Interview

Hyacinthe & L.O.A.S

par Aurélien, le 24 avril 2017

Quatre ans. Difficile de se dire qu'il aura fallu attendre autant de temps avant d'offrir à Hyacinthe et L.O.A.S. la grosse interview qu'ils méritaient. À quelques semaines de la sortie de Tout me fait rire, le premier effort solo de L.O.A.S, on a finalement franchi le cap : on donne rendez-vous à la paire dans un bar près du métro Pigalle. Et la première bière est déjà bien entamée quand les deux rappeurs parisiens finissent par s'installer à la terrasse du bar où on a élu domicile. Et force est d'admettre qu'ils ont été plutôt généreux : quand on les quitte, c'est pas moins de deux heures d'enregistrement qui partent dans tous les sens, de Kery James à Adèle Exarchopoulos, en passant par des détours importants par la chanson française. Morceaux choisis.

Goûte Mes Disques : Comment vous gérez la célébrité depuis que les Inrocks ont écrit sur vous et que vous faites les premières parties de Vald ?

L.O.A.S : (rires) Ben écoute, une fois, je suis passé devant un lycée et on m'a reconnu ! Plus sérieusement, la célébrité on n'y est pas encore, même si le milieu nous connaît maintenant. On est une configuration d'artistes pour qui le succès arrive lentement. On est des sucres lents, un peu comme les pâtes ! Ça met du temps à se digérer, mais on sait que ça paiera sur la longueur.

Hyacinthe : C'est surtout en soirée où on nous reconnaît un peu, autrement on doit nous reconnaître dans la rue de temps en temps. Après, en soit, on ne court pas après le succès à tout prix. Si je le cherchais perso, j'aurais choisi d'enchaîner très vite après Sur La Route de l'Ammour 2 (son dernier projet solo, sorti en 2015, ndlr), surtout qu'à cette époque, j'avais eu pas mal de couverture par la presse et tout. Or, c'est un peu le contraire, j'ai plutôt choisi de prendre mon temps pour revenir pour pouvoir affiner ma proposition.

L : Et puis en marge de ces choix personnels, il y a eu des contextes bien particuliers, on essaie de jouer le jeu de cette industrie, mais ça prend du temps.

GMD : Par rapport à la sortie de Tout me fait rire ?

L : Notamment ouais... En tout cas pour ce disque-là, j'ai choisi de faire ça dans les règles. Maintenant j’attends de voir le bénéfice que j'en tire, surtout en comparaison aux disques qu'on distribuait un peu sous le manteau.

H : À terme, je pense que ce sera forcément bénéfique ! Depuis deux ans, on rencontre des gens du milieu, et on apprend beaucoup... Mais jusqu'alors, ça a parfois été fatigant.

GMD : Loïs, il y a une immense attente derrière ce disque, est-ce que tu es confiant ?

L : (il marque un temps d'arrêt) C'est un projet qui est terminé depuis décembre 2015, et qui a fini d'être ce qu'il est depuis plus d'un an. Du coup, le vrai défi de ce disque, c'est d'aller le défendre alors qu'avec ce que j'ai dans la tête, et ce sur quoi je suis en train de travailler maintenant, artistiquement je suis déjà ailleurs. Mais c'est un disque auquel je crois et dont je suis hyper fier ! Je sens vraiment qu'il y a une étape de franchie. Juste j'aimerais un jour pouvoir sortir un projet sans tous ces problèmes de délais qui font qu'au moment où ton disque sort, tu n'es plus du tout en adéquation avec ton projet. Heureusement que la scène va me permettre de défendre à la fois ce disque, et ce qui va lui succéder.

GMD : On sent en tout cas que tu as acquis une vraie maturité d'écriture sur ce premier album, notamment par rapport à ton EP NDMA... 

