucoup plus de temps à réfléchir à la musique que je veux faire.

GMD : Est-ce que c’est mieux de jouer en groupe ou en solo comme ce soir ?

Marina :
Bien sûr, qu’avec le groupe c'est mieux ! C’est mieux musicalement, et c'est plus fun ! Le concert a plus de sens. Mais j'aime aussi jouer en solo. J'ai tendance à m’amuser dans n’importe quel format. Être seule sur scène a des avantages et des désavantages. C'est la même chose quand tu es avec le groupe : tu ris beaucoup, il y a des dramas, etc. Mais je me sens aussi responsable pour eux quand la situation est très fatigante, ce qui arrive souvent en tournée. Et parfois coupable, parce que c’est mon projet qui les met sous pression. Donc je ne peux pas m'empêcher de me dire que ce serait mieux si j’étais la seule à être fatiguée… Mais à part ça, bien sûr que c'est mieux quand je suis avec tout le groupe et l’équipe technique.  

GMD : Et puis la dernière question, qu'est-ce qui rend les costumes important ?


Marina :
Je ne suis pas très fan de visuels ou de vidéos, je souhaite qu’il y ait des choses à voir sur scène tout en restant old school. Alors les costumes sont une manière de rendre le spectacle magnifique qui fonctionne à l'unisson avec la musique. Comme c’est à chaque fois le même concert, je trouve que les problèmes créés par les costumes rendent chaque performance unique. Quand les talons sont trop hauts, quand les manches se prennent dans le stand du piano, quand ma chaîne s'emmêle devant mes yeux et que je ne peux plus voir correctement, etc. Tout habit est une nouvelle possibilité de problème technique. Peut -être qu'un jour je vais commencer à porter des vêtements normaux ? J’en doute. Je suis comme ça. En espagnol, on dit “presumida”, une personne qui aime bien s’habiller, se maquiller, être belle.