Dossier

Television Rules The Nation #18

par la rédaction, le 18 octobre 2022

Chaque numéro de Televion Rules The Nation, ce sont cinq suggestions, qu'il s'agisse de films, de séries ou de documentaires. Et à chaque fois, un lien avec la musique, mais pas forcément avec l'actualité, le dossier se voulant d'abord être alimenté par la seule envie de partager des contenus de qualité.

Ennio

“J’ai toujours considéré humiliant de composer de la musique de film”.

La phrase fait mal, de la part de celui qui a composé plus de cinq cents B.O.s, et dont on dit qu’il a contribué à élever la musique de film au même niveau que la musique sérielle ou le minimalisme américain. Et c’est justement ça, la tension dramatique de la vie d’Ennio Morricone. Jeune prodige du Conservatoire, il fait pourtant ses premières armes à la Rai et chez RCA. Méprisé par ses anciens professeurs, il a longtemps vu les compositions pour la radio et la télévision comme un sous-genre musical. Pourtant, quelle passion et quel sérieux il a mis dans son travail. Pas simplement en étant un bon employé, mais en cherchant à intégrer la musique expérimentale de son Gruppo di Improvvisazione Nuova Consonanza dans ses créations.

Le documentaire de Giuseppe Tornatore, qui avait fait renaître chez Morricone l’envie de composer avec Cinema Paradiso en 1980, retrace le parcours d’un musicien hanté par la légitimité de sa musique, alors même qu’il a révolutionné les arrangements pour chanson, puis la musique de cinéma. Après 2h38 d’éloges, on ressent surtout à quel point il aura fallu tout ce bloc de reconnaissance et d’auto-légitimation pour qu’il accepte de ne plus mépriser son propre travail. Ennio est, en ce sens, le premier grand documentaire depuis la mort du génie des bandes originales en 2020. On en parle comme d’un Beethoven et d’un Schubert, dont les partitions seront lues et jouées encore dans deux cents ans. Si vous connaissez l'œuvre de Morricone, le mérite du documentaire sera surtout de consister pour moitié dans un entretien vidéo avec le maestro dans ses dernières années.

Pour le reste, Ennio ne prend aucun risque et adopte le format de plus ou moins tous les documents télévisuels : parole de Morricone, image d’archive, confirmation de ses dires par d’autres gens, et on recommence. Sa plus grande qualité, outre les informations qu’on a pu apprendre en n’y connaissant rien, c’est de donner envie : d’écouter ses chansons, de voir une bonne partie des films sur lesquels il a travaillé - bien que certains sentent le navet au bout de deux plans, précisons-le quand même. (Emile)

The Bear

C’est l’histoire d’un cuisinier de génie qui se retrouve aux commandes d’une sandwicherie historique de Chicago, celle tenue par son frère, aujourd’hui disparu. Rien ne va, le système ne fonctionne pas, les factures sont nombreuses, trop nombreuses. Carmy devrait laisser tomber, il décide d’en faire l'objectif d’une vie. The Bear, désormais disponible sur Disney Plus, est une grande, très grande série. Dialogues, casting, photographie, rythme… Tout est génial, parfaitement dosé. Pour autant, elle n’a en apparence rien à faire dans cette rubrique. En apparence seulement.

D’une part, sa bande originale prend la forme d’une merveilleuse sélection, vintage et cool, rendant au passage régulièrement hommage à la ville de Chicago, ici personnage majeur de l’histoire. On y croise donc Wilco et Sufjan Stevens, c’est presque une évidence. Le septième épisode de la série, intitulé “Review”, se présente d’abord sous la forme d’un générique sublimant, encore une fois, la ville. Puis, c’est un plan séquence de plus de quinze minutes qui se déroule sous nos yeux, un coup de feu en cuisine, une machine qui déconne, des corps qui se cognent, s’engueulent, des employés qui vont, viennent, partent, le tout sans coupure, sans respiration, au son du “Spiders (Kidsmoke)” de Wilco, dix minutes pop et bruitistes.

The Bear est, malgré tout, une série musicale, tout du moins, une série bénéficiant de son propre rythme, d’un tempo bien réel, bien ressenti. Une série vibrante, dans son propos comme dans sa sélection musicale, éloge du bon goût. (Nico P.)

John & Yoko : Above Us Only Sky

Rien de plus usant, voire destructeur, que de voir sortir sans cesse un nombre conséquent d’albums réédités, de documentaires radotant les gloires passées, ou de fausses nouvelles archives et morceaux inédits qui tentent vainement de raviver un amour dont la flamme vivote très bien sans ces derniers.

