Interview

COLISION

par Nikolaï, le 8 juillet 2021

Le groupe bordelais COLISION a toute sa place sur le paysage alternatif français, après deux EPS révélateurs d'une créativité collective à la maturité épatante. Le petit dernier en date – Lost Ghosts Vol. 1 – s'adresse particulièrement aux adeptes d'un shoegaze aux accents pop plus que prononcés. Le combo distorsion cradingue et sublimes refrains atteint avec eux un niveau de maîtrise assez bluffant. Goûte mes Disques s'est installé confortablement pour papoter avec Simon (chanteur/guitare) et Jean-Charles (basse) de la pluie, du beau temps et du milliard de sujets entre les deux comme des bons gros nerds que nous sommes.  

GMD : Ça va bientôt faire 3 semaines que Lost Ghosts Vol. 1 est dans la nature. Vous êtes satisfaits de la réaction des gens ?

Simon : À la base, il faut savoir qu’on a gardé les sons dans les tuyaux assez longtemps. On n’avait pas de plan et on ne s’attendait pas à grand chose. Du coup, même sans faire la une des journaux, on a été agréablement surpris de ce qui s’est passé. Des retours positifs de proches, de gens qui nous accompagnent depuis un moment… On a mis nos tripes dedans, totalement en auto-production. On est hyper fiers que ça se soit un peu exporté, et faut avouer que ça donne pas mal de force.

GMD : D’ailleurs, le fait que cet EP soit auto-produit et qu’il n’ait aucune sortie physique de prévue était un choix mûrement réfléchi ?

Simon : Au départ, on voulait le sortir en version digitale. On ne s’est jamais dit qu’on allait faire une galette avec trois titres. C’était quelque chose à part dans notre discographie, qui s’écartait musicalement de notre premier EP.

JC : On voulait aussi que notre nom rayonne un poil plus afin d’introduire ensuite un format physique, avec dans l’idée de trouver un label prêt à nous accompagner. On souhaitait vraiment proposer quelque chose avant d’ouvrir le champ d’action pour le futur.

GMD : Vous revendiquez toujours l’appellation « grungegaze » pour COLISION ?

Simon : Je suis pas du tout dans la mouvance grunge en fait. Je n’ai jamais écouté un album de Nirvana en entier dans ma vie à part Nevermind ! J’aime bien les gros riffs, les grosses guitares et les chansons pop. Pour Lost Ghosts, on a voulu tirer notre inspiration du post-hardcore et du shoegaze pour avoir une palette plus large. Je pense que j’ai juste envie de faire des chansons avec des jolis refrains et de la reverb'.

JC : Ça dénotait au départ cette notion de grungegaze ! On vient de Bordeaux, personne ne nous connaît, on monte quelque chose qui sonne un peu différent… C’est là que ce néologisme est apparu, mais pourtant on ne s’inscrit pas vraiment dans cette mouvance. À partir du moment où notre musique parle aux gens, le style est quasiment secondaire.

GMD : Votre propre description du groupe m’a bien fait bidonner : « Ça joue vite, fort, avec beaucoup de distorsion genre Nothing mais sans les ballades chiantes et l’addiction à la kétamine ». C’est toujours le cas ?

Simon : Non, parce que ça ne joue pas vite ! On a aussi beaucoup d’addictions qui ne sont pas la kétamine. Quand on a commencé le groupe, on adorait mettre des trucs de merde dans les descriptions. Y avait un paradoxe entre la musique qu’on jouait et ce qu’on pouvait dire d’humoristique tout autour. Il s’est avéré qu’on est quand même beaucoup plus sérieux que ça. 

GMD : Sur Lost Ghosts, j’ai été personnellement scotché par la qualité de la production et du mastering. Vous pouvez m’en dire plus sur le processus collectif et le travail derrière ?

Simon : La grosse fierté pour nous est d’avoir bossé avec Cyrille Gachet. C’est devenu un ami et c’est incroyable de s’entourer de personnes talentueuses avec lesquelles tu as un affect. Il ne te lâche jamais, il est réaliste et il te tire vers le haut. Il m’a fait beaucoup de bien par rapport au chant notamment. Il a aussi l’art de faire sonner les guitares ! Concernant le processus, nous n’avons pas fait de retraite initiatique – comme plein de groupes – en se paumant dans une ferme. On était dans une salle de concert de Bordeaux pour enregistrer la batterie et les guitares. Cyrille nous a même accueilli chez lui pour faire des réglages à droite à gauche. On a ensuite envoyé ça à Alan Douches. C’est assez ouf parce qu’on sort de nulle part. On a tous vécu dans la campagne à côté de Bordeaux, et pouvoir envoyer des tracks à un mec qui a bossé avec Converge ; c’est juste débile. Je suis vraiment content des retours agréables concernant la production parce qu’on s’est vraiment fait chier à faire du mieux qu’on pouvait.

JC : On n’a pas lésiné sur la production parce qu’on est à cheval dessus. D’entrée de jeu, ça a été le focus de COLISION. On met les billes dedans et on met le temps qu’il faut pour pouvoir être content de la manière dont on sonne.

GMD : J’ai remarqué aussi la volonté forte pour le groupe d’avoir un visuel soigné, notamment dans les clips. Ca fait partie de l’ADN du groupe ?