L : Tu trouves ? Ça me fait plaisir, ça. J'aime bien les mots, mais j'aime encore plus quand ce sont les émotions qui les font sortir, ces mots. Quand je ne réfléchis pas, que je suis comme dans une bulle, et que l'écriture n'est plus qu'une trame, qu'il y a quelque chose qui vient la pousser d'en-dessous. Des fois, j'écris un couplet, mais je peux le laisser dormir six mois avant de lui donner suite. Pour moi, écrire, c'est comme à la boxe quand tu tapes dans sac, j'écris machinalement, en permanence. Mais ça, c'est juste pour le côté entraînement. Pour ce qui est de la pratique, ce n'est que quand j'ai le bon son combiné à la bonne émotion que ça me donne de bons morceaux. Et je suis très fier de ces onze morceaux.

GMD : Tu as développé une vraie bromance avec Tomalone non ? On le trouve sur trois titres là-dessus.

L : Ouais, depuis qu'on a bossé ensemble sur le titre "NDMA", on a développé une vraie alchimie. Il a beaucoup apporté à Tout me fait rire, c'est avec lui que s'est créé une espèce d'histoire, de dialogue sur ce disque. On a beaucoup travaillé à distance sur ce projet, puisqu'il est basé dans le sud, mais il a vraiment contribué à le lisser un maximum, à gommer le superflu. C'est pour ça qu'on retrouve ses trois titres au milieu de l'album, qui sont à mes yeux le vrai noyau dur du disque. J'ai aussi écrit et co-écrit deux morceaux sur son premier projet solo.

H : C'est lui qui a produit "Flingue en porcelaine" qui est mon morceau préféré de l'album.

GMD : C'est marrant que tu dises ça Marin, je trouve que ce morceau a une vraie familiarité avec "l'Ennui". Et même, assez généralement, il y a l'air d'y avoir un vrai dialogue entre vos carrières solo, même si j'ai l'impression que les disques de Hyacinthe posent toujours les bases qui seront ensuite reprises par L.O.A.S.

H : Si tu veux mon avis, "l'Ennui" est moins abouti que "Flingue en porcelaine", mais je comprends ce que tu veux dire. C'est complètement inconscient en fait.

L : Assez clairement, et parfois ça va même au-delà de la couleur de nos projets : dans les difficultés qu'on rencontre en solo, dans la construction de nos albums, on s'influence beaucoup – même si c'est involontaire. Je retrouve chez lui des façons de faire qui me ressemblent, et moi j'essaie souvent de reproduire la force de ses images, avec mes mots à moi. 

GMD : On a le sentiment que vous vous êtes un peu mis à l'écart les uns des autres pour construire quelque chose en solo. C'est une volonté de votre part à vous deux et Krampf ?

H : Je pense que les raisons sont différentes pour tous les trois en fait. (il sourit) On est trois identités assez fortes, avec des envies différentes, et on a besoin de ces libertés pour pouvoir exister en solo. Je n'ai pas ma place sur un projet comme Tout me fait rire, c'est quelque chose de trop personnel. De mon côté, j'avais besoin de me retrouver un peu seul, pour affiner une direction.

L : Entre nous les liens sont toujours là, mais on prend chacun beaucoup de place. Du coup cet espace qu'on se laisse, c'est vraiment pour arriver à exister indépendamment les uns des autres. On veut vraiment gagner en force chacun de notre côté, et je pense que quand on aura réussi à s'accomplir chacun en solo, on sera prêts à donner une suite à ce qu'étaient les bases de DFHDGB.

GMD : Malgré cette volonté d'être indépendants, est-ce que vous continuez à vous consulter sur vos projets respectifs ?

H : Personnellement, je sais que quand j'ai fini d'enregistrer mes morceaux, avant de les envoyer au mix, ils passent toujours par les oreilles de L.O.A.S et de Krampf. C'est mon crash test à moi. Ils font partie des trois ou quatre personnes que je consulte systématiquement.

L : Pareil. En fait, on a une réelle franchise et une bienveillance naturelle quand on s'écoute les uns les autres. On explique pourquoi on ne va pas apprécier tel ou tel morceau, mais après on se laisse toujours à chacun la liberté de prendre en compte ou non ce retour.

H : Voilà, et du coup, on n'a pas peur de se dire les choses. Heureusement d'ailleurs parce que Loïs est plutôt cash dans son genre.

L : Carrément trop direct, même ! (rires) Mais c'est pas méchant, c'est juste que je sais ce qui m'intéresse chez les gens, et dès que je sens que ça ressemble à autre chose de connu, ça me parle moins. Après, c'est parce que je suis un gros nazi sur cette question là.

