Interview

Goose

par Jeff, le 22 décembre 2006

On reproche souvent à de nombreux groupes belges et français de souffrir d'un énorme complexe d'infériorité par rapport à leurs homologues américains, anglais voire suédois. On ne peut pas en dire autant des Courtraisiens de Goose. Conscient que ce n'était pas en végétant indéfiniment en Belgique qu'il allait pouvoir un jour charmer un label étranger, le groupe a pris le risque de passer directement par la case «exportation»... avec un certain succès! Encore inconnu il y a peu, le groupe a depuis séduit le label anglais Skint, sera prochainement distribué au Japon, se fait remixer par Surkin et enchaîne les dates à l'étranger (il sera d'ailleurs bientôt de passage dans l'hexagone). Le concert de Goose lors de la soirée Exit 06 de l'Ancienne Belgique était donc l'occasion rêvée pour s'entretenir longuement avec Mick (chant) et Dave (guitare) sur les raisons de ce succès, la fabrication de Bring It On, les ambitions du groupe et la formule Goose – que certains comparent souvent à celle introduite par Soulwax sur Nite Versions.

Goûte Mes Disques : Première question plutôt simple : vous êtes relativement connus en Flandres. C’est tout le contraire en Wallonie ou en France. Pouvez-vous nous refaire l’histoire de Goose ?

Mick : Cela fait six ans que Goose existe. Le groupe a fait ses débuts officiels au Humo Rock Rally, que nous avons remporté. Suite à cela, en 2003, nous avons énormément tourné en Flandres et nous avons enregistré « Audience », notre premier single. Celui-ci était produit par Theo Miller, qui avait notamment travaillé avec Placebo, les Happy Mondays ou Das Pop. C’est notamment grâce à cette personne que le groupe a pu atteindre un nouvel échelon dans sa progression. D’ailleurs, nous avons décidé de collaborer à nouveau avec Théo Miller pour produire « Good Times », notre second single sorti en 2004. Après cela, nous avons décidé d’arrêter de tourner car nous pensions que le moment était venu de faire une pause, de prendre du recul et de trouver une nouvelle manière de travailler. Nous voulions ajouter quelque chose au format traditionnel guitare/basse/batterie. Par exemple, Dave, notre guitariste, voulait explorer d’autres terrains de jeux et a commencé à s’intéresser aux synthétiseurs, ce qui a fini par donner à Goose ce son éléctronique. Nous avons monté notre propre studio grâce auquel chaque membre du groupe, que ce soit seul ou accompagné, a pu travailler sur ses idées. Toutes ces idées réunies se sont retrouvées sur notre premier album.

GMD : Généralement, quand un jeune groupe gagne un concours comme le Humo Rock Rally, il sort directement un EP ou un album. Par contre, vous avez attendu longtemps avant sortir votre premier album. Qu'est-ce qui justifie ce long "retard" ?

Mick : Nous sommes des gens réalistes. Nous étions très contents d’avoir gagné le Humo Rock Rally car cela prouvait que notre travail était intéressant ou que nous avions du potentiel. Mais au fond de nous, nous savions que nous n’étions pas encore prêts pour montrer au grand public ce dont nous étions capables. Nous préférions attendre le bon moment. C’est pour cette raison que nous avons sortis des singles en 2003 et 2004.

GMD : Pourtant, après avoir gagné le Humo Rock Rally, on aurait pu penser que vous seriez sollicités par des maisons de disques.

Mick : Grâce à cette victoire, nous avons reçu un chèque de 10.000 euros que nous avons investi dans des instruments mais il n’y a eu aucune pression de la part de l’industrie du disque. Il faut savoir qu’à cette époque, l’industrie du disque commençait à traverser une crise généréé par l’avènement du téléchargement ilégal. Mais malgré cela, cela reste extrêmement difficile pour un groupe belge de se faire signer. Il y a bien des maisons de disques, mais celles-ci rechignent à investir dans des nouveaux groupes par peur du flop. Dès lors, on s’est dit qu’il fallait tenter notre chance ailleurs et on a commencé à envoyer des démos un peu partout.

GMD : Le fait de sortir quelques rares singles sur un long laps de temps témoigne dans une certaine forme d’une culture « club ». Est-ce le cas pour vous ?