Simon : On bouffe tous énormément de films. Du coup, on a un œil sur l’esthétisme. On considère que quand t’écoutes un groupe, tu te nourris de tout un tas de références à 360 degrés. Par exemple, la pochette de Loveless de My Bloody Valentine ou même le Double Negative de Low : t’as un truc qui est complètement lié avec la musique. La pochette n’aurait absolument pas pu être différente. Quand je fais de la musique, je vois pas mal de formes et de couleurs. J’essaie de retranscrire ça correctement, avec l’aide d’autres personnes. Avec les potes graphistes de Visible Visible notamment, ou encore Clara Griot qui nous a aidés sur le clip de "Hell Will Wait". Ces personnes ont contribué à créer quelque chose sans filtre, sincère et avec une part de naïveté.

JC : On aime l’idée d'avoir un cercle vertueux de potes ayant la volonté de nous filer un coup de main.

GMD : D’ailleurs, le clip de "Hell Will Wait" s’ouvre sur un passage de L'Insoutenable légèreté de l'être de Milan Kundera. C’est important pour vous de semer des références poétiques et littéraires dans votre musique ?

Simon : Je mets très peu de références dans ce que j’écris et je ne prends pas d’œuvres littéraires pour composer. Mais L’Insoutenable légèreté de l’être m’a complètement marqué et chamboulé. C’est également un clin d’œil parce que je le lisais pendant qu’on était en tournée. Ça me semblait important de le mettre tant ce livre a résonné en moi.

GMD : Simon, c’est vrai que tu es inspiré par le surréalisme et le principe de l’écriture automatique ?

Simon : Complètement, c’est mon processus. Je kifferais pondre des trucs à la Elliott Smith, mais j’ai une capacité d’écriture limitée. Je ne suis pas aussi doué en poésie. Du coup, quand je commence un texte ça a zéro sens mais ensuite j’essaie d’assembler le puzzle. Je porte énormément d’importance au mot et pour l’instant, c’est la seule façon que j’ai trouvé d’écrire.

GMD : Vous pouvez m’expliquer comment on peut créer des compositions aussi puissantes et sombres, alors qu’on vit à côté de l’océan et des plages ?

Simon : C’est normal, c’est le contraste ! On s'inscrit dans la contre-culture et on est en opposition à la bourgeoisie bordelaise qui répète constamment que c’est une ville parfaite où il fait bon vivre.

JP : C'est vrai qu'on a quasiment tous grandi proches de l'eau. Bordeaux, c'est très beau sur les cartes postales. Mais quand on est paumé et sans thunes, on connaît le revers de la médaille. Quand on part en tournée dans d'autres villes françaises, on se sent souvent mieux.

Simon : La COVID a totalement redistribué les cartes, en nous forçant à rester à Bordeaux. Notre dernier EP est vachement solaire et niais et c'est étrange d'en parler alors qu'on est dans un mood en opposition. En plus, la scène musicale est en train de crever parce qu'il n'y a plus d'endroits pour jouer. 

JC : C'est indéniable qu'il y a des groupes qui émergent, qui se créent et qui composent. Mais ils sont bridés par le manque de lieux alternatifs. 

Simon : En fait, j'en ai rien à foutre de l'océan.

GMD : Du coup, c'est primordial pour COLISION de tacler des problématiques sociales et politiques ?

Simon : Quand j'ai commencé le groupe, j'étais très égoïste et je ne voulais pas aborder ce genre de sujets. Mais je me rends compte de plus en plus que toute musique est politique. On va indéniablement se tourner de plus en plus vers l'affirmation de revendications sociales afin de lutter contre toute forme d'oppression.

JC : C'est arrivé progressivement cette notion de véhiculer des idéaux et des valeurs nous tenant à coeur.  

Simon : On se doit de créer des espaces safe et de confiance où tout le monde se sent inclus. 

GMD : Dans un avenir proche, on doit s'attendre à quoi pour COLISION ?

Simon : Quand le premier confinement est arrivé, on devait partir en tournée. On s'est retrouvé paumés au milieu des Landes après toutes les annulations, en se demandant ce qu'on allait bien foutre. Une énorme frustration s'est installée et on a qu'une hâte, c'est de pouvoir rejouer tout partout. On a aussi envie de s'exprimer artistiquement sur quelque chose de plus long et de sortir une galette.

GMD : Je suis assez curieux de savoir quelles sont les oeuvres artistiques qui vous ont fait tenir le coup plus facilement pendant les confinements successifs ?

Simon : Je suis tombé dans la cinématographie sud-coréenne. Et j'ai également envie de vivre dans un film de Wong Kar-wai, ça m'obsède. J'ai aussi eu une grosse période pour le groupe Motorama et l'album hardcore Your Receding Warmth de Boundaries.

JC : J'ai rebouffé des films de James Gray et Denis Villeneuve. Je me suis aussi pris des grosses tartes avec le bouquin Martin Eden de Jack London. J'ai chialé en le lisant et j'assume complètement. Pendant les confinements, le temps était au ralenti. Du coup, le modern classical et l'ambient m'ont fait beaucoup de bien. Des artistes comme Niklas Paschburg, Dustin O'Halloran ou Hania Rani ont rythmé ma vie ces derniers temps.

Simon : Le dernier BRUIT ≤ et le dernier Kabbel sont aussi incroyables. En plus, ils nous soutiennent et sont vraiment de chics types.

GMD : Vivement un pseudo retour à la normal et un concert dans un rade miteux au parquet collant !

Simon : Carrément ! En tout cas, ça fait un moment que je lis Goûte mes Disques et ça me fait grave plaisir d'avoir un papier sur nous !