H : (rires) "L.O.A.S est nazi". Mettez ça en headline de Goûte Mes Disques, ça va faire un tabac !

GMD : Vous avez un truc pour savoir quand vous avez fait un gros morceau ? Y avait un truc très intéressant dans une interview de Booba où il expliquait qu'il faisait passer à ses titres des espèces de crash test. Par exemple, après une soirée en boîte, où il a écouté des titres de Future ou de Meek Mill, il écoutait ses morceaux à lui en voiture pour voir s'il arrivait à tenir la comparaison.

H : C'est pas forcément classe, mais je dois admettre que les morceaux dont je suis le plus fier, et qui ont la direction la plus affirmée, ce sont ceux que j'écoute ivre mort et qui me plaisent dans cet état-là. (rires) C'est comme ça que j'ai écrit "L'Ennui" en une demie-heure, et qui reste à ce jour l'un de mes titres préférés.

GMD : On a l'impression que vous êtes très différents dans votre manière d'écrire en studio. Je me trompe ?

L : On ne travaille absolument pas de la même manière, non. Hyacinthe est quelqu'un de très méticuleux, très dans le détail. Moi je m'en fous un peu en fait. (rires) Je préfère la spontanéité, et c'est même lui qui va me donner des conseils, m'indiquer à quel endroit crier plus, etc. Et Krampf est celui qui a une vision plus globale des choses. 

H : En fait, Krampf intervient rarement à la première étape du processus : en général c'est lui qui apporte la touche qui va avoir la valeur ajoutée, et qui transforme un bon morceau en quelque chose qui défonce. Il est hyper fort pour ça. C'est pas toujours quelque chose d'énorme, mais il va avoir toujours un petit détail, un synthé ou quoi, qui va avoir tout son sens. J'appelle ça la "Krampf touch". (sourire)

GMD : Du coup, à vous entendre, on a l'impression que vous réentendre tous les trois sur un même projet entier, c'est pas si impossible que ça en fait ?

H : On a commencé à y bosser en fait ! Mais on est dans une espèce d'impasse où on a du mal à trouver le temps pour se rencontrer tous les trois sur une période suffisamment longue. Mais on a déjà de nouveaux morceaux ensemble, des choses vraiment solides dont on est très fiers. Mais plutôt que de les bâcler, on a préféré les laisser de côté. C'est un peu des esquisses de ce qu'on voudra faire quand on aura plus de temps pour s'y consacrer. 

L : C'est certain qu'on va le faire à un moment donné. C'est juste qu'on est très occupés par nos actualités respectives en fait. Marin va bientôt sortir du son neuf, et moi je vais enfin pouvoir défendre Tout Me Fait Rire sur scène. Et puis on a vite repris nos marques, nos gimmicks... En fait, c'est presque trop facile. Notre façon de bosser est restée très fluide, aussi fluide que quand on avait enregistré Ne Pleurez Pas Mademoiselle (leur premier projet commun sorti en 2013, ndlr).

GMD : Et rétrospectivement, quel souvenir vous gardez de ce premier effort ensemble ? Il avait été plutôt bien reçu à l'époque de sa sortie.

L : Un très bon. C'est un disque qu'on a enregistré de manière très spontanée. En fait avant ça, on ne travaillait qu'à distance, Hyacinthe vivait à Paris, moi j'étais en Inde. On n'a commencé à travailler sur ce projet qu'à mon retour, et comme on n'était plus obligés de travailler à distance, on en a profité pour enregistrer ce projet rapidement, à raison d'un jour par semaine. On a bouclé le projet en deux mois, sachant qu'on a écrit "3ème Cime" directement... Depuis Facebook messenger.

H : Exact, on se retrouvait chaque mardi après-midi, parce que c'était la seule après-midi qu'on avait de libre pour enregistrer. À l'époque où on a enregistré ce projet, on n'avait pas de studio, j'habitais encore chez ma mère. Du coup, c'est dans ma chambre que j'ai enregistré une grande partie des morceaux de Sur La Route De L'Ammour, et l'intégralité de Ne Pleurez Pas Mademoiselle. On ne pouvait enregistrer tranquillement que sur ce créneau-là, quand ma mère bossait.

