Dossier

Vulvet Underground - Episode 07

par la rédaction, le 6 mars 2021

Vulvet Underground a un objectif simple : mettre sous les projecteurs ces femmes dont on aurait certainement dû vous parler plus tôt mais qu’il est encore temps de vous présenter avant qu’elles ne quittent la seconde division.

Claud

Du haut de ses 21 ans, Claud Mintz est la première signature du label Saddest Factory Records de Phoebe Bridgers – ce qui suggère déjà une certaine garantie de qualité — et se présente comme la nouvelle figure bedroom pop à suivre de près. Bedroom pop. À priori, ce terme tend à nous rebuter tant il évoque le tapis sonore d’une coffee house de Brooklyn abritant à la journée des pianoteurs de MacBook. Un genre qui permet de s’installer dans la tendance sans déranger personne, un murmure plaisant qui ne donne envie de rien de particulier si ce n’est commander un troisième café frappé. Sucré. Très sucré. Heureusement pour nous, ce Super Monster (faisant suite à un premier Sideline Star auto-produit en 2019 et passé quasi inaperçu) propose des alternatives plus excitantes tout en conservant les atouts de cette musique de chambre d’ado : de la douceur, de la mélancolie, du réconfort et des couleurs vives. Claud y décortique ses errances amoureuses avec une franchise déconcertante et un sens de la formule qui esquive toute mièvrerie. Les mélodies s’agrippent sans effort, trempant çà et là un orteil dans l’électro-pop, le folk lo-fi, les bleeps nineties ou le funk discret. Luxe ultime pour une première sortie, le mixage a été réalisé au mythique Electric Lady Studios, procurant l’environnement idéal au peaufinage du paquet. Naviguant depuis ses débuts aux côtés de Clairo, l’une de ses meilleures amies avec laquelle iel a récemment formé le groupe Shelly, Claud est bien parti·e pour ne pas s’éterniser sur son petit pré carré. (Gwen)

Lucidvox

On dit que le rock est mort. Alors Lucidvox est là pour danser sur ses ruines. Au fond, la musique de ces quatre filles russes ne révolutionne rien. C’est du noise, avec ce qu’il faut de psyché tel qu’on peut en entendre depuis 30, si ce n’est 40 ans. Et pourtant, elles le ressortent avec une fraîcheur qui réveille des sensations oubliées. La production est brute, ça déborde de partout, les rythmes ne sont pas calés au métronome, et c’est ça qu’on veut. Les incantations quasi mystiques de la chanteuse, entièrement en russe, donnent envie de se laisser emporter. Pas de quoi ranger son Loveless au placard, certes. C’est efficace, sincère, ça fait beaucoup de bien, mais ça reste en terrain connu. Du moins, pour la plupart des morceaux. Là où ce premier album, paru chez les excellents Glitterbeat Records, vaut vraiment le coup, c’est quand la bride est totalement lâchée. Ces ruptures de tempo brutales, cet accordéon sorti d’on ne sait où, cette flûte qui apporte le parfait contrepoint au guitares ultra saturées. On sort du DIY bas du front pour entrer dans des territoires, si ce n’est nouveaux, du moins vraiment excitants. Mention spéciale à « Runaway », sept minutes délirantes au teintes jazz, passant brutalement de l’aérien au furieux. Ces quatre femmes ont saisi l’esprit, sans rien perdre des sensations. (Antoine)

Che Noir

Che Noir est une rappeuse originaire de Buffalo. Et qui dit Buffalo dit Griselda, base arrière de la clique Griselda Records (Benny The ButcherWestside Gunn, Conway The Machine et Armani Caesar dont on vous a parlé dans ce dossier), qui insuffle depuis plusieurs années un souffle nouveau à ce boom bap dont Che Noir se revendique aussi. À 26 ans, la MC a déjà quelques produits dans son escarcelle, produits par 38 Spesh (Juno), Apollo Brown (As God Intended) ou par elle-même (After 12, son dernier en date). Fidèle aux codes d'un boom bap qu'elle tient en très haute estime, Che Noir s'appuie notamment sur sa maîtrise du storytelling, qui alterne histoires de rue et phases introspectives : elle peut aborder la criminalité et la pauvreté de son quartier pour ensuite se montrer plus vulnérable en évoquant son enfance difficile et ses rapports familiaux. C'est d'ailleurs cette sincérité qui la rend aussi attachante, en particulier sur des morceaux comme « Hustle Don't Give » et « Divine Knowledge ». Freestyleuse redoutable et stakhanoviste revendiquée, Che Noir produit un rap nous prend à la gorge et nous fait secouer la tête. En attendant de la voir marcher sur les traces de son aînée Rapsody (qui l'a d'ailleurs validée) sur de futurs projets (et vu sa productivité ça ne saurait tarder), on va surtout profiter de l'instant et d'une discographie qui va à contre-courant de toutes les tendances actuelles. (Ludo)