Mick : Il n’y avait pas de « culture club » derrière ces deux sorties mais plutôt une envie de faire les choses comme nous en avions envie. Puis nous voulions quand même montrer au public que nous existions toujours. Mais nous sommes aussi « club » que « rock ». Nous sommes quatre musiciens qui jouent en live avec des vrais instruments. Mais il est certain que le milieu « club » nous intéresse beaucoup car les gens y sont beaucoup plus cool. Ils sont dans un état d’esprit festif alors que le rock s’intellectualise parfois.

GMD : Et ce côté « intellectuel » vous rebute ?

Mick : Non, nous aimons jouer dans des endroits « rock » pour y apporter notre touche « club » et vice-versa.

GMD : Lorsque l’on parle de vous, on cite inévitablement Soulwax…

Mick : En Belgique, oui.

GMD : Vous rattachez-vous plutôt à une scène qui serait belge ou internationale ?

Mick : Pour Goose, la principale source d’inspiration, c’est Goose ! Nous sommes quatre personnes très créatives et nous nous inspirons mutuellement. Je sais que ça semble bête à dire, mais nous sommes notre propre scène ! Mais si je dois te donner des noms de gens qui nous plaisent, je te citerais Phoenix, Air, Daft Punk, Soulwax, lcd soundsystem, Surkin, Erol Alkan pour ses DJ sets et plein d’autres choses encore.

GMD : Pour en revenir à Soulwax, quand vous avez enregistré Bring It On, vous êtes vous dit que cet album allait forcément drainer son lot de comparaisons avec le groupe des frères Dewaele ?

Mick : Tout est venu assez naturellement. Il faut savoir que pendant tout un temps, Dave, notre guitariste, est parti en tournée avec Soulwax. Evidemment, on s’attendait à des réflexions du genre « Dave a tourné avec Soulwax, il a copié beaucoup de choses ». Mais ce n’est pas le cas. A cette époque, les démos étaient déjà prêtes et la structure de l’album était déjà établie. Ce que Dave a ramené de la tournée, c’est de l’expérience et de la motivation. Notre son, on le trouve actuel et on n’a nullement l’impression de copier d’autres artistes. Il nous a fallu deux ans pour évoluer et atteindre ce son. Aujourd’hui l’album est là, mais nous n’allons pas arrêter d’évoluer. Mais tu peux être certain que dans deux ans, il y en aura toujours pour dire que notre son ressemblera toujours à quelque chose d’autre. Tu peux comparer ça à la peinture et au mouvement impressionniste : tous les impressionnistes se copient mutuellement. Il y a juste une sorte de vibration qui entoure le mouvement.

GMD : Et le fait d’avoir fréquenté Soulwax vous a-t-il permis d’élargir votre carnet d’adresse et par exemple de signer sur Skint.

Mick : C’est clair. Soulwax nous a ouvert des portes. Sans eux nous serions toujours bloqués par ce “complexe belge”. En Belgique, on te dit que tu dois commencer par te faire un nom en Belgique, voire dans le Benelux, avant de pouvoir espérer te faire connaître en Angleterre ou en Allemagne. C’est totalement faux ! Qui nous empêche d’aller voir ailleurs ? Qui nous empêche de travailler avec un manager anglais ? Qui nous empêche de travailler avec une maison de disques anglaise ? C’est les gens de Skint qui nous ont appelé et qui nous ont dit « Ce que vous faites est bien, pourquoi rester en Belgique ? ». Quand Dave est parti en tournée, le seul endroit où il a refilé un de nos disques, c’était à Brighton (ndr: ville du label Skint). C’était notre premier contact avec le label et nous travaillons avec Skint depuis un an et demi maintenant.

GMD : Ce « complexe » dont vous parlez, vous pensez qu’il est généralisé en Belgique ?

Mick : Oui. Mais je pense que ce complexe est notamment imputable aux maisons de disques. Ce sont ces structures qui décident où te placer.

GMD : Donc selon toi, si vous aviez signé sur une structure belge, vous ne seriez pas ici aujourd’hui?

Mick : Tout à fait. On serait peut-être connus en Belgique mais certainement pas à l’étranger. Il nous aurait fallu deux ans de plus pour espérer toucher l’Angleterre ou l’Allemagne par exemple. C’était un choix délibéré de notre part de voir un peu plus loin que les frontières de la Belgique.

GMD : Quelle était votre opinion sur Skint avant de travailler avec eux ?

Mick : On en avait pas!