GMD : C'est sur ce projet qu'on trouve "Mektoub". Avis personnel : c'est un titre qui est passé assez inaperçu à sa sortie, mais qui, je trouve, a une vraie résonance aujourd'hui, au regard de vos plus récentes sorties. Est-ce que finalement ce n'est pas un peu la vraie première base de ce qu'est DFHDGB aujourd'hui ?

L : Il y a de ça oui, même si, à l'époque, c'était embryonnaire et extrêmement maladroit. C'est la première fois qu'on s'essayait à l'autotune, et où on essayait d'apporter du calme quand tout le reste de l'EP était bien énervé. Personnellement, je trouve que c'est un morceau raté, mais j'ai une affection particulière pour les choses chantonnées, un peu fausses. Ça les rend touchantes. C'est pas pour rien qu'on a le mot "faux" dans notre acronyme : ce mot-là il est super important dans le collectif. Malgré nous, ce côté faux, ça ajoute vraiment de l'humain à notre musique et... 

[l'interview s'interrompt quelques instants où un jeune reconnaît et apostrophe nos deux rappeurs. Visiblement un peu intimidé, il se sent obligé de se justifier du fait qu'il n'a pas encore pré-commandé l'album de L.O.A.S car il n'a pas d'argent]

GMD : Pour en revenir à vos carrières solo, vous avez commencé à tourner un peu chacun de votre côté en tournée. Ça vous fait quoi de défendre vos efforts respectifs chacun de votre côté ?

H : C'est mortel ouais, c'est vraiment dans ces moments-là qu'on affirme nos identités respectives.

L : C'est exactement ça. Perso, je garde un pur souvenir d'une date à Brest avec Kery James. On s'est retrouvé dans les loges avec Teddy Corona, OGB... Des légendes de mon adolescence quoi !

GMD : J'imagine que le clin d'œil à "Hardcore" sur "VLV" a dû leur faire plaisir aussi.

L : Ouais, les gens ont vraiment été touchés. Il y avait une partie du public de Kery James que je ne pouvais pas conquérir d'avance, c'est clair, mais leur accueil a été vraiment chaleureux. Au final, ça m'a permit de me rendre compte que j'intéressais un public rap plus traditionnel. Ce qui me convient parfaitement d'ailleurs : je ne voulais pas être le mec qu'on vient voir que parce qu'il est blanc et qu'il dit des gros mots. Un gros big-up au gendarme qui m'a insulté par commentaire Facebook le lendemain du concert ! (rires)

H : C'est un gendarme fan de Kery James, c'est compliqué de base aussi. (rires)

GMD : C'est très quinqua comme réaction mine de rien, ça. Ça me rappelle la page Facebook de Benjamin Biolay, avec son lot de ménagères qui te tombent dessus sur de longs paragraphes dès que quelqu'un arrive pour dire du mal de lui.

L : De toute façon, on ne va pas se mentir, il a gagné : c'est clairement le meilleur public à fidéliser.

H : Exactement. Que la milf.

L : (rires) Je te la pique celle-là, ça va faire 200 retweets minimum.

GMD : Hyacinthe, en parlant de Benjamin Biolay et des réseaux sociaux, je me rappelle qu'à l'époque lointaine où il avait encore la main sur son Twitter, il avait parlé de toi de façon très élogieuse. Est-ce que t'as pas l'impression que, même de manière involontaire, ça t'a convaincu de chanter ?

H : Son tweet il date de 2012 mec. J'ai mis quatre ans avant de chanter !

L : Ouais, mais quelque part c'est pas faux : depuis le début on savait qu'on allait s'orienter vers un truc plus orienté chanson et R&B. On en a toujours parlé, même quand on était plus hardcore.

H : Oui, mais Benjamin n'a rien avoir avec ça ! (rires) Non, mais j'ai que de l'amour pour lui. J'aime vraiment beaucoup sa musique, il a des chansons et des albums incroyables, et j'adorerais faire une chanson avec lui. Mais ça s'arrête là, en soi son tweet n'a rien eu de prophétique sur la façon dont a évolué ma carrière. 

