Interview

Jacco Gardner

par Pierre, le 3 octobre 2016

Cet été, on a beau avoir un peu glandé et être allé claquer une bise à papy et mamie, ça ne nous a pas empêchés de rencontrer du beau monde sur notre route. C’est d’ailleurs au festival Cabourg, Mon Amour qu’on s’est installé tranquillement histoire de discuter avec l’un des porte-étendards du renouveau psychédélique, loué unanimement par la critique suite à deux albums tout bonnement impeccables. Rendez-vous avec Jacco Gardner donc, jeune homme érudit, taciturne et aussi cosmique qu’il y parait.  

Goûte Mes Disques : Qu’est-ce que ça te fait d’être programmé ici, dans un festival dont l’affiche est clairement orientée house ? Quel est ton ressenti par rapport à la musique électronique ?

Jacco Gardner : C’est vraiment cool d’être dans un endroit comme ça et de jouer ce festival. Je pense que la house et plus généralement la musique électronique d’ailleurs, sont d’une certaine manière les musiques les plus psychédéliques qui soient. Du moins je crois que les musiques électroniques découlent fondamentalement de la musique psychédélique. J’adore les balbutiements et les débuts de l’électronique comme Jean-Michel Jarre par exemple. Alors c’est vraiment sympa pour moi de fréquenter les artistes actuels du genre dans ce type de festivals. 

Pendant quelque temps, j’écoutais souvent de la techno car j’avais un colocataire qui ne jurait que par ça, ce qui m’a permis de rentrer dedans. Il m’a montré ce qu’il aimait et pourquoi, m’a guidé un peu vers ce genre. Et puis mon frère est DJ, il est à fond dans la techno lui aussi… À vrai dire, je n’ai jamais réellement exploré le truc de mon côté, indépendamment, mais surtout parce qu’il y en avait beaucoup autour de moi. C’est vrai que je ne me sens pas impliqué à 100% dans ce genre musical. 

GMD : Tu expérimentes un bon paquet de styles musicaux différents : Cabinet Of Curiosities, ton premier album, semblait être l’œuvre de petits gnomes ou autres lutins alors que le suivant, Hypnophobia, est carrément plus sombre et clairement à la sauce Morricone. Est-ce que chaque album traduit ton humeur à différentes périodes de ton processus de création ?

JG : Tu sais, pour le premier, je voulais sortir un album sans franchement penser à quoi que ce soit, seulement en faisant ce que j’aimais. J’adore cette espèce de musique joyeuse, ce côté lumineux et pop de la musique psychédélique un peu cinématographique… Quant au suivant, après avoir autant tourné pendant deux ans, j’ai dû en quelque sorte me réinventer, chercher la source de ma création artistique. Essayer de trouver ce qui est en soi est une manœuvre très sombre en général. Il s’agit de creuser franchement ta personnalité, d’analyser qui tu es afin de pouvoir l’exprimer. Je pense que c’est ce processus qui explique le côté plus noir d’Hypnophobia, qui d’ailleurs est un peu plus électronique !

GMD : Mais du coup comment pourrait être ton éventuel troisième album désormais ?

JG : J’ai le pressentiment qu’il sera un peu comme un mélange de tous ces sentiments, qu’il mêlera l’éclat faisant suite à cette introspection mais aussi la noirceur de celle-ci. Je ne sais pas trop en fait, ce sera un mix de toutes ces émotions. Je travaille actuellement sur quelques trucs qui seront inclus dans le prochain album, il sera très certainement davantage inspiré de la musique cinématographique.

GMD : C’est réellement important pour toi que tu sois seul maître à bord et que le processus de création soit absolument personnel ? Tu composes seul, tu joues de quasiment tous les instruments…

JG : Oui, clairement. En fait, c’est comme un peintre qui, en imaginant son futur tableau, visualise a priori toutes les couleurs, les matériaux, les textures et les formes. Parfois tu peux déjà ressentir toutes ces choses avant même de te mettre à peindre. Mais dans le domaine musical, il faut un peu travailler avec d’autres personnes comme le producteur, l’arrangeur, etc… C’est davantage un travail de groupe. 

Quoiqu’il arrive quand je compose, j’essaie d’être un peu comme ce peintre et d’avoir une idée précise de ce vers quoi je me dirige, c’est pour cela qu’il me faut une très grande part de contrôle. Par exemple je considère qu’une mélodie évoquant une émotion ou une humeur n’est pas grand chose sans les effets qu’on peut rajouter dessus, comme de l’écho ou de la reverb, donner l’impression d’une petite pièce ou l’acoustique d’une cathédrale… En fait, tout ceci compte autant que les notes jouées. Du coup la production et tous les arrangements ne sont que la continuité de la composition, c’est pourquoi je fais la quasi-totalité de ces choses-là en solo.  

GMD : On considère à raison que tu es l’un des meilleurs représentants de la scène psyché actuelle. Qu’est-ce que tu penses de ce nouvel élan psychédélique justement ? 