GMD : L’idée que je me fais de Skint, c’est celle d’un label qui a lance le big beat et qui aujourd’hui est…

Dave : Un peu dépassé! (rires)

Mick : Mais finalement, le label importe peu. Le plus important, ce sont les personnes avec qui tu travailles. Et à ce sujet, les gens de Skint sont excellents et très cool avec nous. Ils ne nous imposé aucune contrainte. C’est vrai que Skint est un label un peu désuet mais ils en ont conscience. C’est pour cette raison qu’ils nous ont signés : nous donnons un son nouveau à Skint. C’est une manière pour le label de se refaire une santé.

GMD : Et si Skint vous proposait Norman Cook pour produire le prochain album, que diriez-vous ?

Mick : Non ! (rires). Mais bon, petit à petit, nous aimerions produire nous-même nos albums. A mesure qu’on évolue, on ressent le besoin de tout faire nous-même. C’est le meilleur moyen de savoir ce que nous voulons vraiment.

GMD : Vous parlez d’évolution, c’est une bonne chose. Mais visiblement, évoluer est un processus long pour Goose. Il vous a fallu quand même 4 ans pour accoucher d’un album. Est-ce qu’il va falloir attendre 4 années de plus pour voir le suivant débarquer ?

Mick : Ca ne devrait pas prendre autant de temps. Pour le moment, on est plus occupés à faire des remixes de nos propres titres et d’autres artistes. On considère l’exercice du remix comme une nouvelle façon de travailler avec nos instruments. Surkin vient de faire un remix de notre titre « Low Mode » et le morceau « Bring It On » a également été remixé.

GMD : Et quelle est la recette d’un remix made in Goose ? Comment appréhendez vous cet exercice ?

Mick : On jette tout la musique, on garde la voix et on applique notre son au tout !

GMD : Par qui aimeriez-vous être remixé ?

Mick : Ce serait fantastique si Daft Punk pouvait remixer un de nos titres.

GMD : Vous pensez quoi de Daft Punk aujourd’hui ?

Mick : Ca reste un mythe. Mais ils sont toujours très bons à l’heure actuelle. On l’a encore vu au Pukkelpop.

GMD : J’ai l’impression que c’est justement au Pukkelpop que le buzz autour de Goose en Belgique a commencé à prendre de l’ampleur.

Mick : On jouait sur la scène Wablief (ndr : la plus petite du festival). Au début, on était pas très contents de ce choix des organisateurs. Mais la Wablief s’est avérée être la meilleure scène que l’on pouvait espérer. C’était la plus petite mais il y avait au moins deux mille personnes. C’était bondé ! Ce qui n’était pas le cas avant et après nous. On avait également demandé de jouer le même jour que Daft Punk comme ça on a pu les voir pour pas un rond !

GMD : Visiblement, l’endroit où vous jouez a de l’importance. Il y a peu, vous avez joué dans la discothèque bruxelloise le Mirano Continental. Où pensez-vous que votre musique se développe le mieux ? Dans une boîte de nuit ou dans une salle de concert ?

Mick : Personnellement, c’est dans les petits clubs que je me sens le plus à l’aise. Par contre, ce soir (ndr :leur concert dans la grande salle de l’Ancienne Belgique), ça va être un « petit très très grand club ».

GMD : Mais en termes de public, ça risque d’être assez différent du public d’une boîte de nuit, ou du Pukkelpop. Quel type de public est le plus réceptif à votre musique ?

Mick : C’est très variable. Parfois tu as un public « dance » qui écoute et danse un peu. Parfois ils sont tellement dans les choux qu’ils ne t’écoutent plus. A l’opposé, tu peux avoir un public « rock » sobre qui ne bouge pas, comme un public rock de gens bourrés qui se croient en discothèque.

GMD : Lors de sa conception, Bring It On a-t-il été pensé pour la scène avant tout ?

Mick : Oui. L’une des conditions pour qu’une chanson se retrouve sur l’album était qu’elle puisse être jouée en live. En fait, l’album est presque une excuse pour faire des concerts. Lors de l’enregistrement, nous voulions garder le type de chansons qui permettent une communion avec le public. On avait pas envie de rester sur scène à faire notre truc. Il faut que le public puisse partager notre enthousiasme.

GMD : Pour venir vous voir en concert, j’ai dû faire pas mal de kilomètres. Vous tournez peu en Wallonie. Pensez-vous que musicalement, il y a une frontière qui sépare Wallons et Flamands ?