GMD : Tu es quand même le premier rappeur français à reprendre Dominique A ! C'est lourd de sens, ça.

H : Ah, ça c'est La Souterraine qui nous l'a proposé ça avec Nodey. Ils m'avaient dédié une rétrospective sur leur Soundcloud il y a quelques années et ils nous ont proposé de faire une reprise de "Le courage des oiseaux". Du coup on a accepté, et on a décidé de faire ça et de glisser vers un truc un peu plus zouk. Je tiens à dire que je suis très fier de cette reprise !

L : Il n'a pas eu la réception qu'il aurait mérité d'ailleurs à mon avis. Il y avait un vrai potentiel inexploité. 

H : Ouais, c'est souvent comme ça quand ça atterrit sur Bandcamp. Mais à ce qu'il paraît le morceau serait arrivé aux oreilles de Philippe Katerine, qui aurait kiffé le morceau.

L : Nouvelle headline pour Goûte Mes Disques ! Il y aura Philippe Katerine sur le prochain album de Hyacinthe ! (rires)


GMD : Même toi Loïs, tu as commencé à rapper sur des samples de chanson française sur tes deux derniers projets.

L : Grave, j'assume complètement cette direction-là. Aller chercher dans le patrimoine français des échantillons qui ont un petit charme, et s'arrêter enfin de sampler de vieux disques de soul américains... Parce que c'est notre culture quoi ! Pourtant c'est pas forcément ce que j'écoute ou quoi, mais donner une deuxième vie à ce patrimoine méconnu, ça me semble super important. Surtout à l'heure d'internet, de la musique monde, où on a tous fatalement les mêmes influences.

H : En plus, franchement je pense que c'est possible de faire une musique qui soit française et stylée sans aller sucer les Américains à longueur de temps. Plus je creuse dans cette musique, plus je découvre qu'on a une vraie identité à faire valoir. Aujourd'hui quand t'écoutes du R&B français et tu te rends compte qu'on a pas grand chose de neuf à apporter sur la table qui n'ait pas été directement importé d'Amérique.

GMD: T'es dur avec la France. Y a Jok'Air quand même !

H : Ah mais grave, on est d'accords ! Pour moi, Jok'Air y'a une vraie sensibilité qui va vers des trucs comme Vanessa Paradis, etc. en plus gospel peut-être. Souvent, quand j'en parle avec lui, je sais qu'il écoute beaucoup de chanson française, et qu'il a vraiment envie d'aller vers ça.

GMD : Du coup, on se sent un peu obligés de vous poser la question : dans le fond, est-ce que vous écoutez encore du rap aujourd'hui ?

H : J'écoute toujours autant de rap, mais j'écoute aussi de plus en plus de chanson française. Personnellement, j'ai beaucoup écouté Alain Bashung ou Gerard Manset, et d'autres trucs a côté comme le dernier Julien Doré...

L : (il l'interrompt) Je suis le seul à trouver que ça ressemble beaucoup à Sébastien Tellier ? Juste il parle pas de Biarritz, il parle de Cannes, mais il applique les mêmes choses. 

H : Je veux bien entendre ça. Mais des trucs comme "Coco Câline" ça me touche au cœur, j'ai vraiment kiffé. Christophe aussi, son album Les Vestiges du Chaos est incroyable, hyper bien, ultra moderne. Et puis ça me donne de l'espoir, même par rapport à nous ! C'est possible d'avoir 70 ans, de continuer à sortir des albums qui soient pas des albums de vieux, quelque chose de bien dans son temps, sans que ça ne sente forcé. Ce que je veux dire, c'est que c'est pas un vieux qui essaie de faire des trucs de jeune, et c'est vraiment bien.

L : Entièrement d'accord avec ça. 

GMD : Du coup, est-ce qu'on peut affirmer sereinement que DFHDGB aujourd'hui, c'est un collectif de chanson française ?

L : Bien sûr, mais ça l'a toujours été. En tout cas, on a toujours été très partisans d'un patrimoine musical sinon français, au moins européen.