Sydney Sprague

Ecouter Sydney Sprague provoque une sensation très particulière, celle de se retrouver face à l'adolescent·e qu'on était au début des années 2000. maybe i will see you at the end of the world résonne comme la pop angoissée qui nous parlait tant à l'époque. À la différence que Sydney Sprague semble en avoir conscience et en profite pour donner à sa musique un aspect plus adulte. Une façon de procéder qui nous amène invariablement à comparer l'artiste à Phoebe Bridgers dans sa capacité à aborder de manière sérieuse et introspective des mélodies a priori légères. "staircase failure", "steve" et "i refuse to die" cristallisent parfaitement le talent saisissant de l'artiste pour capter la vulnérabilité des émotions et l'énergie de la frustration. Souvent on pense le temps de manière linéaire, prêt à parier qu'il n'avance que dans un sens. On voudrait croire que l'adolescence et ce qui la compose se trouve maintenant loin derrière nous. La vérité, c'est que la musique de Sydney Sprague remet tout cela en question. Ce premier album ne nous jette pas dans le passé mais il le place devant nous. Il ne nous force pas à revivre l'adolescence mais plutôt à la contempler pour mieux continuer. (Quentin)

Rachika Nayar

On a la sensation que Rachika Nayar va être une figure à suivre dans les mois à venir. Parce que bosser chez GMD, ce serait un peu s’inscrire dans un lien métaphysique avec l’au-delà ? Déjà. Mais surtout parce que la jeune productrice de Brooklyn envoie des ondes de talent à plus savoir qu’en foutre. Musicienne, compositrice, artiste vidéo, Rachika Nayar donne en plus de tout cela l’impression d’être avant tout une auditrice hors pair. New age, folk, musique minimaliste et électronique, tout semble se fondre dans sa musique avec une cohérence qui parvient à notre cerveau en une fraction de seconde, rappelant que faire une ambient mélodique, ludique et profonde, c’est tout à fait possible. Et on n’est pas les seul·e·s à avoir succombé à son « Trembling Of Glass », premier single d’un disque qui arrive tout prochainement. En effet, le 5 mars sortira son premier album, Our Hands Against The Dusk, prévu sur NNA Tapes. Ainsi, Nayar sera bien entourée, puisqu’elle appartient à la même écurie que Lea Bertucci, mais apparemment, elle n’attend pas que son label lui présente des gens, puisque, comble de notre bonheur, elle a décidé de proposer un featuring avec YATTA pour son prochain disque. La boucle est bouclée, les vrais savent, qui se ressemblent s’assemblent, dans dix ans Lawrence English sera chanceux de faire sa première partie, merci bonsoir. (Emile)

Le Manou

Loin de nous l'idée d'être bourré de préjugés à l'égard d'un télé-crochet comme The Voice, mais sachez quand même que sa version belge figure extrêmement bas dans notre liste de priorités, bien calée entre un nouveau roman de Marc Lévy et la perspective d'un examen colorectal. Mais Le Manou est là pour nous faire vaciller sur le trône de nos certitudes - et vous qui nous lisez savez combien on en est plein. Le Manou donc, c’est le projet émancipateur de Manou Maerten, son alter ego, sa voix créative. Pour la petite histoire, cette jeune artiste originaire de Durbuy a atteint les demi-finales de la seconde saison de The Voice en 2013 - autant vous dire qu'on n'était pas là pour vivre ça. Puis elle a sorti son premier EP, L’Homme, en 2017. Bref, à l'exact opposé de carrières post-téléréalité qui doivent à tout prix se créer dans l'empressement, Le Manou a pris le temps pour se façonner une personnalité musicale qu'on imagine nourrie des discographies de gens comme Yelle ou James Blake. Sa musique est pleine de fraîcheur, ses paroles évocatrices de vécus, de ressentis intérieurs parfaitement cristallisés par sa voix. La fragilité qui semble transparaître ne reflète en rien la badasserie de la personne : Manou est également co-fondatrice d'un studio d’enregistrement dans sa ville natale. Son dernier titre, « Perfection », est l'occasion parfaite de vous glisser à l'oreille que son nouvel EP, La Femme, vient à peine de sortir. (Camille)