Fort heureusement, le documentaire John & Yoko : Above Us Only Sky n’appartient clairement pas à cette catégorie de produits marketing. Parce qu’on les connaît bien ces Beatles, et leur histoire, des grandes victoires aux déchirures, mais a-t-on seulement pu vivre à travers leurs cœurs ? Au-delà des figures publiques, au-delà des émotions de chaque chanson, au-delà du travail qu’elles impliquent : a-t-on réellement touché un jour le cœur vibrant de l’un d’eux ? Avec son film, Michael Epstein a probablement réussi à percer celui de John Lennon, pour y entrevoir le sublime qu’il cachait. Alors, certes, ce documentaire convoque des invités extraordinaires, des images d’archives inédites et pleines de cette lumière que seule cette époque diffusait, des chutes de studio intéressantes. Oui, il montre un John Lennon spontané et acharné de travail. Il expose avec respect et subtilité cet ex-Beatle, sans les scalpels froids de l’analyse biographique, mais sa plus grande qualité réside ailleurs.

En se concentrant sur l’histoire silencieuse de l’album Imagine, John & Yoko : Above Us Only Sky procède à une superbe réhabilitation de Yoko Ono, souvent pointée comme le démon ayant accéléré la chute des géants. Celle-ci y apparaît comme une artiste sensée et profonde, véritable poète douée d’une puissance scripturale telle qu’elle aurait en réalité écrit une grande partie des chansons de John, sans être créditée – preuve à l’appui. Plus son personnage se charge de pouvoir, plus celui de John apparaît ému et aimant. Surtout, ils semblent devenir une seule et même entité dont la lumière, en devenant si forte, se charge toujours plus d’une douleur tragique, au vu de la fin que l’on connaît. Qu’il s’agisse de vie ou de musique, ne cherchez plus. Il se trouve dans ces images, l’Amour. (Amaury)

Para One - Sanity, Madness & The Family

On reconnaît beaucoup de qualités à Jean Baptiste de Laubier : producteur de talent, formidable passeur de disques, monomaniaque sans frontières et véritable érudit de la musique. Il ne manquait à ce chouette portrait qu'un premier  passage derrière la caméra pour ce diplômé de la Femis qui n'a jamais caché son amour du septième art.

C'est désormais chose faite avec Sanity, Madness & The Family, dernière partie du triptyque multimédia Spectre entamé l'an passé avec un superbe disque (Machines of Loving Grace) et une tournée en pleine pandémie. Pour cette première réalisation, on ne sera pas surpris de retrouver un Para One qui, à la musique comme au cinéma, ne s'exprime jamais aussi bien que lorsqu'il est au cœur du réacteur de ses influences. À commencer par celle de Chris Marker, son directeur d'études à la Femis : tout le parti pris artistique et la distance avec laquelle il filme son sujet rappellent l'immense Sans Soleil du réalisateur français. On y retrouve aussi ce même côté bricolé, cette invitation au voyage, et cette manière d'évoquer avec beaucoup d'amour les connexions spirituelles entre l'Orient et l'Occident. En parallèle, Sanity, Madness & The Family est une œuvre aux vertus thérapeutiques, qui voit le réalisateur se confronter aux fantômes de son passé : l'histoire d'une famille brisée par un culte mystérieux, qui prend la forme d'une enquête menée entre les Alpes, le Japon, l'Indonésie et la Bulgarie.

Ne comptez cependant pas sur nous pour vous en dire davantage : sachez seulement que Sanity, Madness & The Family est une belle curiosité, un film exécuté avec brio et contenant suffisamment de belles idées pour qu'il donne des envies d'encore à son réalisateur. (Aurélien)

Sugar Man

Dix ans plus tard, que reste-t-il de Sugar Man ? Au-delà de l’humain, Rodriguez étant l’une des plus belles personnes qu’il nous ait été donné de rencontrer, le film raconte une histoire. L’histoire de l’échec du rock’n’roll, qui peine à reconnaître l’un des siens. L’histoire d’une révolution, politique, en Afrique du Sud, et de la bande-son qui va avec. L’histoire d’une musique, injustement oubliée, mais qui a tout son sens en 2012, date de sortie du film, et en 2022. Et forcément, l’histoire d’un homme, qui, avec un léger décalage de 40 ans, est venu changer nos vies.

Mais Sugar Man, le film comme l’artiste, est aussi le témoignage d’un passé révolu, pourtant pas si lointain. Je me souviens qu’il y a dix ans, j’étais sorti de la salle ébahi, avec l’impression d’avoir découvert un nouveau Beatle, déterré de l’oubli et de la misère. En 2022, alors que tout est pop et que chaque épiphénomène devient norme, existe-t-il encore des histoires semblables ? Des talents cachés, inconnus ? Des phénomènes qui ne sont pas viraux ? Peut-être, on l’espère. Mais on en doute. (Nico P.)