H : Après j'aimerais bien qu'on s'auto-suce, qu'on dise qu'on est trop forts et qu'on est les seuls à faire ça, mais c'est pas du tout le cas. Tout le monde le fait un peu, en fait. Quand j'écoute le dernier PNL, il y a un côté chanson. Et il y a de moins en moins de frontières entre la chanson, le rap et la pop, tout se mélange. Regarde ce qu'a accompli quelqu'un comme Drake, même si je trouve parfois qu'il a du mal à se renouveler.  

L : Faut qu'il arrête de faire des albums de vingt titres aussi...

GMD : Tiens, c'est vrai que vous faites des albums plutôt courts, tous les deux. Même en France, c'est devenu un phénomène assez rare.

L : Moi en tant qu'auditeur je me lasse, personnellement. Au-delà de dix titres, quelque soit le style, je passe à autre chose.

H : Entre dix et treize ouais, pareil. Après c'est un cap qu'on n'a personnellement jamais réussi à passer, mais si j'arrivais à m'imposer un rythme de production suffisamment rapide, ça ne me déplairait pas de sortir plusieurs projets dans l'année sur cette même base d'une dizaine de titres. 

L : Après, t'as une certaine obligation de densité et de variété à l'intérieur.

H : Je pense que c'est une liberté que tu peux te permettre, aujourd'hui. Les durées d'album ont toujours été liées au format, que tu sois sur du 33 tours ou sur du CD. Si Elvis Presley avait eu la possibilité de faire des titres de plus de trois minutes sur chaque face d'un vinyle, il aurait peut-être opté pour des albums de deux heures ! À l'heure du streaming en tout cas, on a vraiment la latitude pour faire ce qu'on veut, on pourrait faire ça comme, on pourrait sortir huit albums de dix minutes. on n'a vraiment plus aucun contrainte de format.

L : Je pense qu'indirectement on est quand même dictés par le format. On a plus de libertés, c'est certain, mais on reste quand même sur des morceaux courts. Ne serait-ce que pour coller au format vidéo, puisque aujourd'hui on ne peut plus faire de musique s'il n'y a pas d'image avec... Je pense que la dématérialisation de la musique, ça implique une toute nouvelle exploration de ce format.

GMD : Vous êtes quand même restés très traditionnels dans votre façon de sortir vos projets pourtant, puisque tous vos projets depuis Ne Pleurez Pas Mademoiselle ont eu droit à une sortie physique. C'est devenu rare à l'heure du digital !

L : Exact, mais je me rends compte que ça manque aux gens en plus ! Ils y tiennent vraiment à ce format et à ce mode de distribution sous le manteau. Pour la sortie de Tout me fait rire, j'ai reçu plein de messages comme quoi les gens étaient déçus que ce ne soit pas moi qui mette le disque dans l'enveloppe cette fois. Je me suis même fait traiter carrément de vendu quand j'ai ouvert ma chaîne VEVO ! Enfin, j'espère qu'à l'arrivée ça va avoir des aspects positifs.

H : Y en a au moins un : je sais pas s'il vous l'a dit mais c'est Loïs qui paie la tournée là. (rires)

GMD : Quand vous débarquez en 2012, d'après moi vous avez posé les bases de pas mal de trucs, en départ de rap indé un peu parisien, presque alternatif, un peu en même temps que Butter Bullets. Aujourd'hui on se rend compte qu'il y a une vraie scène qui s'est construite là dessus, entre Jorrdee, Ichon, Lutèce, Triplego...

H : Ils sont trop forts Triplego ! J'aime de plus en plus ce qu'ils font.

L : Ouais, des gens un peu bizarres quoi ? 

GMD : … Pas forcément, parce que finalement musicalement il y a peu de lien. Ce que je veux dire, c'est que vous n'avez pas eu besoin de label derrière vous pour commencer à poser des bases et à vous développer. Et vous avez été les premiers à assumer ça. Du coup comment vous vous situez par rapport à cette scène-là ?

H : On est les meilleurs gros ! (rires) Non, plus sérieusement, je ne sais pas si on a posé les bases de quelque chose. Je pense plutôt qu'on a permis à plein de gens de se dire "c'est possible", même si ça ne nous a jamais fait péter le score. Et pour ça, on fait sans doute partie des premiers, oui. Après, si on a une primauté sur tous ces artistes, c'est de façon complètement hasardeuse, sans le faire trop exprès. Et ils ont chacun une vraie proposition.