JG : Je pense que la musique psychédélique n’a été véritablement psychédélique que quand elle en portait l’appellation, un peu comme un terme ancré dans son époque, à savoir celle des années 60 et 70. Après cela, comme on en parlait précédemment, ce genre s’est développé dans tellement de styles différents… Il y a donc la musique électronique, mais si l’on regarde dans les années 70, on a le glam-rock par exemple, le rock progressif, l’expérimental, l’acid-folk, etc… Tous ces registres musicaux possèdent des éléments de musique psychédélique et de nos jours encore plus ! Pour moi, parler de revival psyché est une sorte de non-sens, on se demande sans cesse : « OK, auxquels de ces groupes je vais pouvoir coller cette étiquette ? » alors qu’une nouvelle scène purement psychédélique telle celle qui existait quelques décennies auparavant ne peut plus réellement émerger. J’aime que les gens considèrent ma musique comme psyché, mais moi-même je ne la pense pas comme cela. Après, c’est vrai que je m’y réfère beaucoup, notamment aux débuts de Pink Floyd par exemple.

GMD : Puisque tu parles de Pink Floyd, on te compare assez souvent à Syd Barett ou aux Zombies en mentionnant finalement assez rarement d’autres noms d’artistes ou de groupes, et je sais que cela t’énerve un peu. Qui selon toi a le plus influencé ton travail, parmi ceux qu’on ne cite jamais ? 

JG : Il y en a énormément. J’ai eu beaucoup d’influences différentes au fur et à mesure que je découvrais de nouveaux genres musicaux et de nouvelles approches de la création musicale, comme la production. Je reste un grand fan de Syd Barett, c'est clair, mais beaucoup d’artistes m’ont apporté divers éléments spécifiques que j’ai pu apprendre d’eux. On m’a demandé une fois de citer les cinq noms les plus influents pour moi, chose impossible étant donné qu’il y en a au moins une trentaine desquels j’ai pu m’inspirer. Parfois il s’agit juste d’une toute petite chose, mais ils ont été tellement influents sur ce point de détail… 

Je peux en mentionner quelques-uns qui gagnent à être plus connus, genre Mort Garson, l’une de mes principales influences. Je pense également à Tom Rapp, un mec qui faisait de l’acid-folk que j’adore. Et puis il y a aussi Bo Hansson, un Suédois qui a publié beaucoup d’albums tous instrumentaux mêlant le jazz, la musique cinématographique et la folk aux influences locales. Il a notamment fait un album inspiré du Seigneur Des Anneaux (ndlr : Sagan Om Ringen) qui était sans doute son premier long-format véritablement intéressant, absolument génial. 

GMD : Et récemment tu as tourné avec The Witch, un super groupe de garage originaire de Zambie…

JG : Oui, un de mes amis réalise un documentaire sur ce groupe en ce moment et, comme la musique africaine m’intéressait beaucoup, il m’a demandé si je voulais le rejoindre et participer à son projet. Je savais déjà qu’il bossait sur The Witch mais quand il m’a proposé cette aventure, j’ai creusé davantage leur musique et je me suis rendu compte qu’elle me plaisait beaucoup plus que je ne l’aurais cru. Il y a pas mal de Black Sabbath dedans, du James Brown, du Jimi Hendrix etc… En fin de compte, c’est une audacieuse mais super combinaison que nous, occidentaux, ne pourrions pas reproduire selon moi. Ils ont une super sensibilité et un grand intérêt pour notre musique mais préservent malgré tout l’esprit de la leur, étant donné qu’ils chantent aussi dans certaines langues tribales. Et The Witch notamment, étaient clairement les meilleurs du pays au début des années 70, vraiment doués pour combiner toutes ces musiques entendues à la radio aux chansons traditionnelles locales. À l'époque, chaque tribu avait ses chansons propres et il y avait un truc genre neuf tribus donc c’était très riche et très varié, ne serait-ce qu’au sein même de leur pays. Malheureusement de nos jours en Zambie, il n’y a pratiquement plus de groupes qui essaient de mixer toutes ces influences. En réalité The Witch est l’un des seuls groupes de l’histoire zamrock qui a su mêler avec autant de brio musique traditionnelle et musique occidentale. 

GMD : Avant de te laisser te préparer pour ton concert, j’aimerais te demander une dernière chose. J’ai lu quelque part que tu étais passionné par quasiment toutes les formes d’art, comme la littérature, le cinéma et même les jeux vidéos… Mais à quels jeux peux-tu bien jouer ? J’ai du mal à t’imaginer massacrer des types sur Call Of ou bien choper des Pokémons dans la rue… 

JG : (rires) J’ai pas mal joué au jeux vidéos quand j’étais gosse, c’est clair, mais maintenant je n’ai plus réellement le temps. J’ai vraiment commencé avec Pokémon sur GameBoy, le tout premier. C’est sans douter ma plus grande immersion dans l’univers d’un jeu, j’étais à fond dedans. La bande-son du jeu est juste incroyable et, mine de rien, elle m’a beaucoup influencé je pense. Chaque ville avait ses musiques propres très bien composées, avec des mélodies géniales... En fait, j’adorerais composer la bande-son d’un jeu vidéo vraiment immersif. Après tout pourquoi pas ? Ce serait une super expérience ! Ça me plairait carrément d’écrire pour un jeu d’exploration spatiale, un peu comme No Man’s Sky dans lequel il faut naviguer de planète en planète au sein d'un galaxie. Bon à m’entendre on dirait un vrai geek, mais promis je ne le suis plus (rires)