Mick : Bien sûr. Nous sommes originaires de Courtrai, donc nous nous trouvons à quelques kilomètres seulement de la Wallonie ou de la France. Pour nous, il est donc naturel de traverser cette frontière linguistique. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Nous sommes conscients qu’il y a quelque chose à faire à ce niveau-là. Puis, quand on regarde les chaînes wallones, on voit tous ces groupes wallons qu’on ne connaît pas comme Hollywood Porn Stars ou Ghinzu qui jouent devant des foules énormes.

GMD : Mais il faut savoir que ces groupes tournent la plupart du temps en Wallonie. Ils tournent rarement en Flandre et il ne faut pas espérer les entendre sur les radios flamandes ! C'est un phénomène microcosmique. Si je vous demande de citer des groupes électro wallons, vous en serez incapables.

Mick : Vive la fête !!! (rires)

GMD : J’ai appris que deux des vos chansons étaient utilisées dans des publicités pour Coca-Cola et Heineken. En décidant de vendre votre musique à ces marques, vous avez du vous attendre à recevoir énormément de critiques.

Mick : On n’est peut-être parmi les rares groupes à le dire : c’est tout à fait normal de vendre ses chansons pour des publicités. Dans une maison de disques, il y a un des gens dont le boulot consiste à faire connaître ta musique, à essayer de la placer dans des films, des séries ou des pubs. Notre musique a pu atteindre énormément de gens grâce à cela.

GMD : Une telle déclaration soulève évidemment la question de votre ambition.

Mick : Tout ce que Goose veut, c’est pouvoir continuer de jouer. Evidemment, on trouverait un peu triste de toujours tourner dans notre camionnette dans 10 ans. Il faut avoir un minimum d’ambition. Et si cela veut dire quitter les petits clubs que j’aime tant pour jouer devant 50.000 personnes, pourquoi pas ? Tant que l’ambiance est là, ça me va.

GMD : Les choses semblent aller très vite pour vous ces temps-ci. Ne vont-elles pas un peu trop vite ?

Mick : Pas du tout. Le seul problème quand on a des semaines extrêmement chargées où tu dois alterner entre concerts et promo, c’est que ça ne nous laisse plus une minute pour nous retrouver en studio. Mais paradoxalement, dès que tu commences à être dans ton studio, tu as envie d’en sortir.

GMD : Y’a-t-il un moment où vous vous êtes dits « Maintenant ça commence à marcher pour nous » ?

Mick : Il ne faut pas te dire que tu as atteint un certain objectif. Parce que si tu te dis que le but est atteint, tu travailleras forcément moins. Il faut toujours vouloir continuer à évoluer. Notre album vient de sortir au japon et j’entends énormément de gens dire que c’est fini. Ce n’est pas vrai. Si l’album sort dans un nouveau pays, ça veut dire que nous devons nous y rendre pour le défendre.

GMD : Vous semblez profiter de l’instant. Mais pensez-vous que votre musique résistera aux années ?

Mick : On peut dire que notre son aura l’air dépassé dans deux ans. Mais il y a plus qu’un son. Il y a des chansons. Du fait d’opérer comme un groupe, Goose est une entreprise très pop à la base, très « couplet/refrain ». Mais il est possible que l’ancien son garde de son charme. Je ne suis pas gêné d’écouter « Audience », un titre vieux de 4 ans. On doit évoluer, indéniablement. Par exemple, j’aime bien Coldplay, j’aimais beaucoup leurs premiers disques. Mais là c’est devenu un peu trop répetitif. Le produit est de plus en plus… produit! On veut que chaque disque de Goose témoigne d’une evolution à tous les niveaux.

GMD : Et comment voyez-vous le prochain album de Goose?

Mick : Je suis certain que tu reconnaîtras notre marque de fabrique. En tout cas, j’espère qu’on ne sera pas les seuls à l’entendre.

GMD : C’est la fin de l’année, alors quels ont été vos 3 albums favoris en 2006 ?

Mick : Je ne sais même pas si j’ai acheté trois albums cette année. Le truc qu’on a le plus écouté cette année, c’est le GPS de notre camionnette ! Sinon, cette année, on a bien aimé Wolfmother, Justice et Spank Rock.

GMD : Ce soir, vous jouez dans un « mini festival » à l’Ancienne Belgique. Si vous pouviez monter votre propre festival, qui inviteriez-vous ?

Mick : Soulwax, AC/DC, Uffie, Phoenix, Air, les Stone Roses, Primal Scream, Madonna et Midfield General pour un DJ set !