GMD : Du coup, vous ne ressentez pas de liens particuliers ?

L : En fait, j'aime bien que ce soit les gens qui fassent d'eux-mêmes le lien. Vous en tant que journalistes, les gens en tant qu'auditeurs... C'est bien que ce soit vous qui tissiez les choses. Nous, en tant qu'artistes, on n'a pas forcément le recul, et on n'essaie pas de créer quelque chose tous ensemble. À aucun moment on ne s'est concertés pour lancer un truc, surtout que je nous trouve toujours très en marge du reste de cette scène qui a tendance à se mélanger assez naturellement. Mais les noms qu'on cite depuis tout à l'heure ne sont qu'un millième de tout le potentiel qu'on a dans le rap français. Tous les jours, j'écoute des trucs et je découvre des trucs qui peuvent potentiellement exploser. On ne sait pas finalement, et on ne pouvait pas prévoir ça quand PNL est arrivé il y a deux ans. Ça fourmille beaucoup, c'est fou. Et là, on ne parle que de Paris, mais il se passe des choses tout aussi excitantes à Lyon, Marseille et ailleurs...

GMD : Cette volonté de peu vous mélanger, c'est un choix ?

H : J'ai plus naturellement tendance à le faire que Loïs, en fait. J'ai fait un morceau avec Lutèce, un avec Swift Guad, un autre morceau avec Joe Lucazz... Même si je ne sais pas quand ça sortira, puisque c'est censé être sur le projet qui sort après No Name 2, qui lui-même n'est toujours pas sorti ! (rires) 

L : C'est un mec qui fait des jeudi-dimanche d'une traite, c'est normal aussi. (rires) Mais grand respect à lui, c'est un mec incroyable. 

GMD : Du coup, on se sent obligés de poser la question : qu'est-ce que vous pensez du cas Nekfeu ? 

H : Que de l'amour franchement. Il a taffé, et clairement plus que les autres.

L : Complètement d'accord. Il est sorti d'un discours où il défend une école de rap traditionnel, et il a joué le jeu de faire du rappeur chanteur, qui fait du Drake, qui se pavane avec une veste multicolore aux victoires de la musique... Il a fait le choix d'être un mec pop, et je trouve ça très respectable. En tout cas, toujours plus que de rester conservateur comme il pouvait l'être au début de 1995 et de L'Entourage.

GMD : Mais dans le fond, est-ce que le vrai gagnant de l'Entourage, ce serait pas Doums ?

L : Parce qu'il a mis enceinte Adèle Exarchopoulos ? Carrément ouais.

H : (il bondit de sa chaise) Mais non ! Il sort avec elle ? C'est pour ça qu'il a pas fait de rap depuis longtemps ! Ah ben carrément qu'il a gagné. Nekfeu fait pas le poids face à ça. (rires)

GMD : On est d'accord alors. Et je pense qu'on ne fera pas de meilleur mot de la fin qu'en parlant du bébé d'Adèle Exarchopoulos. Aller si, avant qu'on ne se quitte on aimerait savoir ce qui traîne dans vos IPods en ce moment ? 

H : J'ai beaucoup d'amour pour les derniers albums de Kehlani et de Jenny Hval, qui sont tous les deux très bien. Pour ce qui est de la France, toute l’œuvre de Jul, sans aucun distinction de projet, et puis le premier album de Shay aussi ! Et puis l'EP de Jok'Air, évidemment, et j'attends avec impatience le nouveau disque de Clark. (ndrl. qui est sorti depuis)

L : Perso je recommande avec force le dernier album de Vitalic, qui est un disque parfait quand on fait le grand ménage de printemps. J'aime beaucoup le dernier Mondkopf aussi. Et il y a le projet de ce type là, Matt Champion que j'aime beaucoup aussi et qui est un peu le produit bizarre de ces rappeurs qui chantent avec une voix distordue un peu bizarre... Bref, j'ai découvert ça par hasard et c'est très, très bien. Ce sera tout pour moi. Et achetez mon album !

Crédits photo: Sabrine Demni